Rhétorique et pédagogie : la pratique rhétorique dans la classe
Maison de la Recherche, Sorbonne Université, 1er juin 2022
Date limite de l'appel : 30 avril 2022
Depuis une vingtaine d’années, une réflexion est menée dans plusieurs universités, notamment européennes, sur la réactualisation de la rhétorique antique en tant que système pédagogique pertinent et efficace pour former le citoyen actif et critique des sociétés démocratiques modernes. Une telle formation implique de nombreuses dimensions : la maîtrise de l’art de la parole, le développement des facultés argumentatives et cognitives, la capacité de décryptage des discours, la formation du jugement critique et de l’empathie communicationnelle...
Plusieurs expériences de terrain ont ainsi cherché à mettre en application les exercices hérités des corpus antiques de progymnasmata et de déclamations devant des élèves et des étudiants (1), comme en témoigne le colloque international organisé par Pierre Chiron et Benoît Sans à l’Université de Paris-Est Créteil en 2018 sur les progymnasmata, qui a réuni des spécialistes de rhétorique ancienne et moderne pour « tenter de mesurer la pertinence et l’efficacité de ce type de formation » (Chiron P. & Sans B. 2020).
Dans le contexte brûlant de la crise de l’enseignement des humanités, sommées de justifier leur utilité sociale, la rhétorique offre un cadre en mesure de clarifier les valeurs et les objectifs de l’enseignement littéraire et, sans doute, de préparer « l’avenir des humanités » (Citton Y. 2010). Par l’ampleur de sa tradition culturelle, enracinée dans les valeurs de l’humanisme européen, et la spécificité de son projet, centré sur l’acquisition de compétences discursives, la rhétorique est devenue aujourd’hui une réponse culturelle concrète aux grands défis éducatifs contemporains.
Toutefois, si le bienfondé d’un enseignement de type rhétorique n’est plus à démontrer, la discipline rhétorique en tant que telle reste à (re)construire dans l’enseignement secondaire et supérieur. Cette rencontre s’intéressera donc spécifiquement à la rhétorique dans la classe, en se concentrant sur la mise en pratique concrète des principes, des techniques et des outils de l’éducation rhétorique. Il s’agira ainsi d’en préciser la démarche, les contenus et les pratiques pédagogiques en vue d’illustrer, par des exemples concrets, la refondation du projet éducatif rhétorique.
En se donnant pour objectif principal de former à la production de discours argumentatifs variés, tant à l’oral qu’à l’écrit, la pédagogie rhétorique invite plus précisément à rééquilibrer la formation littéraire au profit d’une approche plus pragmatique et fonctionnelle. Moins orientée vers une culture du commentaire, elle propose de repenser les exercices traditionnels de la dissertation, de l’écrit d’invention et du commentaire littéraire en puisant dans le vaste programme d’entraînement, gradué et progressif, des progymnasmata (Webb R. 2001). Un tel système spiralaire s’attache à décomposer la tâche finale d’écriture en sous-unités, miniatures de discours et points de détail spécifiques, pour en domestiquer petit à petit la complexité (Chiron P. 2018).
Par sa dimension civique, elle permet également d’ouvrir le cours sur le monde et ses « questions vives », les controverses, débats et conflits de valeurs qui sont le cœur de l’argumentation dans les sociétés démocratiques (Danblon E. 2013). Or, si la rhétorique revient sur le devant de la scène publique, avec notamment les concours d’éloquence comme Eloquentia qui traitent de sujets fantaisistes dans le cadre limité d’une compétition, ou les chroniques de Clément Viktorovitch sur Clique, c’est soit pour sa seule fonction de divertissement, soit pour sa dimension analytique de décodage des procédés rhétoriques et de décryptage des discours politiques. Mais de telles pratiques ne recoupent qu’une partie du programme rhétorique, qui inclut tout un réseau de compétences et de savoir-être qui participent à la formation réflexive et active du citoyen amené à prendre la parole, à réagir aux discours et à mener une argumentation réfléchie et convaincante.
Cette rencontre intervient au moment où plusieurs réformes éducatives redéfinissent les objectifs de l’enseignement du français (« Grand oral » au baccalauréat, enseignement expérimental de l’éloquence en 3ème, suppression de l’écriture d’invention, nouvelle spécialité HLP...). Elle vise donc à réunir tous les chercheurs et tous les professeurs qui intègrent une pratique et un objectif rhétorique à leur enseignement, que ce soit dans le cadre d’un cours de français, de langues anciennes ou d’humanités au sens large, dans l’enseignement secondaire, général et professionnel, ou de formationsuniversitaires à la communication ou à l’expression écrite et orale.
Chacun est donc invité à présenter un projet pédagogique qui implique la rhétorique, que ce soit sous la forme de séquence, de séance ou de séminaire. Il s’agit de présenter des mises en œuvre concrètes, qui puissent servir de support à une réflexion explicite sur les enjeux de la démarche proposée, les questionnements lors de la conception du projet, les difficultés rencontrées dans l’expérimentation en classe, et les résultats obtenus en bilan.
Plusieurs axes de réflexion plus larges pourront guider les interventions : non seulement le rapport qu’entretient ce projet éducatif rhétorique avec les formes d’éloquence actuelles, mais aussi les enjeux de l’usage de la parole à l’ère de la société numérique, qui induit une massification de la parole publique et une diversification des cadres discursifs, en passant par le lien avec l’enseignement des compétences démocratiques et la question des inégalités sociales.
Le but final de cette rencontre sera de poser les bases d’une communauté de ressources théoriques et pratiques qui puissent servir d’inventaire pédagogique destiné à l’enseignement rhétorique en classe, sous forme de site dédié ou de carnet de recherche.
Les propositions d’intervention (titre + résumé de 300 à 500 mots), accompagnées d’une courte notice de présentation, sont à envoyer au comité d’organisation avant le 30 avril 2022 : Lucas Haensler (lucas.haensler@gmail.com) et Benjamin Sevestre-Giraud (benjamin.sevestre.giraud@gmail.com).
Notes :
(1) C’est le sens du projet qui anime de nombreuses initiatives européennes, à Bruxelles (équipe du GRAL dirigé par Emmanuelle Danblon), à Nanterre (Marie Humeau), à Lille (Ruth Webb), à Lausanne (Danielle van Mal-Maeder), à Créteil (Pierre Chiron), à Aix-en-Provence (Isabelle Koch, Anne Balansard et Sabine Luciani), et à Paris (Juliette Dross et Charles Guérin).
Bibliographie indicative :
CHIRON P. 2018, Manuel de rhétorique : ou comment faire de l’élève un citoyen, Paris, Les Belles Lettres.
CHIRON P. & SANS B. (dir.) 2020, Les Progymnasmata en pratique, de l’Antiquité à nos jours, Paris, Éditions Rue d’Ulm, « Études de Littérature Ancienne » 27.
CITTON Y. 2010, L’avenir des humanités : économie de la connaissance ou cultures de l’interprétation ?, Paris, La Découverte.
DANBLON E. 2013, L’homme rhétorique : culture, raison, action, Paris, Cerf, « Humanités ».
WEBB R. 2001, « The Progymnasmata as Practice », dans Y. L. TOO (dir.), Education in Greek and Roman Antiquity, Leiden & Boston, Brill, p. 288-316.
Organisateurs :
Lucas Haensler (doctorant, EDITTA, Sorbonne Université)
Benjamin Sevestre-Giraud (doctorant, CPAF, Aix-Marseille Université / GRAL, Université libre de Bruxelles)
Actualité
Appels à contributions
Publié le par Université de Lausanne (Source : Sevestre-Giraud Benjamin)