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Appels à contributions
La destruction (Revue Alkemie, n° 31)

La destruction (Revue Alkemie, n° 31)

Publié le par Marc Escola (Source : Aurelien Demars)

LA DESTRUCTION

Appel à contribution pour le numéro 31 d’Alkemie

Revue semestrielle de littérature et philosophie

À l’idée de destruction suit presque immédiatement celle de réparation, de reconstruction, comme si rien, ni même le temps, ne saurait imposer le principe d’une destruction péremptoire. Pourtant, l’ombre de la guerre totale, requalifiant le nucléaire de dissuasion en menace réelle, démontre bel et bien que l’arsenal cumulé des grandes puissances est en mesure de venir à bout du monde, à tout le moins de la vie sur Terre. Cette projection apocalyptique, d’abord nourrie par la guerre froide, puis assoupie après l’effondrement du bloc de l’Est, enfin récemment rétablie au rang des probabilités, est la seule capable de concevoir la chute de l’homme dans un contexte d’annihilation réciproque.

Mais à cette exception paroxystique empruntée aux contingences actuelles, la perspective d’une destruction globale ne saurait s’appréhender que dans le champ de la théorie ou celui de la fiction : se souvenir, en l’occurrence, de la manière dont Orwell entrevoit la démolition de l’humain dans 1984, et plus précisément celle de l’humanité en l’humain. La dilution de l’individu dans le procès d’une vésanie collective annonce presque aussitôt l’émergence de l’inhumain, autrement dit de la barbarie, là où l’exercice de la contrainte martiale devrait suffire. Pourquoi ? Sans doute parce qu’un acte d’inhumanité, fut-il individuel ou collectif, naît d’une même volonté de détruire, et que l’inqualifiable satisfaction qui en résulte conduit bien souvent à s’y exercer davantage. C’est ainsi que les totalitarismes empruntent au bienfondé de la guerre les ressorts essentiels à leur corpus idéologique.

Plus singulièrement, les religions ont érigé, elles aussi, un totem à la destruction. L’eschatologie chrétienne, par exemple, confère, au chapitre ultime de l’histoire du monde, une promesse de palingénésie succédant au Jugement dernier, lequel figure, en quelque sorte, un acte suprême d’anéantissement ; la loi divine promeut ainsi l’exigence d’humilité vis-à-vis d’un dieu omnipotent dont les foudres impartiales doivent être redoutées. Par ailleurs, les fondamentalismes religieux, constitués sur le rejet de l’altérité, élèvent en vertu le bannissement des impies, gratifiant même de quelque récompense céleste quiconque s’en ferait l’auteur zélé : qu’y voir sinon un éloge à la puissance destructrice de la foi ?

Il n’y a qu’un pas entre fanatisme spirituel et absolutisme réactionnaire, comme l’ont montré les dynamitages des bouddhas de Bâmiyân ou les dévastations de Palmyre ; ces actes, par leur portée symbolique, sont indiscernables des autodafés allemands de 1933, qui préludaient concomitamment à la répudiation intellectuelle d’une littérature jugée décadente et au surgissement d’une culture inédite, faite d’un substrat archaïque sur lequel le régime allait appuyer sa propagande. Effacer jusqu’à la dernière trace, jusqu’au dernier témoin, tout ce qui exalte les valeurs de liberté contrariant l’établissement d’un ordre répressif, ne peut se commettre qu’au prix d’une dissolution brutale, sans compromis, n’ayant d’autre dessein que la réécriture du roman national par l’oblitération de l’identité historique.

Le palimpseste comme instrument de reconstruction n’est pas sans évoquer la disparition d’œuvres majeures de l’Antiquité dont les transcriptions aux encres étiolées, conçues dès l’aube de la scholastique, avaient subi l’outrage des plumes monacales durant l’Inquisition. Par les astreintes même du renouveau, la pensée moderne possède également ses épisodes de « réécriture ». L’un d’eux survient de façon explicite chez Heidegger, à travers sa volonté de « désobstruer » l’histoire de l’ontologie, arguant du génie destructif de la phénoménologie lorsqu’elle entend se réapproprier les moyens nécessaires à sa pleine exploitation ; il en ressort une herméneutique rénovée, étendue à des disciplines jusqu’alors recluses. Un autre épisode, très comparable, concerne le structuralisme et ses innovations méthodologiques, orientés vers une révision systématique de la part acquise dans tous les domaines qu’il avait vocation à investir. Incidemment, ces deux étapes cardinales partagent deux points communs. D’abord, elles ont lieu, pour l’une au lendemain de la Grande Guerre, pour l’autre juste après le second conflit mondial, c’est-à-dire à des moments d’intense épuisement moral où la pensée exigeait de se réinventer sur les ruines du désastre humain. Ensuite, elles sont rigoureusement transversales et montrent de fait l’appétit intellectuel qui en a justifié l’existence.

Cela dit, nul besoin des affres de la guerre pour apprécier dans la contemplation des décombres la « poétique des ruines » si chère à Diderot, principe quasi fondateur du romantisme naissant, et plus tard, le souvenir de la Maison Usher s’effondrant dans les eaux noires du marais rappellera au lecteur que l’ensemble du répertoire gothique, habités de tableaux aussi effroyables que beaux, annonçait déjà les prémices d’une esthétique novatrice parce qu’originale et séditieuse, foulant aux pieds les canons en vigueur, imposés par l’académisme et le bon goût. La même ferveur contestataire, née d’un refus des conventions et du déni de l’autorité, paraît si évidente dans les explorations du nouveau roman et surtout dans le style fragmentaire, « écriture du désastre » selon Blanchot, qui incarne à la perfection ce que la littérature contemporaine doit au thème de la destruction. — Marc Bonnant
 

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Date limite : 1er décembre 2022

Site de la revue Alkemie : http://www.revue-alkemie.com

Directrice : Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR
(mihaela_g_enache@yahoo.com)