APOCALYPSE(S) : ÉCRIRE LA FIN DU MONDE
Journée d’études en ligne
Penser, rêver, conjurer l’apocalypse en philosophie et en littérature
Il est impossible d’ignorer la mise en récit apocalyptique des perturbations climatiques et écologiques qui fragilisent notre être-au-monde. Une menace semble « fond [re] sur nous », sorte de « cavalier noir énorme toujours plus menaçant. Saison après saison, les nouvelles qui parviennent du front (taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère plus élevé que jamais, déforestation à tout va, fonte accélérée des glaciers, extinction vertigineuse de moult espèces animales, humanité toujours plus nombreuse…) sont toutes plus inquiétantes les unes que les autres » 1 écrit par exemple Jean-Claude Pinson. À la contemplation de la beauté du monde, au plaisir pris à l’observation de son déploiement (de son éclat , diraient les grecs) se substitue l’arraisonnement caractéristique de la technique (Gestell). Michael Foessel (Après la fin du monde) souligne à juste titre l’imminence de l’apocalypse à l’époque où l’homme se dote des moyens d’anéantir l’ensemble du vivant — par le recours à la bombe atomique. En se laïcisant, de fait, l’angoisse de l’apocalypse a résolument perdu l'une des dimensions qui structurait son sens religieux, à savoir celle de révélation : l’apocalypse comme promesse d’une ouverture d’un autre monde, où l’histoire de celui - ci, tout entière, sera ressaisie et assumée dans ce que la tradition chrétienne nomm ait la « gloire ». La fin du temps signifiait un commencement radical, retour de l’origine des temps, et triomphe de l’éternité qui dans l’histoire agissait, dissimulée, au cœur de l’éploiement temporel de l’univers.
Depuis cependant que la philosophie moderne s’est emparée de ce motif, l’apocalypse a cessé d’être aussi la révélation d’une dimension nouvelle de la réalité, pour ne plus signifier que l’effroi d’un effondrement peut - être définitif. Or cette possibilité, comme disparition même de tous les possibles, est devenue une menace réelle alors que, depuis Kant, le motif de la fragilité du monde humain ne cessait de surgir et de ressurgir dans tous les grands systèmes philosophiques. Si en effet, comme le suppose la philosophie moderne, l’homme est celui - là même qui configure son propre monde, soudain advient à la pensée la perspective de la dissolution de ce même monde dans l’im - monde, dès lors que l’homme par exemple s’éteindrait, ou s’effondrerait sur lui-même. En outre, si le monde dépend de l’homme dans sa constitution même, et si l’homme n’est homme que par sa capacité à faire être et apparaître un monde, alors cette dépendance réciproque implique une réciproque précarité : que le monde sombre, et l’homme n’est plus ; que l’homme se détruise, et le monde s’abolit avec lui. Ainsi, malgré ses origines religieuses, l’imaginaire de la fin de monde n’a pas cessé de nous interpeller : nous serions entrés dans le « temps de la fin » … « Nous vivons désormais dans une huma nité pour laquelle le “monde” et l’expérience du monde ont perdu toute valeur » écrit par exemple Gunther Anders2 ; la perte de monde (Weltverlust , Weltlosigkeit) est une douleur qui hante la philosophie de Martin Heidegger, d’Annah Arendt, de Günther Anders, de Karl Löwith, de Hans Jonas, d’Herbert Marcuse, de Jan Patočka ; elle est au cœur de l’écocritique et des disaster studies.
La pensée de l’éternel retour, puisant ses origines dans le pythagorisme, renouvelée par le stoïcisme avant d’être ressaisie par Nietzsche, peut constituer un «rempart» face à cette peur, en proposant une éthique de la légèreté, au bord de l’abîme : le monde, qui semblait perdu, ressurgit dans sa misère et sa splendeur, nous invitant à rejouer le coup de d és qui jamais n’abolira le hasard mallarméen. Face à la douleur de la perte, demeure la certitude de retrouver le monde, mais dans quel état ? La répétition peut-elle suffire à remplacer pour l’homme l’espérance religieuse de la résurrection?
Qu’est-ce qui se joue dans la résurgence d’un imaginaire de fin de monde ? Ne trahit-il pas peur face à la disparition d’une certaine conception, eurocentrée, du monde? Un tel imaginaire invite-t-il à penser autrement notre être-au-monde ou cherche-t-il à faire durer le monde technique le plus longtemps possible ? Comment rendre compte par l’écriture de l’apocalypse, définie comme l’anéantissement de tous nos possibles ?
Il s’agit donc interroger les enjeux et la formulation du discours apocalyptique en philosophie et en littérature :
- Les représentations littéraires de l’apocalypse (nucléaire, écologique…)
- Le catastrophisme comme mécanisme de conjuration, de détournement de l’apocalypse
- La conceptualisation et les enjeux de l’apocalypse / de l’acosmisme en philosophie
- La définition et les enjeux du catastrophisme
- Le changement imposé aux modalités d’habitation au monde
1 Jean-Claude Pinson, Pastoral. De la poésie comme écologie, Seyssel, Champ Vallon, 2020 , p. 9
2 Gunther Anders, L’Obsolescence de l’homme, trad. C. David, Paris, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2002, p. 15.
Propositions:
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krause.pamela@yahoo.fr, à guillaumedreidemie@orange.fr ou à romaindeblue@hotmail.com
Calendrier :
Date limite pour les propositions : 20 avril 2022
Réponse : 1er mai 2022
Rencontre sur Zoom le 4 juin 2022