Appel à communications – Journée doctorale du LASLAR (Université de Caen) - 18 mai 2022
La vulgarisation & les arts
Journée doctorale en Lettres, Arts du spectacle et Langues romanes
À l'heure où la vulgarisation artistique se développe dans les institutions comme le Centre national de littérature pour la jeunesse, grâce à des associations telles que Passeurs d'images ou Banlieus'arts, sous forme de chaînes YouTube comme L’Art Comptant Pour Rien ou de podcasts tels que Le Bruit de l'art, quel rôle peut-elle jouer dans l’évolution et l’invention de regards, discours et pratiques artistiques ?
Selon Daniel Jacobi [1], la vulgarisation est intimement corrélée à la diffusion [2], c’est-à-dire à la volonté de « répandre largement, faire entrer dans les habitudes du grand public » [3]. Cette communication entre le spécialiste et le « grand public » est pourtant entravée. En soulignant ce qu’il considère comme la « […] difficulté et [l']ésotérisme de l’exposé en rupture avec la pensée commune » [4], Daniel Jacobi relie le discours du chercheur ou de la chercheuse à une pratique occulte et difficile d’accès, un « enseignement […] réservé aux initiés » [5]. Au contraire, la vulgarisation se pense comme une rencontre ou un mouvement du spécialiste vers le public. En effet, si les propos de Daniel Jacobi peuvent être polémiques, il n’en reste pas moins qu’il met en évidence la difficulté d’accès du discours scientifique à un public élargi.
Cet « ésotérisme » n'est pas réservé à la culture scientifique : les pratiques de vulgarisation témoignent de la nécessité de rendre accessibles à tous des arts souvent jugés élitistes. Ce processus peut prendre la forme d'une traduction, d'une illustration, d'un jeu : comment se pense ce choix selon les disciplines, les oeuvres concernées et les époques ? Ce mouvement de transmission implique dès lors une certaine « réception » : comment ces pratiques de vulgarisation sont-elles reçues par le public, de l’époque médiévale à nos jours ? Du point de vue de l’artiste, comment allier le désir d’une large diffusion et la liberté artistique ?
Le recours systématique des ouvrages de référence aux expressions « public » et « grand public » cache difficilement le malaise que produit l’étymologie de « vulgariser » : rendre accessible au vulgus, au « commun des hommes ». Le terme a souvent été associé à celui de « peuple », vague et problématique, car évoquant aussi bien les classes les plus modestes que l'ensemble d'une population. Ce malaise peut s’expliquer par la mythification romantique du « peuple », mais aussi par la trivialité qui lui est souvent associée. De fait, la vulgarisation devient dans cette acception péjorative le fait de « rendre vulgaire, grossier ; faire perdre toute distinction, toute élégance » [6]. Ces réflexions terminologiques nous montrent que le récepteur conditionne la création, que l’imaginaire de l’artiste s’en trouve influencé - qu’il le nomme peuple, grand public, ou commun des hommes. Jusqu’à quel point l’image que l’auteur se fait de son public peut-elle influencer la création ?
Afin de répondre à ces questions, nous invitons les doctorant·e·s et post-doctorant·e·s de littérature de langues française et romanes et d'arts du spectacle à réfléchir à la notion de vulgarisation dans les arts à travers l'une des deux approches développées ci-dessous, ces dernières n’étant pas restrictives :
Démocratiser l’art : enjeux et mécanismes de diffusion et de réception des oeuvres
Le premier axe s'intéresse à la vulgarisation comme enjeu de diffusion et de réception des oeuvres. Comment simplifier et rendre accessible une pensée, et jusqu’où aller ? Dans son Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey rappelle que le vulgaire est « la langue, [le] parler employé par la majorité d'une population », par opposition avec « une langue savante, apprise » : la question de la langue s’affirme rapidement comme un prisme éclairant pour interroger la réception d’une oeuvre par un large public. Pour parler au « peuple », doit-on parler comme le « peuple » ? Si le « peuple » est protéiforme, sa langue l’est également. En plus des oeuvres patoisantes, de la présence de dialectes dans les discours directs, l’artiste doit se poser la question du niveau de langue et celle des langues spécifiques à certains groupes sociaux. La langue normée ou la langue littéraire peuvent-elles être des outils de vulgarisation efficaces ? Au XVIIe siècle, le Mercure galant prône la clarté de la langue contre les discours obscurs des savants, évitant ainsi la « pédanterie » grâce à un style « badin et léger ». Ces considérations, en partie linguistiques, questionnent également l’art et les manières de la traduction : comment s’assurer qu’une idée exprimée dans une langue-source soit fidèlement transmise dans une langue-cible ? La nécessaire adaptation des réalités d’une langue à l’autre nous amène ainsi à considérer la tâche du traducteur comme un exercice de vulgarisation.
