Actualité
Appels à contributions
Engagements : enjeux méthodologiques, esthétiques et pratiques (journées doctorales, Paris 1)

Engagements : enjeux méthodologiques, esthétiques et pratiques (journées doctorales, Paris 1)

Publié le par Marc Escola (Source : Clément Dumas)

Journées d’études doctorales ED APESA / Institut ACTE

Engagements : enjeux méthodologiques, esthétiques et pratiques

Paris, le 9 et 10 mai 2022

Dans la continuité des journées d’études précédentes, consacrées à l’illustration (2016), à la description (2018), et à l’interprétation (2021), qui ont rassemblé des doctorant·e·s en cinéma, esthétique, arts plastiques et histoire de l’art, nous, doctorant·e·s de l’École Doctorale APESA (Arts Plastiques, Esthétique et Science de l’Art), souhaitons désormais questionner l’engagement, dans ses enjeux à la fois méthodologiques, esthétiques et pratiques, à la lumière de nos travaux respectifs.

Les attaques ministérielles contre l’« islamo-gauchisme » et le « wokisme » qui rongeraient l’Université sont venues réactiver un débat au sein de la recherche – des sciences exactes aux sciences humaines et sociales – sur la participation, l’implication, l’investissement des chercheur·se·s dans leur objet d’étude. Ainsi, Nathalie Heinich dénonce une « confusion des arènes », patente à ses yeux dans ce qu’elle appelle le « militantisme académique[1]. » Nous sommes convaincu·e·s que ces questions ne doivent pas être posées uniquement dans les médias ou sur les réseaux sociaux, mais que c’est au sein de l’Université, par l’organisation de véritables rencontres scientifiques et non de simulacres de colloques, que ce débat a sa place.

Que les cinéastes ou les artistes puissent être engagé·e·s, c’est-à-dire qu’ils·elles puissent se sentir au monde ou du monde au point de ne pas se contenter de le ressentir et de l’exprimer mais d’y participer, est un fait indiscutable dont nombre de films, d’œuvres plastiques ou de performances sont les preuves flagrantes. Pour les chercheur·se·s qui font de ces œuvres leur objet d’étude, il s’agit, par-delà leur engagement effectif – marxisme, féminisme, décolonialisme, … – de questionner leur propre posture face aux implications politiques, sociales ou encore éthiques de leur sujet de recherche.

Il y a là apparemment un piège dont la polysémie de la notion d’engagement elle-même permet de rendre compte. En effet, en entreprenant un travail de recherche, quel qu’en soit l’objet, on semble s’engager avant tout à faire œuvre scientifique et donc, précisément, à ne pas s’engager… Il semblerait, pour continuer à jouer sur le mot, que lorsqu’elle s’empare d’objets d’étude dits engagés, la recherche universitaire s’engage en terrain miné ou dans un passage fort délicat… Mais l’enjeu au fond n’est pas de se demander si les chercheur·se·s peuvent ou non faire l’apologie ou le procès des engagements des artistes, mais de questionner et d’affronter d’une part les formes que ces engagements prennent et assument, au cinéma et dans les autres arts, et d’autre part les méthodes avec lesquelles les chercheur·se·s sont amené·e·s à les aborder, ainsi que les difficultés, les limites et les pièges qu’ils·elles peuvent être amené·e·s à rencontrer.

Le monde de la recherche universitaire, tout comme celui de l’art, ne saurait prétendre sans illusion ou mauvaise foi être « hors sol », séparé du monde social et de ses enjeux politiques. Comme le rappelle Bruno Latour, s’il n’y a certes « pas de savoir assuré sans se retirer de l’agora, sans en passer par le laboratoire dont on aura fermé soigneusement les portes pour avoir le temps tout simplement de penser », en même temps, il est « impossible d’en rester au laboratoire. À peine entré dans le silence des enceintes, il faut en ressortir pour convaincre d’autres collègues, pour intéresser des financeurs, des industriels, pour enseigner les étudiants, satisfaire l’appétit de connaissance du public[2]. » Néanmoins, l’engagement ne saurait être seulement celui d’un savoir produit dans des lieux dédiés, situés hors de la cité avant d’être déversé sur cette dernière, mais bien le refus d'une objectivité fantasmée au profit d’une approche des savoirs par les pratiques et par les conditions matérielles de leur production. En art, ces questions que posent les luttes sociales aux œuvres et à leur fabrication imposent aux chercheur·se·s de s’interroger sur le point de vue qu’ils·elles adoptent relativement à leur objet, ou faudrait-il ajouter, à leur(s) sujet(s).

