Poétiques de l’incomplétude Université Bordeaux Montaigne Unité de recherche « Plurielles » UR24142 - Centre « Modernités » 6 & 7 avril 2023
Il s’agira ici de prendre pour objet de réflexion des œuvres qui intègrent un principe d’inachèvement ou d’incomplétude dans leur définition même (par exemple sur le modèle de l’Œuvre ouverte théorisée par Umberto Eco).
Le milieu du XVIIIe siècle peut être un point de départ chronologique, avec par exemple Tristram Shandy de Sterne et Jacques le fataliste de Diderot, œuvres achevées qui se présentent volontairement comme inachevées. Le potentiel dynamique de l’inachèvement se retrouve vers 1800 dans les Carnets de Joseph Joubert, et dans l’esthétique du fragment théorisée à Iéna par les premiers Romantiques allemands, puis dans l’esthétique de l’esquisse chère à Stendhal et à Baudelaire (qui commente le « non fini » des œuvres de Constantin Guys, « peintre de la vie moderne »). L’inachèvement du Livre mallarméen est aussi un moment clé qui permet de penser l’œuvre comme une structure non pas close mais ouverte – ce que valorisa Emmanuel Levinas dans son opposition à l’idée de système et de totalité (Totalité et infini). La dialectique de l’achevé et de l’inachevé se joue aussi entre l’écriture et la lecture : les récits inachevés de Kafka sont lus par le récepteur comme textes auxquels rien ne peut être ajouté, alors qu’inversement les micro-nouvelles des Récits sur la paume de la main de Kawabata sont des textes achevés mais dont l’extrême concision et les fins déroutantes visent à créer un effet d’incomplétude dans l’esprit du lecteur (comme la fin de certains contes de Supervielle). On pourra aussi passer par Le Roman inachevé d’Aragon, les failles de la poésie de Michaux, la parole trouée de Beckett, la pièce manquante chez Perec, le diffèrement permanent de l’écriture de Roger Laporte, la question sans réponse chez Jabès, le tropisme du fragmentaire chez Quignard, les incertitudes terminales des romans de Marie NDiaye, l’esthétique de la « part manquante » chez Christian Bobin (« l’inachevé, l’incomplétude, seraient essentiels à toute perfection », dit-il)… Et l’on verra que l’incomplétude au niveau de la création se répercute en principe d’incertitude au niveau de la réception et du processus herméneutique (incomplétude du commentaire).
On voit qu’il s’agit non pas d’œuvres qui sont inachevées par défaut ou par accident (la mort de l’auteur), mais d’œuvres qui contiennent par essence et constitutivement un principe d’incomplétude.
Dans une perspective extra-littéraire et pluri-disciplinaire, on peut remarquer que la poétique de l’incomplétude est aussi présente dans d’autres arts comme en musique. Et ce principe d’incomplétude peut se retrouver dans des réalisations artistiques contemporaines.
Les œuvres littéraires indiquées ci-dessus témoignent de ce fil conducteur des poétiques de l’incomplétude dans la littérature moderne (française et étrangère). Nous nous efforcerons d’en dégager les manifestations formelles (dans les œuvres narratives, dans les œuvres poétiques, au théâtre, dans le genre de l’essai, etc.), d’en théoriser le fonctionnement, d’en faire percevoir les mutations historiques au cours des trois derniers siècles (parfois en lien avec certains événements historiques), et d’en interroger les enjeux anthropologiques (par exemple en lien avec la donnée irréductible de la conscience humaine de la mortalité). Par quoi l’incomplétude est-elle formellement ou thématiquement motivée ? Est-elle valorisée comme qualité esthétique ou significative d’un manque essentiel ? Quels sont ses enjeux ontologiques, existentiels, éthiques, épistémologiques ? Quel sont ses effets sur le récepteur ?
Durée des communications : 25 minutes
Les propositions de communications (une quinzaine de lignes précédées d’un titre et accompagnées d’un bref CV) sont à transmettre à Eric Benoit avant le 1er octobre 2022 à l’adresse suivante : eric.benoit@u-bordeaux-montaigne.fr
Une réponse sera donnée avant le 1er décembre 2023.