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Appels à contributions
Traverser la Méditerranée en péril : passages, passeurs, passerelles… (revue Inter-Textes)

Traverser la Méditerranée en péril : passages, passeurs, passerelles… (revue Inter-Textes)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Eugenia Grammatikopoulou)

Pour le 22e numéro de la revue en ligne Inter-Textes (ISSN: 2241-1186,  http://dia-keimena.frl.auth.gr/index.php/fr/) du Laboratoire de Littérature Comparée du Département de Langue et de Littérature Françaises de l’Université Aristote de Thessalonique (http://esg.frl.auth.gr/index.php/fr/) nous proposons un appel à contributions autour de représentations littéraires contemporaines et extrême-contemporaines de la Méditerranée maritime traversée aux XXe et XXIe siècles par des individus sinistrés, poussés par la nécessité et le (dés)espoir.

« Le vent se lève !... Il faut tenter de vivre ! » (Paul Valéry, « Le Cimetière marin », Charmes, 1920)

2021, l’agence des Nations unies pour les réfugiés compte plus de 2 500 personnes mortes ou disparues en mer, en moins d’un an. Obscur charnier, la Méditerranée devient cimetière marin pour celles et ceux qui « tentent de vivre ». L’actualité politique européenne est submergée d’accusations de pushbacks illégaux et autres pratiques officielles inhumaines par de nombreuses ONG, de procès ahurissants transformant victimes et sauveurs en prisonniers, d’interventions ‘dynamiques’ de la FRONTEX et d’incidents graves pour non-respect total des droits des réfugiés que les États-membres de l’U.E. nient ; quant aux voix des journalistes indépendants et solidaires, elles sont plus que souvent bâillonnées.   

Des Danaïdes antiques à la « crise » actuelle des migrants, la Méditerranée demeure un lieu de passage par excellence. Demandeuses d’asile de la Grèce antique, fuyant un mariage forcé, s’inscrivent dans la lignée d’une célèbre exilée, Io, dont l’errance prend fin en Egypte, terre étrangère où sa descendance se ré-enracine. Ces migrantes antiques rappellent à notre mémoire le caractère sacré de l’hospitalité, valeur universelle, une hospitalité inconditionnelle pour reprendre Derrida (1997) depuis des temps bien anciens. Diverses figures de « passeurs », d’Hérodote à Léonard de Vinci, en passant par Averroès, Jean-Léon de Médicis, dit Léon l’Africain, ont sillonné l’étendue méditerranéenne, lieu qui a nourri leurs écrits depuis les temps anciens jusqu’à nos jours. 

Si ces figures se sont illustrées, sur le plan des relations intellectuelles et culturelles, une forme de cosmopolitisme, force est de constater que les individus contraints de traverser à leur tour la Grande bleue sont désormais soumis à une économie de marché ultra-libérale. Pis, forcés de fuir des régimes dictatoriaux, la famine, les guerres et la violence sous ses multiples facettes, hommes, femmes, enfants, orphelins, tous sont devenus une marchandise, un bien, une plus-value pour les vendeurs de rêves. Au péril de leur vie, ces êtres qui ont tout perdu essayent de survivre en s’engageant dans des embarcations de fortune et ce, quels que soient la destination et le temps qu’il faut pour l’atteindre. 

Combien de voyageurs et d’explorateurs vagabonds ont sans cesse voulu découvrir l’Homme, aller au-delà des limites du monde connu pour « suivre vertu et connaissance », selon l’expression que Dante prête à Ulysse dans l’Enfer. Toujours poussés par un désir de liberté qui s’exprime par l’acte de franchir les limites, les deux dernières décennies voient les réfugiés, migrants ou exilés réendosser ce costume de vagabond dans l’espoir de trouver une terre de liberté, un havre de paix, un ailleurs pour sauv(egard)er leur part d’humain, leur humaine condition (Montaigne). Les narrations des traversées maritimes de la Méditerranée ne nourrissent plus le fascinant et sempiternel désir de liberté et d’enrichissement culturel mais une lutte inégale de survie, lutte moralement justifiée mais pratiquement obstruée par toutes sortes de gardiens de la loi et de la paix qui veillent aux portes d’une Europe dont les valeurs humanistes sont à repenser : le geste hospitalier est passible d’emprisonnement. 