La pratique même de l’écriture des chercheur·se·s peut être liée à la question de l’engagement, comme le fait notamment Jacques Rancière : « Derrière la distinction écriture philosophique /écriture littéraire, il y a […] une opposition plus fondamentale entre deux manières d’utiliser la langue : la rhétorique qui cherche à provoquer la conviction ou le consentement, et la poétique qui cherche à produire une nouvelle manière de sentir. Très souvent, ce qu’on appelle “rigueur philosophique” n’est qu’un agencement rhétorique. Et la rhétorique tend toujours plus ou moins à vaincre un adversaire. Ce que je cherche, pour ma part, c’est à produire un mode de compréhension qui soit justement délivré de toute idée de supériorité acquise, une manière de partager et non de dominer[3]. »

Enfin, l’enjeu de l’engagement ne se réduit pas à la portée politique d’une œuvre d’art ou même à l’histoire des combats des artistes dans leur relation à la société, mais réside aussi dans une étude de l’œuvre qui en révèle la potentialité perturbatrice, « lézarde les chaînes de la détermination qui condamnent à l’arbitraire du consensus[4]. » Carlo Ginzburg, dans son enquête génétique de l’expédient formel qui sépare les chapitres V et VI de la troisième partie de L’Éducation sentimentale de Flaubert, identifie la position virulente du romancier français envers la IIIe République[5]. On peut penser, en cinéma, à la lecture de l’œuvre d’Abel Ferrara par Nicole Brenez, qui y perçoit une dimension critique forte, héritière en quelque sorte de Pasolini et Adorno[6], notamment, ou plus récemment à la manière dont Anne E. Duggan renouvelle la vision de certains films de Jacques Demy, au double prisme des études littéraires sur les contes de fées et des queer studies[7].Finalement, les récentes disséminations de l’écocritique littéraire vers le cinéma, les arts visuels et plastiques, invitent à renouveler nos outils d’analyse, les chercheur·se·s ne pouvant plus ignorer les modèles représentatifs de la nature déployés dans les œuvres, les techniques et médiums utilisés, et plus généralement, l’impact intellectuel, émotionnel, environnemental de l’art. 

Ainsi, ces questions autour de l’engagement se posent à l’ensemble des chercheur·se·s en cinéma, arts plastiques, esthétique et histoire de l’art, que leur sujet de recherche porte ou non sur des artistes, des œuvres, ou des thématiques directement liées à la notion d’engagement. Car il semble bien que toute œuvre, dès lors qu’elle exprime un regard porté sur le monde, y prend position, et de même, tout·e chercheur·se, dès qu’il·elle tente de tracer un chemin rendant son objet intelligible, s’avance (ne serait-ce qu’intellectuellement) ou – pour revenir au sens premier de l’engagement – met en quelque sorte sa pensée en gage.

Dès lors, plusieurs pistes pourront par exemple être envisagées dans les propositions :
. Trouver la bonne distance
. Les limites de l’engagement
· La question de l’objectivité
. Les jeunes chercheur·se·s dans le monde : « écologie » des doctorant·e·s
· Le choix du corpus : enthousiasme et indignation
. Approches possibles de l’œuvre engagée
. Lectures engagées ou politiques d'œuvres non-engagées
. Théorisation de l’engagement en art
. Renouvellement des manières de penser ou d’étudier l’art
. Interrogation sur la distinction entre critique d’art et recherche universitaire
. Au-delà des œuvres : les festivals, les technicien·nes, les acteur·ices…

Ces journées d’études adressées aux doctorant·e·s se tiendront les 9 et 10 mai 2022 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Centre Saint-Charles). Afin de favoriser les échanges, la durée des interventions sera de vingt minutes suivies de dix minutes de questions. Les propositions de communication (un titre, 500 mots maximum et une courte notice bio-bibliographique) doivent être envoyées à je.apesa@gmail.com au plus tard le 7 mars 2022.

Comité scientifique/d’organisation : 

Wladislas Aulner, Catarina Bassotti, Camille Bui, Alessandro Cariello, Clément Dumas, Barbara Fougère, Cécile Gornet, Aurélien Gras, Hayk Paul Hambartsum, Occitane Lacurie, Federico Lancialonga, Sarah Leperchey, Anaëlle Liégeois-de Paz, Massimo Olivero, Caroline San Martin, Joy Séror.

 
[1] Nathalie Heinich, Ce que le militantisme fait à la recherche, Paris, Gallimard, collection « Tracts » (n° 29), mai 2021.
[2] Bruno Latour, Cogitamus. Six lettres sur les humanités scientifiques, Paris, Éditions de la Découverte, 2010, p. 163.
[3] Jacques Rancière, Les mots et les choses. Dialogue avec Javier Bassas, Paris, La fabrique éditions, 2021, p. 95-96 (nous soulignons).
[4] Jean-Marc Lachaud, “Que peut l’art”, in Dominique Berthet, Art et engagement, « Recherches en esthétiques », n°19, p. 25-30. 
[5] Carlo Ginsburg, “Déchiffrer un espace blanc”, in Rapports de force, Histoire, rhétorique, preuve, Paris, Gallimard, p. 87-100.
[6] Nicole Brenez, Abel Ferrara. Le mal mais sans fleurs, Paris, Cahiers du cinéma éditions, 2008. 
[7] Anne E. Duggan, Enchantements désenchantés. Les contes Queer de Jacques Demy (2013), traduction de Jean-François Cornu, Rennes, PUR, 2015.