En outre, il ne s’agit pas seulement de « démocratiser » ou de « divulguer » [7] des savoirs difficiles d’accès, mais de susciter l’intérêt du public afin d’assurer une réception optimale des oeuvres, à l’image de La Fontaine, dont les fables anthropomorphiques livrent leurs morales de façon divertissante. Il s’agira donc ici d’étudier les usages de la langue et les jeux stylistiques et génériques les plus propices à la vulgarisation. On pourra par exemple se demander dans quelle mesure les mises en scène des biopics, documentaires ou films historiques participent d’une telle entreprise ou comment un « théâtre de la vulgarisation » tire profit du lien direct avec les spectateurs, comme la troupe des Atomes crochus [8] dont les spectacles expérimentaux requièrent la participation du public aux manipulations scientifiques.
Enfin, l’on pourra interroger les liens entre la représentation de sujets « vulgaires », au sens premier du terme, et une tentative de vulgarisation : parler au « peuple », est-ce nécessairement parler du « peuple » ? [9] Dans la pièce La Mojigata de Leandro Fernández de Moratín, l’auteur met par exemple en scène des domestiques de maisons bourgeoises, pour répandre l’idée qu’ils sont d’honnêtes et aimables personnages populaires. L’oeuvre dépeint le « peuple » mais parle-t-elle sa langue ? Bien qu’il soit au centre du récit, en est-il également le destinataire ?
Ainsi conviendra-t-il dans cet axe d’examiner les diverses stratégies d’optimisation réceptive déployées par ces formes d’art, tout en prenant en compte les différents niveaux de complexité du discours de vulgarisation en fonction du public auquel il s'adresse.
La vulgarisation en pratique
Que ce soit par volonté personnelle ou engagement contractuel les doctorant·e·s et post-doctorant·e·s s’exercent régulièrement à la vulgarisation scientifique. En témoignent les formations doctorales proposées par les universités ou l’émergence de centres de culture scientifique comme le Dôme à Caen, L’Espace des Sciences à Rennes, le Cap Science à Bordeaux ou le Palais de la Découverte à Paris. Par ailleurs, plusieurs concours nationaux, tels que Ma Thèse en 180 secondes, ou festivals scientifiques, tels que Pint of Science, encouragent les interactions entre les jeunes chercheur·se·s et le grand public. Au regard de ces activités, ce second axe envisage la vulgarisation comme pratique et invite à questionner ses méthodes du point de vue des littératures française, romanes et comparée et des arts du spectacle : comment mettre des connaissances complexes à portée d’un public non averti ? Quelle stratégie de communication adopter ? Quels outils employer ? Il ne s’agit pas simplement de faire l’exposé de sa pratique mais de l’étudier de près pour l’objectiver et ouvrir la discussion. Si le premier axe s'intéresse aux méthodes de vulgarisation propres aux artistes, celui-ci se place du côté des doctorant·e·s.
Plusieurs auteur·rice·s et chercheur·se·s, dans leurs ouvrages et articles respectifs, se sont confrontés à l’exercice. Au début des années 1990, Pierre Laszlo commente par exemple les travaux de George Gamow qui dramatisait ses recherches pour en faire des enquêtes, des récits policiers. Il décrit le langage argotique d'Isaac Asimov ou revient sur les anecdotes et références populaires utilisées par Carl Sagan. En 2014, Cécile Michaut examine dans son manuel les différents outils numériques et nouvelles formes de vulgarisation auprès de quelques chercheur·se·s du CNRS. Dans la continuité de ces ouvrages, nous vous invitons à mener une réflexion scientifique sur une ou plusieurs de vos expériences de vulgarisation. On étudiera la posture et la fonction de chercheur ou de chercheuse hors de l'université, ou l’on appréhendera l'influence de ces pratiques sur la réalisation d'une thèse.
[1] Professeur émérite de l’Université d’Avignon, Daniel Jacobi est un musicologue spécialiste de l’évaluation de l’éducation non formelle. Ses travaux portent sur les discours et l’imagerie scientifiques, les dispositifs d’interprétation des musées, du patrimoine et des expositions.
[2] Jacobi Daniel, Diffusion et vulgarisation : itinéraires du texte scientifique, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté (PUFC), 1986, p. 190.
[3] « Vulgariser », Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) [en ligne], voir : https://www.cnrtl.fr/definition/vulgariser, consulté le 17/01/2022.
[4] Jacobi Daniel, Diffusion et vulgarisation : itinéraires du texte scientifique, op. cit., p.72.
