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Perspectives anarchisantes dans les arts et sciences sociales : questions et débats sur l’imaginaire de « l’ingouvernabilité »

Perspectives anarchisantes dans les arts et sciences sociales : questions et débats sur l’imaginaire de « l’ingouvernabilité »

Publié le par Perrine Coudurier (Source : rémi astruc)

Dans les pays occidentaux comme au-delà, les mouvements sociaux des dix dernières années ont notamment mis au goût du jour un certain nombre de pratiques qui rompent avec celles de la tradition contestataire institutionnalisée: mouvements issus directement des populations et non de corps constitués (à l’écart des corporations, partis ou syndicats), occupations des places et des rues, actions coup-de-poing (pour Extinction Rébellion par exemple), organisation en marge des institutions et des leaders (Gilets jaunes), mouvements sans revendications précises (Nuit debout: « nous ne demandons rien ») ou demande de démocratie participative (RIC), etc. Le point commun de ces formes extrêmement diverses est sans doute le rejet des formes de la « politique » classique, soit de l’organisation dominante de la démocratie représentative (État, partis, élections), pour les contester dans ce que nous pourrions rassembler sous le terme de « pratiques pirates ». Assisterait-on alors, en ce premier quart du XXe siècle, à un moment « anarchiste » (d’après un concept qui reste à définir), après le moment marxiste, dans la lutte contre la gestion néo-libérale du monde et les méfaits du capitalisme ?

De fait, alors que l’effritement du marxisme et de ses diverses déclinaisons dans les sphères intellectuelles depuis plusieurs dizaines d’années semble libérer un espace propice au développement d’une pensée anarchiste, peu se réclament pourtant encore de cette étiquette. La raison en est sans doute à un malentendu sur ce que recouvre le terme et ce qu’il désigne exactement. Si « anarchisme » (comme « communisme ») fait peur, c’est notamment parce que le terme semble, pour certains, renvoyer à un passé et à un imaginaire de violence. Alors qu’ils ont abandonné peu ou prou l’idée de révolution, il fait peu de doutes que beaucoup se retrouvent en revanche aujourd’hui autour de valeurs, de pensées et de pratiques anarchisantes. Mais quelles sont-elles ? Selon le regretté anthropologue David Graeber (Pour une anthropologie anarchiste, Lux, 2006), une « approche anarchiste » n’existerait pas encore, ce qui le conduisait à s’interroger dans son livre sur les raisons d’une telle absence, à l’université et dans les sciences humaines et sociales. L’esprit anarchiste d’un Graeber repose d’ailleurs moins, si l’on y réfléchit, sur un ensemble unifié et cohérent de préceptes, mais sur une façon – que l’on peut juger salutaire – de remettre en question les évidences les moins questionnées à  propos des piliers de notre organisation sociale, et souvent à renverser les points de vue admis : ainsi les sociétés démocratiques seraient infiniment plus bureaucratiques que les dictatures,  l’inégalité sociale serait une invention relativement récente et reliée à un type de structure socio-politique, la juxtaposition de libertés individuelles considérées comme « naturelles » (à commencer par le droit de propriété) se traduiraient par une servitude volontaire à l’égard d’un pouvoir managérial à grande échelle, le « réalisme » serait du côté des révolutionnaires plutôt que dans le discours servant à discréditer par avance les expérimentations d’autonomie, etc.

Ce colloque vise donc à prendre au mot le constat de Graeber pour essayer de réfléchir, avec d’autres, à ce que supposent, manifestent et ambitionnent les « perspectives anarchisantes » qui se reflètent tant dans les pensées et pratiques que dans les théorisations situées implicitement ou explicitement dans cet horizon de réflexion interdisciplinaire. Cela implique notamment de penser, dans les arts et les études littéraires, mais aussi les sciences sociales et la philosophie, cet « imaginaire de l’ingouvernabilité » illustré par : la méfiance envers les institutions; la coopération plutôt que la compétition; le refus de l’autorité surplombante; les tentations et tentatives de désertion, de guérilla, de sabotage, de désobéissance voire de trahison; l’accent mis sur le collectif plutôt que l’auteur-génie; le recours à une certaine violence (ou tout du moins le conflit et l’antagonisme) plutôt que le consensus; la communauté avec ou contre l’individu; le « vivre sans » (police, travail, argent) comme utopie; la dynamique autonomie / hétéronomie; etc. Cela engage également à méditer et discuter les soubassements ontologiques (la composition de la réalité sociale), les présupposés épistémologiques (les méthodes réflexives et critiques à l’œuvre chez les acteurs) et les orientations normatives (les principes d’égalité, de liberté ou de justice censées gouverner la transformation du réel) qui structurent ces « perspectives anarchisantes » à titre de condition de possibilité et de manifestations concrètes.

Les points d’entrée dans le colloque pourront donc s’effectuer à partir de multiples et complémentaires interrogations et disciplines, toutes reliées à la compréhension des tendances contemporaines : mouvements sociaux, courants de pensée, œuvres et auteurs, exprimant à divers degrés des « perspectives anarchisantes » sur la démocratie, le politique, les institutions, l’égalité, la liberté, la communauté, l’association, l’individu, etc.

La date limite pour faire une proposition d’intervention (20-30 min) est fixée au 1er aout 2022. Celle-ci est à envoyer à l’adresse astruc [point] remi [arobase] orange [point] fr


Lieu et dates:

Le colloque se tiendra, en présentiel uniquement, les jeudi et vendredi 20 et 21 octobre 2022 dans l’amphithéâtre de la médiathèque du patrimoine et de l’architecture de Charenton-le-Pont (Paris, Métro Liberté)

11 rue du Séminaire de Conflans, 94 220 Charenton-le-Pont


Comité scientifique:

Thierry Tremblay (University of Malta)

Patrick Valéau (Université de Rennes)

Stéphane Vibert (Université d’Ottawa)

Rémi Astruc (CY université)

Gilles Labelle, professeur titulaire, École d’études politiques, Université d’Ottawa

Philippe Chanial, professeur de sociologie, Université de Caen, co-directeur du Centre de Recherche Risques & Vulnérabilités (CERREV).



Comité d’organisation:

Stéphane Vibert (Université d’Ottawa)

Rémi Astruc (CY université)