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Cronos et autres cannibales : le pouvoir esthétique de la dévoration (Musemedusa, n° 11)

Cronos et autres cannibales : le pouvoir esthétique de la dévoration (Musemedusa, n° 11)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Revue MuseMedusa)

Cronos et autres cannibales : le pouvoir esthétique de la dévoration

Appel à contributions pour le 11e dossier de MuseMedusa

Sous la direction de Claire Caland et Marie-Hélène Larochelle

 (English version bellow)

Le cannibalisme n’a pas de genre. Suivant Claude Lévi-Strauss[i], nous sommes tous et toutes des cannibales. Si on croise cette théorie avec celle de la monstruosité développée par Michel Foucault[ii] qui évalue la criminalité du monstre, le cannibalisme apparaît comme un sommet de l’horreur. Rejeté dès la Grèce antique aux confins de la bestialité et en deçà de toute humanité, le cannibalisme est cependant devenu une source d’inspiration, un défi, une gageure d’artiste. Et sa pratique fantasmée, un moteur de créativité qui avoue souvent sa filiation avec les rites dionysiaques.

Dans le discours des rapports de force, les fictions cannibales font-elles pour autant de tout homme un mâle alpha ? Au XXe siècle, quelques figures anciennes (l’ogre ; le vampire ; le lycanthrope), qui avaient été outrageusement virilisées, s’actualisent en de nouvelles fictions subversives, au point de faire exploser les anciens antagonismes jugés incompressibles (homme/femme, nature/culture, etc.)[iii]. De plus en plus nombreuses, les déclinaisons de la figure d’un Cronos garantissant son pouvoir en dévorant ses enfants concurrents nous racontent d’autres histoires.

Le monstre cannibale se décline aussi au féminin. Comment cette forme de monstruosité est-elle pensée dans la littérature et les arts depuis la modernité ? L’« esthétique cannibale » semble s’opposer à la féminité et à la maternité. Si le cannibalisme est ingestion, l’allaitement serait le don qui en renverse le mouvement. Si le cannibalisme est digestion, la parturiente délivrant un humain représente l’oxymore de la chair digérée. Le cannibalisme au féminin s’envisagerait donc non seulement comme une forme unique de la criminalité mais comme un crime contre nature. Cette évolution du pouvoir de la dévoration peut-elle être envisagée comme une forme de féminisme ? Le discours esthétique actuel (littéraire, mais aussi artistique ou cinématographique) brouille les cartes : la cannibale rejoue l’initiation dionysiaque au sein d’un drame comme dans le film franco-belge Grave (2016), de Julia Ducourneau, ou la récente série américaine Yellowjackets (2022). Elle peut être perçue comme métaphore de la création poétique chez Catherine Lalonde[iv], et pas simplement comme point aveugle de la barbarie ultime comme chez Goya[v] ou encore comme un jeu transgressif chez Oleg Kulik qui rejoue en photomontage Cronos dévorant… sa fille dans une série intitulée Alice vs. Lolita[vi].

Catharsis ou posture[vii] é-norme[viii], le cannibalisme mérite une approche transdisciplinaire pour que l’on parvienne à cerner la complexité de ce sujet de « chair et de sang »[ix]. C’est pourquoi, afin de saisir les vecteurs de la représentation du monstre en cannibale, nous interrogerons la littérature et l’art des XXe et XXIe siècles à l’aune du mythe, y compris non-occidental et autochtone (pensons à la Tête volante chez les Wyandot) pour y saisir des nouvelles postures qui éclairent sur le monde actuel.

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Les articles, les textes et les œuvres de création (en français, en anglais ou en allemand) seront à envoyer au plus tard le 1er décembre 2022 à musemedusa@umontreal.ca, en mettant en copie conforme Marie-Hélène Larochelle (mlarochelle@glendon.yorku.ca) et Claire Caland (calandfc@yahoo.fr). Chaque contribution devra être accompagnée d’une brève notice bio-bibliographique, de deux résumés (sauf pour les créations !) et de deux listes de 10 mots clés, une en français et une en anglais ou en allemand (voir le protocole de rédaction).


