Séminaire Éditer la poésie XIXe–XXIe s.. Avec Anthony Glinoer et Dominique Kunz Westerhoff (Sorbonne Nouvelle)
Séminaire Éditer la poésie (XIXe–XXIe siècle). Histoire, acteurs, modes de création et de circulation,
animé par Isabelle Diu (BLJD) et Serge LInarès (Sorbonne Nouvelle)
Anthony Glinoer (Université de Sherbrooke, Canada) : « Haro sur l’éditeur de poésie à compte d’auteur »
La conférence portera sur les représentations (fictionnelles et non fictionnelles) de l’éditeur et de l’édition de poésie. A partir d’un corpus de romans, de pièces de théâtre et de poèmes remontant pour certains au XVIIe siècle, je voudrais montrer que l’élection progressive de la poésie comme genre de légitimation s’est accompagnée d’un imaginaire de l’éditeur de poésie malgré lui et de la poésie comme genre invendable, investi « à fonds perdus ». Je mettrai l’accent sur les polémiques entourant l’édition de poésie à compte d’auteur, de Lemerre au Castor astral.
Anthony Glinoer a été titulaire entre 2011 et 2021 de la Chaire de recherche du Canada sur l’histoire de l’édition et la sociologie du littéraire, il est aujourd’hui co-directeur du Groupe de recherches et d’études sur le livre au Québec et directeur de la revue Mémoires du livre / Studies in Book Culture. Ses recherches ont principalement porté sur les imaginaires sociaux de la littérature : il s’est intéressé à la figure de l’éditeur (Naissance de l’Éditeur. L’édition à l’âge romantique avec Pascal Durand en 2005), aux romans de la vie littéraire (co-direction des ouvrages collectifs Imaginaires de la vie littéraire en 2012 et Romans à clés en 2014) et aux groupes d’écrivains et d’artistes (L’âge des cénacles avec Vincent Laisney en 2013, co-direction de « La littérature contemporaine au collectif »). Son dernier livre, publié en 2018, a pour titre La bohème. Une figure de l’imaginaire social. »
Dominique Kunz-Westerhoff (Université de Lausanne, Suisse) : « Passeurs de poésie : La Dogana, maison d’édition genevoise »
Fondée à Genève en 1981 par Florian Rodari (poète et historien d’art, neveu de Philippe Jaccottet), par l’artiste-peintre Peteris Skrebers et l’imprimeur Jo Cecconi, la maison d’édition La Dogana se voue à la poésie dans tous ses états. Les livres, remarquablement travaillés dans leur matérialité (papier, typographie, couverture et illustrations), donnent souvent lieu à de superbes éditions de tête sur grand papier, avec des gravures tirées sur des presses artisanales. Ils sont conçus comme de « petits postes frontières », selon l’intitulé vénitien de l’éditeur et son image-signature empruntée à une ancienne photographie de la pointe de la douane maritime, sur le Grand Canal de Venise. Dans le livre du vingtième anniversaire de La Dogana, Un visa donné à la parole (2011), Florian Rodari décrit « l’idée de frontière, non pas à effacer, mais à franchir », pour saisir la poésie dans ses manifestations les plus libres, de la forme lyrique, qui constitue le cœur du catalogue (collection « Poésie »), à la prose rythmée (collection « Prose »), à l’essai (« Essai »), longtemps avec Jean Starobinski, et à la conférence (« Poésie prétexte »). La Dogana sanctionne encore par la publication le droit de passage de la poésie vers d’autres arts : la musique par le lied ou la voix des poètes (collection « Ad alta voce »), la peinture et la gravure (collection « Arts »).
« Lieu de transit plus que de contrôle » (Florian Rodari), l’éditeur fait passer les œuvres de poètes de Suisse romande en France, grâce à la publication de recueils de très grande qualité, sous la plume d’auteurs tels que Laurent Cennamo, Pierre Chappuis, Sylviane Dupuis, Anne Perrier, Pierre-Alain Tâche, José-Flore Tappy, Pierre Voélin, Frédéric Wandelère et le Grison italophone Grytzko Mascioni, pour ne citer qu’eux. À l’inverse, La Dogana publie également en Suisse des poètes français, comme ses très fidèles auteurs et traducteurs Philippe Denis et Michel Orcel, ou encore Jean-Paul Hameury, Gilles Ortlieb, Jean-Luc Sarré... Philippe Jaccottet, complice de toujours, représente la figure tutélaire de ces échanges transfrontaliers par ses recueils (Libretto en 1990, Truinas en 2004…) et ses anthologies de poésie, mais aussi par ses grandes traductions des Solitudes de Góngora (1984), de poèmes de Mandelstam (Simple promesse, avec Louis Martinez et Jean-Claude Schneider, 1994) et des Élégies de Duino (2008) de Rilke. La traduction lyrique forme ainsi un bouquet de fleurons et de véritables succès de librairie pour La Dogana, en particulier L’églantier fleurit (2010), un choix de poèmes d’Anna Akhmatova traduits par Marion Graf et José-Flore Tappy. Citons encore des recueils de Leopardi, Keats, Emily Dickinson, ou encore en ce 700e anniversaire de la mort de Dante, La Divine Comédie par Michel Orcel.
Enfin, la critique d’art représente l’un des volets éditoriaux les plus importants et luxueux de l’éditeur, avec pour emblème Le Bol du pèlerin (Morandi) (2008) de Philippe Jaccottet (l’un des plus grands best-sellers de La Dogana) et, du même poète, Bonjour Monsieur Courbet, paru à titre posthume (2021). De très beaux livres de la collection « Arts », en particulier dans leur version de « luxe », sont consacrés à des peintres et graveurs suisses : Jean Eicher dit Loiseau, Albert-Edgar Yersin, Gérard de Palézieux (présenté par Yves Bonnefoy et Florian Rodari), Anne-Marie Jaccottet, auxquels il faut ajouter Edmond Quinche et Jean Lecoultre, commentés par le fondateur de La Dogana, Florian Rodari, lui-même spécialiste de la gravure. Ainsi, l’audace et l’inventivité de cette maison d’édition demeurent florissantes après quarante ans d’activité, avec le soutien de ses diffuseurs, les petits libraires de Suisse et de France.
Dominique Kunz Westerhoff est professeure de littérature française des XIXe-XXIe siècles à l’Université de Lausanne et au Collège des Humanités de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne. Ses recherches portent sur l’image poétique et les théories de l’imagination, les rapports de la littérature et des arts visuels, le livre d’artiste et la poésie romande. Dans le cadre de l’EPFL, elle consacre également des travaux aux représentations de l’homme-machine. Publications sur la poésie et les arts : Neige, blanc, papier. Poésie et arts visuels à l’âge contemporain, avec Philippe Kaenel, Genève, MetisPresses, 2012 ; Edith Boissonnas, l’écriture à l’état brut, avec Daniel Maggetti et Muriel Pic, Genève, MetisPresses, 2019. À paraître fin 2021 : Les livres d’artistes d’Edwin Engelberts, avec Philippe Kaenel, Genève, éditions Notari ; « Faire le mur : les tracés lyriques de Sylviane Dupuis », Revue Nue 74. À paraître en 2022 : Poésie & Photographie, avec Philippe Kaenel, Serge Linarès et Antonio Rodriguez (Europe).