À partir d’une littérature contemporaine (Cannibales de Mahi Binebbine, 1999, Eldorado de Laurent Gaudé, 2006, Harraga de Boualem Sansal, 2007, Un océan, trois mers, deux continents de Wilfried N’Sonde, 2018, Mur Méditerranée de L.-Ph. Dalembert, 2019, Les Damnées de la mer de Camille Schmoll, 2020), du théâtre (Ariane Mnouchkine, Le Dernier Caravansérail/Odyssées, 2003), du cinéma (Eden à l’Ouest de Costa Gavras, 2009 ; Harraga de Merzak Allouache, 2010), de la photographie et des arts plastiques (Yannis Bechrakis, Nilüfur Demir, Bansky, Ai Weiwei, et autres) ayant loué ou dénoncé les migrations méditerranéennes actuelles, il s’agit de chercher à donner une voix et un visage à tous ces exilés. 

Les contributions pourront s’inscrire dans plusieurs axes :

1.     Dire l’indicible, articuler l’odyssée : comment la prose ou la dramaturgie contemporaines brossent le portrait d’enfants, de femmes et d’hommes qui tentent, au risque de mourir, de braver la mer et que les sociétés modernes camouflent sous l’apparence d’une masse migratoire s’échouant comme une vague sur les rives européennes ? 

2.     Du passage à l’impasse. La plupart du temps, prendre le large signifie dans ce contexte couler et/ou finir en captivité ; une nouvelle forme de camps de concentration a été montée pour les naufragés. De l’euphémisme hotspot aux camps de détention précaire, ces prisons à ciel ouvert ne cachent guère une stratégie bien calculée autant que maligne à l’égard des migrants et réfugiés, celle de la dissuasion par l’aversion, visant à les décourager de tenter toute traversée de frontières.

3.     Mettre en relief le paradoxe éthique vs politique : le droit civique, fondé en grande partie sur la notion de fraternité, est contredit face à l’intimidation de ne pas porter assistance aux personnes en danger sous peine d’être poursuivi. L’enseignement des Lumières dont l’Europe se veut le garant est en pratique piétiné par la politique communautaire et une bureaucratie sans précédent qui culpabilisent le principe d’hospitalité et criminalisent l’humanitarisme. Du « passeur » économique, vendeur du « rêve européen », aux réfugiés jusqu’aux solidaires, chacun fait preuve d’une forme de criminalité aux yeux de l’État.

4.     Montrer la dissimulation rusée et la falsification de l’identité. D’une part, le passeur intellectuel et culturel, insatiable de curiosité et voué à l’expérience de l’exil dans ce qu’elle possède de déracinant ; d’autre part, le réfugié à bord et soumis au bon vouloir d’un passeur monétaire. Si ces deux entités n’entament pas l’odyssée méditerranéenne pour les mêmes raisons, chacune rappelle la nécessité de la rencontre avec l’Autre, fondatrice de civilisations et dont la vitalité demeure dans le métissage. Chacun fait preuve : il fait de la Méditerranée un espace de fiction et s’affirme en tant que représentant tantôt d’une sagesse, tantôt d’une menace.

Modalités de participation

Les approches comparatistes et croisées seront privilégiées. Les propositions comporteront un titre provisoire, cinq mots-clés en français, un texte de 700-800 mots, suivi d’une bibliographie sélective et d’une brève notice bio-bibliographique de 200 mots ; elles devront être envoyées avant le 13 mars 2022 aux adresses suivantes : 

andreapap@frl.auth.gr, ploumistaki@frl.auth.gr, jenna.elhilali@gmail.com 

Les propositions seront évaluées de manière anonyme, en double aveugle (peer review). Les auteurs et autrices seront informé.es des résultats fin mars 2022. Les premières versions des articles complets (d’environ 4 000 mots) seront à rendre mi-août 2022 au plus tard. Le numéro paraîtra en décembre 2022.