 
[i] Claude Lévi-Strauss, Nous sommes tous des cannibales, Paris, Le Seuil, 2013.
[ii] Michel Foucault, Les anormaux, Paris, Gallimard/Seuil, coll. « Hautes études », 1999.
[iii] Voir Georges Guille-Escuret, Les mangeurs d’autres, Paris, Éditions de l’EHESS,  coll. « Cahiers de l’homme », n° 41, 2012.
[iv] Catherine Lalonde, La Dévoration des fées, Montréal, Le Quartanier, 2017.
[v] Francisco Goya, Saturne dévorant un de ses fils, peinture murale transférée sur toile, 1819-1823 (Prado).
[vi] Oleg Kilk, Alice vs. Lolita, exposition à la galerie Rabouan Moussian à Paris, en 2000.
[vii] Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, 2007.
[viii] Olivier Roux, Monstres : une histoire générale de la tératologie des origines à nos jours, Paris, CNRS, 2008.
[ix] Vincent Vandenberg, De chair et de sang. Images et pratiques du cannibalisme de l’Antiquité au Moyen âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Table des Hommes », 2014.

 
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Cronos and other cannibals: the aesthetic power of devouring

Call for contributions for the 11th issue of MuseMedusa

Under the direction of Claire Caland and Marie-Hélène Larochelle

Cannibalism has no gender. According to Claude Lévi-Strauss[i], we are all cannibals. If we cross this theory with Michel Foucault’s[ii], which assesses the criminality of the monster, cannibalism appears as the ultimate/the most extreme horror. Rejected by the ancient Greeks as the boundary between bestiality and humanity, cannibalism has nevertheless become a source of inspiration, an artist's challenge, and its fantasized practice, a motor of creativity that often admits its affiliation with Dionysian rites.

In the discourse of power, do cannibalistic fictions make every man an alpha male? In the 20th century, some older figures (the ogre; the vampire; the lycanthrope), who had been outrageously virilised, were updated in new subversive fictions, to the point of exploding the old antagonisms (man/woman, nature/culture, etc)[iii]. Moreover, increasingly numerous variations on the figure of a Cronus guaranteeing his power by devouring his competing children tell us other stories.

The cannibalistic monster also comes in feminine form. How has this form of monstrosity been thought of in literature and the arts since modernity? The “cannibalistic aesthetic” seems to oppose femininity and motherhood. If cannibalism is ingestion, breastfeeding would be the gift that reverses its movement. If cannibalism is digestion, the parturient delivering a human represents the oxymoron of digested flesh. Female cannibalism would therefore be considered not only a unique form of criminality but also a crime against nature. Can this evolution of the power of devouring be considered a form of feminism? The current aesthetic discourse (in literature, but also art or cinema) muddy the waters: the cannibal replays the Dionysian initiation within a drama as in the Franco-Belgian film Grave (2016), by Julia Ducourneau, or the recent American tv show Yellowjackets (2022). It can be perceived as a metaphor for poetic creation with Catherine Lalonde[iv], and not simply as a blind spot of ultimate barbarism as with Goya[v], or even as a transgressive game with Oleg Kulik who replays in photomontage Cronos devouring his daughter in a series entitled Alice vs. Lolita[vi].

Interpreted as a catharsis or a posture[vii], cannibalism deserves a transdisciplinary approach so that we can grasp the complexity of this “flesh and blood”[viii] subject. To grasp the vectors of the representation of the monster as a cannibal, we will examine the literature and art of the 20th and 21st centuries in the light of myth, including non-Western and Indigenous (think of the Head flying at the Wyandot) to capture new postures that shed light on the current world.

Articles, texts and creative works (in French, English or German) should be sent no later than December 1, 2022 to musemedusa@umontreal.ca, with a copy to Marie-Hélène Larochelle (mlarochelle@glendon.yorku.ca) and Claire Caland (calandfc@yahoo.fr). Each contribution must be accompanied by a brief author bio bio-bibliographic notice, two abstracts summaries (except for creations!) and two lists of 10 keywords, one in French and one in English or German (see the writing protocol).


[i] Claude Lévi-Strauss, Nous sommes tous des cannibales, Paris, Le Seuil, 2013.
[ii] Michel Foucault, Les anormaux, Paris, Gallimard/Seuil, coll. « Hautes études », 1999.
[iii] Voir Georges Guille-Escuret, Les mangeurs d’autres, Paris, Éditions de l’EHESS,  coll. « Cahiers de l’homme », n° 41, 2012.
[iv] Catherine Lalonde, La Dévoration des fées, Montréal, Le Quartanier, 2017.
[v] Francisco Goya, Saturne dévorant un de ses fils, peinture murale transférée sur toile, 1819-1823 (Prado).
[vi] Oleg Kilk, Alice vs. Lolita, exposition à la galerie Rabouan Moussian à Paris, en 2000.
[vii] Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, 2007.
[viii] Vincent Vandenberg, De chair et de sang. Images et pratiques du cannibalisme de l’Antiquité au Moyen âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Table des Hommes », 2014.