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Le musée d’histoires : collecte et invention de récits (Paris)

Le musée d’histoires : collecte et invention de récits (Paris)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Anne Chassagnol)

Le musée d’histoires : collecte et invention de récits

Colloque international

Mercredi 9 et jeudi 10 novembre 2022

ComUE Paris Lumières

Ce colloque international s’inscrit dans le cadre du projet MuséaLitté, projet de recherche pluriannuel sur les rapports entre le muséal et le littéraire (ComUE Paris Lumières).

Dans Le Système des objets (1968) Jean Baudrillard avance que l’organisation sérielle d’objets en une collection crée un espace ambigu où « le fonctionnel s[e] défait sans cesse dans le subjectif » et où « la prose quotidienne des objets devient poésie, discours inconscient et triomphal » (122). Les musées et, avant eux, les cabinets de curiosité et les collections privées, ont toujours fonctionné comme des espaces d’invention et de mise en scène visuelles de discours : histoire de leur propre genèse, de la recherche et de l’acquisition des objets ; formulation ou vulgarisation de connaissances ; affichage du pouvoir politique, financier ou symbolique de leur propriétaire, personnage privé ou institution ; médiatisation, voire promotion, des croyances, des goûts ou des valeurs à la source de la fascination exercée par les expôts. Si « la mise en exposition est […] fondamentalement une écriture » (Davallon 233) dans l’espace, une scénographie, qu’écrit-elle, quel est son espace d’inscription, qui écrit, et pour qui ?

L’expographie se réfléchit de plus en plus en termes de récit, de storytelling, voire de récit de soi. Alors que les expositions et les musées semblent vouloir s’adresser autant à l’affect et aux sens qu’à l’intellect des visiteurs, à qui ils souhaitent non seulement transmettre des connaissances mais également proposer une expérience de visite, les histoires qu’ils proposent et les espaces dans lesquels ils les inscrivent se modifient, sous l’influence du narrative turn, « tournant narratif » observé depuis les années 1990 (voir Padiglione), du visual turn, « tournant visuel », et de l’affective turn, « tournant affectif », qui depuis deux décennies infléchissent conjointement les sciences humaines. La diversité et la puissance de ces discours, plus ostensiblement narratifs et affectifs, voire personnels, se trouvent décuplées par l’explosion du numérique et de la communication en ligne.

Dans la lignée de l’affirmation de Leslie Bedford dans la revue The Curator. The Museum Journal selon laquelle « Raconter des histoires » est « le vrai travail des musées » (2001), ce colloque international se propose de cartographier les nouvelles pratiques expographiques des musées – collecte, archivage, scénographie, site internet, communication sur les réseaux sociaux, production de textes – et les types de récits qu’elles réactivent, réinventent ou font émerger. Il souhaite instaurer un dialogue interdisciplinaire entre la littérature, la muséologie, les arts, la sociologie, les sciences humaines et sociales, l’informatique, etc. 

Liste non exhaustive de pistes :

Où l’on expose

Comment les différents lieux d’exposition – musée des beaux-arts ou des sciences et des techniques, musée d’histoire ou d’ethnographie, muséum d’histoire naturelle ou maisons-musée, bibliothèque nationale ou médiathèque, espace culturel à l’étranger (de type Centre culturel de la Corée ou Maison de l’Amérique latine) ou espace public (on pourra penser aux expositions photographiques que propose le Sénat sur les grilles du Jardin du Luxembourg) – repensent-ils et transforment-ils leur espace pour y rendre visibles des récits selon le régime du storytelling ? Quels dispositifs mettent-ils en place pour susciter et collecter des récits ? Ces récits fabriqués par les musées sont-ils ensuite exposés ou archivés selon des modalités spécifiques ?

Quels rôles jouent les nouvelles technologies dans la fabrication de ces histoires ? Alors qu’ils n’étaient plus en mesure d’accueillir du public, de nombreux musées ont lancé des appels à témoignages, à l’instar de « Stockpiling Stories » par le Dacorum Heritage Trust, ou de « Collecting Covid » par le Hackney Museum, « Stories of the Pandemic », au musée de Durham, ou encore de « The Covid Letters » au Foundling Museum de Londres. On pourra s’intéresser aux récits que proposent les musées sur leurs sites, aux podcasts, aux espaces qu’ils dédient à la collecte de récits ou aux visites virtuelles, qu’il s’agisse de parcours unique scénarisé ou de parcours choisis par chaque internaute. En 2019, la National Gallery à Londres a organisé une tournée dans le but de montrer l’auto-portrait d’Artemisia Gentileschi dans des lieux inédits (une école, une prison, un cabinet médical) et de générer ainsi des échanges nouveaux avec le public.

On pourra étudier les espaces institutionnels ou alternatifs au moyen desquels les visiteurs prolongent leur visite : réseaux sociaux ou musées virtuels, ainsi que les initiatives muséographiques individuelles.

Ce qui s’expose

Un récit se met-il en exposition de la même façon qu’un objet ? Quelles nouvelles interactions s’inventent entre objets et récits ? L’expographie est-elle un iconotexte, un récit graphique séquentiel fondé sur une interaction dynamique entre texte et image, au même titre que l’album pour la jeunesse, la bande dessinée ou le comic book ?

Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris incluait dans son exposition « Les Flammes, l’âge de la céramique » (15 octobre 2021 – 6 février 2022) une vitrine dans laquelle tout visiteur était invité à faire ajouter un objet en céramique personnel tandis que défilaient sur une liseuse les cartels de cette exposition collaborative – et évolutive – indiquant, sous le nom et le descriptif de l’expôt éphémère, le texte de présentation fourni par le prêteur, souvent sous forme de récit, de sa création, de sa découverte ou de sa valeur sentimentale. Quels récits les musées choisissent-ils de collecter ? Comment les assembler en une collection ? Comment exposer l’ordinaire, le fragmentaire, l’éphémère, l’intime recueillis sous forme de récits de rien, de petits papiers, de brefs enregistrements audio ou vidéo ? Comment combiner ces textes à des objets ? Quels sont les enjeux de cette démarche à la croisée de la sociologie, de l’expographie et de la fictiographie ? Une accumulation de mémoires individuelles constitue-t-elle une archive collective ?

On pourra s’intéresser à la dimension méta-narrative des pratiques fictiographiques des musées : comment le musée en tant que fabrique de récits est-il intégré au design expographique : comment montrer le processus de collecte, de tri puis d’assemblage ?

Ce qu’on raconte

Une étude menée par le département de psychiatrie de l’université d’Oxford pendant la fermeture des musées due à la pandémie de Covid-19 a révélé que les visiteurs trouvaient dans la capacité des musées à raconter des histoires un certain soutien psychologique et un mieux-être. Bien que soucieux de prendre en compte la diversité de leurs publics, les musées ne soupçonnaient pas que l’appétence pour le récit constituait la première motivation de leurs visiteurs. Dans un contexte de forte concurrence où ils souhaitent élargir la base de leurs visiteurs réguliers, quels sont les types de récits ou de projets narratifs qu’ils proposent pour attirer des publics multiples, qui conçoivent leur expérience de visite de plus en plus comme une expérience de vie et souhaitent prolonger ce qu’ils ont vu par une mise en pratique ? Et quel en est le sujet, ou l’objet ? Quels sont les genres narratifs que l’expographie incorpore ? S’inspire-t-elle de structures narratives pré-existantes ou fait-elle émerger de nouveaux genres narratifs, voire invente-t-elle de nouveaux formats ?

Constatant que le manque de structure des récits collectés auprès des visiteurs du musée d’art de Portland, Oregon, dans le cadre du projet « Object Stories » (2010–2019) les invitant à parler d’un objet qui leur était particulièrement cher, les rendait inexploitables, à la fois inaudibles et inexposables, Christina Olsen leur a proposé un questionnaire de cinq déclencheurs de parole puis a opéré un montage de chaque enregistrement. Que révèle ce type de préparation éditoriale de ce qui fait matière à exposition, ce qui rend un « récit d’objet personnel » (Olsen) digne d’entrer au musée, dans les archives ? Comment se structurent ces nouveaux récits, comment les structurer sans les formater ?

Quelle interaction entre muséographie, fictiographie – ce continuum qui fait glisser le récit de l’autobiographie à l’autobiofiction à la création d’un moi fictif –, et écoute de l’autre, de l’ailleurs ? Comment le récit aide-t-il à rendre le passé présent ? Ou, pour le dire avec Nina Simon, conservatrice, fondatrice du blog Museum 2 qui milite pour un musée inclusif, « pertinent » (The Art of Relevance, 2016) ? En quoi l’accompagnement – voire la substitution – de récits aux objets exposés les aide-t-il à continuer à nous parler dans le présent de notre visite ? Quel sens, quelle connaissance, quel sentiment ces expographies narratives véhiculent-elles ?

Quels types de textes expographiques et éditoriaux ces nouvelles dynamiques muséographiques génèrent-elles ? En plus des cartels et des textes descriptifs, engendrent-elles de nouvelles formes de publications, plaquettes, catalogues, textes narrativisés ?

On pourra également choisir de s’intéresser à la façon dont la fiction reflète ces explorations muséographiques.

Quels publics ?

La question pourra être abordée depuis le point de vue des visiteurs, de l’expérience de visite ou des publics et de l’impact sur le collectif. Le musée fictiographique se construit en même temps que le Musée participatif (Simon) et une réflexion sur le commun et la communauté. Dans un contexte où l’unicité de l’histoire est perçue comme une forme de domination idéologique et culturelle, comment les lieux d’exposition parviennent-ils à scénariser une multiplicité de voix, de discours et de récits ? Cette plurivocité a-t-elle une limite ?

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Les propositions pour une présentation de 20 minutes (500 mots maximum), en français ou en anglais, sont à envoyer, accompagnées d’une courte notice biobibliographique avant le 14 juin 2022 aux deux adresses suivantes :
anne.chassagnol@univ-paris8.fr
caroline.marie.up8@gmail.com

Date de réponse : 20 juin 2022

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Références bibliographiques

Baudrillard, Jean, Le Système des objets, Gallimard, 1968.
Bedford, Leslie, “Storytelling: The Real Work of Museums”, Curator: The Museum Journal 44|1 (Jan. 2001).
Davallon, Jean, « Écriture de l’exposition : expographie, muséographie, scénographie », Culture et musées 16, 2010.
Olsen, Christina, “How do You Capture Compelling Visitor Stories? Interview with Christina Olsen”, Museumtwo, Tuesday, May 03, 2011.
http://museumtwo.blogspot.com/2011/05/how-do-you-capture-compelling-visitor.html
Padiglione, Vincenzo, « ‘Let the Silent History Be Told’: Museums Turn to Naratives”, Fractal: Revista de Psicologia, 28|2, 2016.
Simon, Nina, The Participatory Museum, Museum 2.0, 2010.
___, The Art of Relevance, Museum 2.0, 2016.