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Des récits de l’expérience religieuse (Revue Algérienne des Lettres)

Des récits de l’expérience religieuse (Revue Algérienne des Lettres)

Publié le par Marc Escola (Source : Benselim Abdelkrim)

Des récits de l’expérience religieuse

Numéro coordonné par Souad BAHRI (Université d’Aïn-Témouchent / Algérie)

et David DOUYERE (Université de Tours / France)

pour la Revue algérienne des lettres — ISSN 2602-621X | EISSN 2661-7447

 
Si la religion, comme phénomène social, se forme aussi dans la communication et la production de signes, elle passe alors par le choix de mots et la formation de récits spécifiques. Non pas seulement des récits originels et des mythographies produites par les ensembles culturels religieux, déjà bien étudiés, mais par les récits des adeptes (les « religionnaires » ou les « dévots », les fidèles), des communicants et des clercs, produits dans différents espaces de communication : au sein d’un lieu religieux, d’une famille, d’une communauté sociale, dans les médias ou sur les réseaux socionumériques. C’est une façon de raconter l’expérience, mobilisant certains termes, en écartant d’autres, qui est alors mobilisée pour faire sens, et inviter, sans doute, à s’engager dans une telle expérience, à la reproduire. Un certain choix dans le langage est opéré pour produire un univers donné. Le récit se donnerait alors à imiter, formerait un programme de vie.

 C’est cette structuration du récit, ce choix terminologique et narratif que ce numéro voudrait inviter à étudier, dans deux champs : 

1) la production littéraire, et la façon dont elle donne à lire des récits de l’expérience religieuse (conversion, éloignement, doute, extase…) ; 

2) les récits produits et diffusés par des adhérents au corpus et à la proposition religieuse, sur différents supports (témoignages dans la presse ou des médias religieux, sur les réseaux socionumériques…). 

On s’intéresse notamment ici à la figure du témoignage, soit la façon dont une personne forme par le récit une expérience qu’elle entend décrire, et la donne à voir comme trace non seulement d’une expérience mais aussi d’une rencontre avec le divin dont l’existence est non seulement postulée, mais ainsi montrée, sinon même prouvée. Il serait également intéressant d’étudier la construction de la diégèse des récits de vie, où le sujet pensant tente de revendiquer ou de rejeter son appartenance à un groupe religieux précis, à un moment donné.
 
Il s’agit donc d’examiner à la fois les façons de raconter, les mots employés, mais aussi et ainsi les façons de faire exister, par le récit et l’usage du langage, les objets que forme le religieux. Bien entendu, cet usage du langage concourt à l’expérience, individuelle ou collective, dont elle n’est pas séparable. On pourrait parler ici de communication imbriquée (à l’expérience) pour dire comment se forme l’expérience du religieux.En effet, il s’agit à la fois des récits que je reçois (par une tradition, un contexte social, une immersion dans un bain langagier et narratif, des façons de dire et de raconter),du récit que je forme (à l’attention d’autres), comme du récit que je me forme, intérieurement, pour moi-même, d’une part, et bien sûr, d’autre part,des récits que les religieux ou les prédicateurs, les accompagnants de l’expérience religieuse enjoignent à former (« portez votre témoignage ! »).

Ce dossier propose donc de s’intéresser à la création et à la créativité langagière et narrative en matière de religion, quelle qu’elle soit, et à la fonction (attestative ou testimoniale, incitative, persuasive, pédagogique...) de ces productions. Il s’agit à la fois d’étudier la façon dont on raconte le religieux, dans la littérature, et la façon dont le religieux se dit (dans les médias, dans ses ouvrages propres, sur les réseaux socionumériques…). En somme, il s’agit de « prendre au mot » le religieux, le saisir dans sa forme énoncée, juste avant d’adhérer (ou non) à la chose ainsi offerte. Le saisir dans sa production communicationnelle narrative, en somme. 

Les vies de saints et de prophètes, telles qu’elles sont racontées par des acteurs ou des institutions, le récit de l’histoire religieuse d’un lieu et d’un monument, ou d’une communauté, le récit d’une expérience religieuse personnelle, par un personnage de roman, de film ou de série, les « témoignages » diffusés en ligne ou dans une communauté, entrent évidemment dans cette perspective.

Les approches mobilisées pour l’étude pourront relever des sciences du langage, de la narratologie, des études littéraires, des sciences de l’information et de la communication, de la sociologie ou de l’anthropologie de la culture et des religions, de la philosophie ou de l’histoire, dès lors que l’étude porte sur le langage et le récit formant religion.

Il est à rappeler que l’on ne peut pas envisager une étude de l’expérience religieuse sans que celle-ci soit mise en récit ou en discours. En effet, le récit subsiste comme un moyen de transformation ou de construction de l’évènement, de son image perçue comme réelle, ou fictive, à son image langagière, en quelque sorte ouvrant elle-même d’autres expériences, car le récit contribue à former l’expression. De plus, il se nourrit de récits qui l’ont précédé et qui formatent l’expérience religieuse (Certeau 1982). Le récit s’offre de surcroît comme moyen d’expression de soi et de l’épreuve que l’on fait personnellement de la religion, donnée d’avance, autant que modifiée par ces récits. 

