Appel à contribution – « Mais que fait le héros/l’héroïne dans un lit ? »
Mais que fait le héros/l’héroïne dans un lit ?
Si nous passons dans le lit près d’un tiers de notre existence, force est de constater que ce lieu occupe une place fort réduite en littérature. C’est rarement là le champ d’action du héros/de l’héroïne, même si Xavier de Maistre en fit le terrain de prédilection de son récit autobiographique Voyage autour de ma chambre (1794) :
« C’est là que les plaisirs fantastiques, fruits de l’imagination et de l’espérance, viennent nous agiter. – Enfin, c’est dans ce meuble délicieux que nous oublions, pendant une moitié de la vie, les chagrins de l’autre moitié. Mais quelle foule de pensées agréables et tristes se pressent à la fois dans mon cerveau ? Mélange étonnant de situations terribles et délicieuses !
Un lit nous voit naître et nous voit mourir ; c’est le théâtre variable où le genre humain joue tour à tour des drames intéressants, des farces risibles et des tragédies épouvantables. – C’est un berceau garni de fleurs ; – c’est le trône de l’Amour ; – c’est un sépulcre » (chapitre 4).
Comment expliquer ce silence relatif sur cet objet/lieu qui symbolise à lui seul toute la condition humaine : est-ce sa relation avec l’intime, avec les moments de faiblesse – épuisé, malade, blessé – du héros/de l’héroïne qui bouscule la définition classique du héros ? On ne s’étonnera donc pas que le lit soit un des refuges préférés du « sexe faible », paré de toutes les langueurs et de toutes les douleurs, à commencer par celles de l’enfantement.
En regard de ces premiers éléments de constat, l’évocation, la présence d’un lit dans une histoire, interroge et ce, quelle que soit l’époque. G. de Maupassant en fit d’ailleurs le titre d’une de ses nouvelles, parue en 1882.
C’est autour de cette thématique que nous aimerions organiser une journée d’étude. Nous aimerions que toutes les périodes littéraires soient abordées, ainsi que les littératures européennes. Cette thématique peut également être étudiée au prisme de l’histoire de l’art, mais aussi en lien avec des exigences sociales et/ou des contraintes sociétales.
Des définitions du lit que propose le dictionnaire Larousse, nous ne retiendrons que les définitions en compréhension suivantes :
1. Meuble sur lequel on se couche pour dormir ou se reposer.
2. Partie fixe de ce meuble, charpente sur laquelle repose le sommier.
3. Sommier, matelas sur lesquels on se couche.
4. Ensemble des draps, des couvertures qui garnissent le lit.
5. Place considérée comme unité de capacité d’accueil dans un hôpital, une clinique, un lieu de résidence, etc.
6. Tout ce qui, sur le sol, peut être utilisé pour se coucher, s’étendre.
À titre d’exemples, nous proposons quelques pistes de réflexion autour du lit comme lieu de paradoxes :
– ontologique : lieu où se conçoit, s’enfante et où s’éteint la vie, couche et sépulcre, lit de travail, lit gériatrique et lit funèbre ; lieu de la stase physique et psychique et de l’extase charnelle ;
– métaphysique : entre horizontalité et verticalité sacrale et transcendance ;
– de genre : le lit se lit aussi bien comme hétérotopie féminine (cf. Les Caquets de l’accouchée), notamment dans l’imagerie satirique, que comme un lieu de pouvoir masculin (lit de table, lit royal, lit de justice) ;
– anthropologique : le lit s’illustre à la fois comme accessoire de la mobilité et lieu d’immobilisation : du « lit de la merveille », lit mobile enchanté dans lequel le héros de Chrétien de Troyes est contraint de dormir, au « matelas-tombeau » sur lequel était cloué le poète grabataire Henri Heine en passant par le mélancolique clinophile Poète dans sa mansarde de Daumier.
Avant le XVIe siècle, lorsqu’on parle de « lit » on désigne un couchage (plus précisément la literie, de plume ou de bourre) et non le meuble support (le « châlit » de bois, privilège des classes aisées) qu’il est devenu aujourd’hui par métonymie. Tandis que Jésus enjoint au paralytique miraculé de s’extraire de son lit sans s’en défaire, les nobles de la Renaissance font suivre leur grand lit de bois dans leurs pérégrinations. Au fil des siècles, ce « mobilier » s’est alourdi et sédentarisé avant de faire retour comme futon nomade. Au rebours de la vanité cubiculaire des aristocrates et des bourgeois, on pourra s’intéresser à « ces lits de ceux qui n’en ont pas » ou plus (Lamartine, Jocelyn), au bed-sharing médiéval, militaire ou conventuel, aux sensa pan, sensa liech (Cançon de nèrvi) d’hier et d’aujourd’hui, Schlafgänger parias de l’industrialisation ou réfugiés.
– phénoménologique : les choses nous possèdent autant que nous les possédons. On pourra envisager le lit littéraire moins comme élément de décor que comme centre ou moteur du récit, dans la relation réversible de sujet à objet, de domestication réciproque qu’il entretient avec le héros ou l’héroïne. De simple objet passif, le lit devient ainsi organe performatif du moi. Les récits légendaires et littéraires illustrent l’agentivité de l’objet, ce que l’on appelait en mauvaise part la malignité des choses, une intentionnalité que redécouvrent la phénoménologie et les material studies contemporaines.
La journée d’étude organisée par l’équipe d’accueil Espaces Humains et Interactions Culturelles (EHIC EA 1087) et par le Laboratoire VieSanté (UR 24134) aura lieu à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’université de Limoges les 20 et 21 mars 2023.
Merci d’envoyer un résumé de la proposition de communication avec un titre et une brève notice bio-bibliographique pour le 30 novembre 2022 aux adresses suivantes : nelly.sanchez.aff@unilim.fr, florent.gabaude@unilim.fr et didier.tsala-effa@unilim.fr
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Publié le par Perrine Coudurier (Source : Nelly Sanchez)