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Entretien avec Eugène Savitzkaya, par Aglaé Bondon, Élie Marek et Yanna Rival (en-attendant-nadeau.fr)

Entretien avec Eugène Savitzkaya, par Aglaé Bondon, Élie Marek et Yanna Rival (en-attendant-nadeau.fr)

Publié le par Marc Escola

Entretien avec Eugène Savitzkaya

par Aglaé Bondon, Élie Marek et Yanna Rival

en ligne sur en-attendant-nadeau.fr, le 2 juillet 2022

Né en 1955, Eugène Savitzkaya est l’un des écrivains belges les plus originaux de sa génération. Poète, romancier, auteur de pièces de théâtre ou de portraits de peintres, il éclaire dans cet entretien publié en partenariat avec la revue Ballast sa relation particulière à la langue française, ses influences (Pierre Guyotat, Jean Genet, Jacques Izoard…) et sa crainte de « galvauder les mots ».

Dans vos premiers écrits, les lieux renvoient beaucoup à la campagne belge, avec une attention à la terre, au sens d’une terre maraîchère ou potagère. Puis, dans Au pays des poules aux œufs d’or, vous prenez du champ : « on entendait mugir la terre ». Cette fois au sens de l’astre. Comment passe-t-on du terreau à la planète ?

Là où j’ai grandi, c’est un beau pays, mais abîmé par le remembrement des terres. Ils ont tout bousillé, tous les vieux chemins, les chemins creux qui servaient aussi à l’écoulement de l’eau. Les salauds ! Il y avait des vergers partout… Et par avidité, pour le gain, certains odieux sont capables de tout. Aujourd’hui j’habite à Bruxelles, dans la ville, mais j’ai un petit jardin communal, un petit lopin, de quoi mettre ce qu’il faut et passer du temps au soleil. C’est un endroit particulier de la ville, un plateau sablonneux en hauteur, une ancienne dune qui était convoitée par tous les promoteurs immobiliers du monde. Il y a une résistance constante de deux ou trois générations maintenant. C’est sauvage, chacun fait un peu ce qu’il veut. Quand on est là, on ne voit pas la ville. Mais la terre, ça n’est pas que ça : au-dessus, il y a un peu d’humus, et plus on descend plus il y a des roches, plus c’est lisse…

En fait ce qui m’a bouleversé réellement, ç’a été un tout petit tremblement de terre, survenu à Liège, qui a fait tomber des pierres, des maisons aussi – toutes les maisons qui étaient construites sur un terrain instable, à cause des mines de charbon. C’est ce côté à la fois fragile, fluctuant, et costaud… M’est venue à ce moment-là l’impression que tout est instable, une impression que le monde est éphémère, comme peuvent le formuler les Japonais notamment. C’est arrivé la nuit, et la nuit on est plus fragile, le cerveau est un peu vague. Quand les faux marbres des cheminées tombent, on se dit : « Tiens, quel est le support sur lequel nous marchons ? Quelle est cette terre ? » Avant ça, pour moi, la terre était nourricière. J’ai toujours vécu avec un jardin potager que mon père cultivait. Et il y avait de tout. La terre, ce n’est pas simplement du vert, c’est plus dur que ça. Dans le nord, ce sont aussi des lieux de torrent, d’abord de toutes petites choses qui ensuite grossissent et ravagent des ponts. C’est la nature dans sa vraie consistance, dans sa force tumultueuse, qui m’intéresse peut-être le plus.

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