Que fait la religion, d’ailleurs, des récits qui l’outrepassent et la dépassent, sortent de ses normes, comme ceux des Possédés de Loudun, en France au XVIIe siècle (Certeau [1970] 2005) ? L’étude du récit religieux est un pas avancé permettant l’extraction des règles de genres narratifs et des normes régissant ces dernières et orientant ses modes de construction. L’expérience religieuse, lorsqu’elle est traduite en récit, permet de rendre compte de la particularité de son processus narratif concrétisé par des constructions langagières signifiantes.Il s’agit donc d’expliciter les fonctionnements narratifs de ce type de récit, mis en mots dans une dynamique narrative, en faisant usage des outils de la narratologie, de la linguistique énonciative, de l’analyse du discours ou des approches de la communication, etc., pouvant décrire les médiations formant ce genre de récit, qui peut être soutenu par un effacement de l’énonciateur ou une responsabilité énonciative.

En partant du principe que le récit peut offrir une réflexion ou une critique de la religion et transmet, par voie de conséquence, un système de croyances ― mettant en scène une expérience religieuse, vécue par autrui ou par soi ―,il serait intéressant de s’interroger sur sa portée argumentative et ses effets pragmatiques, et ce,par le biais des règles de l’implicite et des manifestations allusives, ces règles qui confèrent à l’auteur l’occasion de mettre en œuvre une compétence narrative fondée sur un cadre de pensée précis et transmis à travers la grammaticalité du récit.

Par ailleurs, le récit oral, reposant sur un contexte, un agent, une langue et un auditoire (Calame-Griaule 1990), peut être étudié en considérant l’enchevêtrement du texte et de son milieu social,dans une perspective d’« ethnotexte » (Chabert 2002) décrivant un ensemble de traits culturels,remontant au passé,rapportés ou transformés pour être actualisés.

La question de l’identité narrative dans les récits de l’expérience religieuse s’avère également une perspective importante à explorer car elle peut nous permettre de comprendre comment la transmission de l’identité personnelle s’opère en racontant son vécu, dans un cadre religieux. Dans ce sens, Paul Ricœur (1990) évoque le rapport qu’entretiennent l’ipséité et le récit en faisant appel aux concepts de praxis et de poiêsis. De fait, ce sont les médiations narratives offertes par le récit qui permettent de considérer l’identité personnelle où l’acte de raconter serait le milieu propice pour relever les marques d’une conscience historique s’exprimant sur la religion. 

Comme objet de la sémiotique narrative et discursive, le récit relatant une expérience religieuse relève, lui aussi, d’études à la fois figurative et réaliste étant donné qu’il évolue comme un système de modèles qui se manifeste par le biais de sèmes contextuels (ou classèmes) (Courtés 1993 : 52), de mythèmes, de métasémèmes ou de virtuèmes. De surcroît, un travail descriptif des structures profondes du texte narratif, de repérage des thèmes développés et des structures sémio-narratives peut être effectué en vue d’expliciter la mise en forme du discours religieux, et ce, en s’intéressant à l’énonciation, à la mise en perspective des personnages (pouvant occuper un statut socio-religieux) et au cadre spatio-temporel. Par ailleurs, des croyances peuvent être développées dans une séquence narrative en vue de partager une ou des expériences prises dans des dispositifs dits « sacrés » dévoilant l’adhésion à une communauté religieuse et s’inscrivant ainsi dans une trame véridictoire. 

Il s’agit également d’envisager les récits de l’expérience religieuse comme des actes de narration soumis aux valeurs normatives du genre. De plus, puisque le discours, (apportant des précisions externes au récit), est étroitement lié à l’organisation des communautés (Maingueneau 2017 : 132), il est important de prendre en considération les paramètres de ses conditions d'émergence avec les différentes formations discursives environnantes qui interagissent et contribuent à la pratique du discours religieux, constituant la mise en mots et en récit de l’expérience religieuse. 

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Bibliographie indicative 

CALAME-GRIAULE, G. (1990). « La recherche du sens en littérature orale », Terrain, n°14, pp. 119-125. URL : http://journals.openedition.org/terrain/2975.

CERTEAU, M. de (1970). La Possession de Loudun, Paris : Julliard.

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CHABERT, P. (2002). « Ethnotextes : la conscience de l’espace. L’exemple d’un conte », Bulletin de l'Afas, Sonorités, n°22, p. 2-8. URL : http://journals.openedition.org/afas/1469.

CHAMBERT-LOIR, H. et GUILLOT, C., dir. (1995). Le Culte des saints dans le monde musulman, Paris : Ecole française d’Extrême-Orient.

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Dates importantes 

Lancement de l’appel à contribution : 3 juin 2022

Réception des articles pour évaluation : jusqu’au 5 octobre 2022

Mise en ligne du numéro : fin décembre 2022
 

Lien de soumission des articles : https://www.asjp.cerist.dz/en/submission/523

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Site officiel de la revue : http://ral.univ-temouchent.edu.dz

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