[5] « Esotérisme », Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) [en ligne], voir : https://www.cnrtl.fr/definition/%C3%A9sot%C3%A9risme, consulté le 17/01/2022.
[6] « Vulgarisé », Institut de la langue française (ILF) [en ligne], voir : https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/vulgarise, consulté le 24/01/2022.
[7] « Divulgación » (divulgation) est un terme fréquemment employé en espagnol pour désigner la vulgarisation.
[8] La compagnie des Atomes Crochus “Transformer la science en art, en plaisir, en rire et en jeu”. Voir : https://www.atomes-crochus.org/, consulté le 24/01/2022.
[9] La question est notamment abordée au sujet du « théâtre populaire » dans Marion Denizot (dir.), Théâtre populaire et représentations du peuple [en ligne], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010. Voir : https://books.openedition.org/pur/81186?lang=fr, consulté le 27/01/2022.
Modalités de soumission
Les propositions d’environ une page, enrichies d'une bibliographie indicative et d'une courte biographie, devront être adressées pour le 14 mars 2022 aux adresses suivantes :
lea.chevalier@unicaen.fr, marie.gourgues@unicaen.fr, florine.lemarchand@unicaen.fr et pauline.odeurs@unicaen.fr
Les interventions dureront environ 25 minutes et seront suivies de 15 minutes de questions. Ces modalités peuvent varier ultérieurement, en fonction du nombre d’interventions.
Calendrier
Les propositions retenues seront annoncées d'ici le 21 mars 2022.
Les communications seront entendues le 18 mai 2022 sur le site de l’Université de Caen (campus 1), dans l’amphithéâtre de la MRSH.
Comité organisateur
Léa Chevalier, Marie Gourgues, Florine Lemarchand, Pauline Odeurs.
Bibliographie indicative
Histoire & théorie de la vulgarisation
Allemand Luc, « Vulgariser pour valoriser les sciences humaines et sociales », Mélanges de la Casa de Velázquez [en ligne], n°46-1, 2016, 2022. Voir : https://journals.openedition.org/mcv/7010, consulté le 25/01/2022.
Béguet Bruno (dir.), La science pour tous : sur la vulgarisation scientifique en France de 1850 à 1914, Paris, Bibliothèque du CNAM, 1990.
Bensaude-Vincent Bernadette, « Splendeur et décadence de la vulgarisation scientifique », Questions de communication [en ligne], n°17, 2010. Voir : https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/368, consulté le 25/01/2022.
Caro Paul, La vulgarisation scientifique est-elle possible ?, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1990.
Corsi Jean-Marc, Frances Jean, Le Lay Stéphane, Ma thèse en 180 secondes : quand la science devient spectacle, Vulaines sur Seine, Éditions du Croquant, 2021.
Crête Jean, Imbeau Louis, Ouimet Mathieu, Comprendre et communiquer la science, Québec, Presses Universitaires Laval, 2020.
Giacomotto-Charra Violaine et Silvi Christine (dir.), Lire, choisir, écrire. La vulgarisation des savoirs du Moyen Âge à la Renaissance, Paris, École des Chartes, 2014.
Frances Jean, « Des doctorants en « démo ». Ethnographie de deux sessions posters des Doctoriales », Réseaux, 2015, vol.2-3, n° 190-191, p. 45-71. Voir : https://www.cairn.info/revue-reseaux-2015-2-page-45.htm. Consulté le 18/02/2022.
Frances Jean, Le Lay Stéphane, « Docteurs, Pitches et ascenseurs. L’étrange recette du concours Ma thèse en 180 secondes® », Savoir/Agir, 2020, vol.1, n° 51, p. 51-58. Voir : https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2020-1-page-51.htm. Consulté le 18/02/2022.
Jacobi Daniel, Diffusion et vulgarisation : itinéraires du texte scientifique, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 1986.
Jacobi Daniel, Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, P. Lang, 1987.
Jeanneret Yves, Écrire la science. Formes et enjeux de la vulgarisation, Paris, Presses universitaires de France, 1994.
Jurdant Baudouin, Les problèmes théoriques de la vulgarisation scientifique, Paris, Archives contemporaines, 2009.
Laszlo Pierre, La Vulgarisation scientifique, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.
Michaut Cécile, Vulgarisation scientifique, mode d'emploi, Les Ulis, EDP Sciences, 2014.
Raichvarg Daniel et Jacques Jean, Savants et ignorants : une histoire de la vulgarisation des sciences, Paris, Seuil, 1991.
Diffusion & réception
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Tarragoni Federico, « Le peuple spectateur et l’émancipation démocratique : sur la sensibilité populiste en littérature », Raison publique, vol. 19, n°2, 2014, pp. 199-222.
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L'art & le peuple
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