Non nova, sed nove scribere. Étudier la présence non revendiquée de structures textuelles issues de la littérature antique dans la littérature française (du Moyen Âge à nos jours)
La plupart des travaux de réception de la littérature antique dans la littérature française depuis le Moyen Âge étudient la question sous un angle essentiellement thématique : c’est ainsi que l’on relève que la topique de l’amant déçu, chère aux poètes élégiaques latins de l’ère augustéenne, est réinvestie par les poètes de la Pléiade ; ou encore, que Molière, Racine et Corneille reprennent au XVIIe siècle les intrigues de leurs pièces aux dramaturges latins et grecs. Ces reprises d’auteurs anciens sont le plus souvent clairement revendiquées.
Au cours de cette journée d’étude, nous souhaitons prolonger ces réflexions, en proposant une approche différente :
- d’une part, nous nous intéresserons à la reprise textuelle ou structurelle, par un auteur français moderne, du style, du vocabulaire, de la syntaxe ou des principes de composition d'un auteur antique. Nous travaillons donc à échelle fine, dans une perspective textuelle (lexicale, rhétorique, stylistique, etc.), que complètera seulement l’étude thématique ;
- d’autre part, nous proposons d’orienter les recherches sur les reprises non présentées comme telles, et non référencées par les auteurs modernes. Nous évacuons donc les citations annoncées ou les mentions nominales d’auteurs anciens.
Par exemple, dans l'Épître au Roi, qui sert de préface à l'Institution de la religion chrétienne (1536), Jean Calvin s'adresse à François Ier pour défendre la cause évangélique, et demander un arrêt des arrestations et des massacres commandés par le roi. Calvin livre un texte apologétique teinté de vocabulaire juridique, mais Olivier Millet a déjà montré1 que la structure rhétorique de l'argumentaire était copiée, parfois mot pour mot, de l'Apologeticum de Tertullien, écrit à la fin du IIe siècle : dans ce texte adressé aux gouverneurs romains hostiles aux chrétiens, le Père de l’Église défend la foi en Christ et somme les magistrats de cesser les persécutions. Le parallèle littéraire est pourtant difficile à voir, puisque jamais Calvin ne cite Tertullien dans cette Épître, ni dans le corps du texte, ni en manchette. Cette élucidation de la source antique est pourtant riche d'enseignements pour comprendre la pensée du Réformateur, ainsi que ses références : il paraît étonnant, au premier abord, qu'un protestant attaché au principe du sola scriptura, soit imbibé de lectures patristiques au point d'en être influencé dans son écriture, alors que les Pères sont clairement revendiqués par l'Église catholique de Rome depuis plusieurs siècles.
De même, Le Roman comique de Scarron s’ouvre sur l'arrivée d'une troupe de comédiens itinérants dans la ville du Mans, sous le regard intéressé des habitants. Comme l'a souligné Françoise Létoublon2, cet incipit in medias res (« Le soleil avait achevé plus de la moitié de sa course et son char, etc. ») est un emprunt direct à un roman grec, Les Éthiopiques d'Héliodore, que l’auteur ne cite jamais. Au-delà de la première phrase de Scarron qui amplifie pour mieux subvertir la topique du lever du soleil, c'est le passage tout entier qui repose sur une structure rappelant davantage le modèle grec que les romanciers du XVIIe siècle se réclamant d'Héliodore. Les habitants du Mans, loin des protagonistes de haute naissance des romans héroïques, se retrouvent à la même place que les brigands d'Héliodore : dans les deux cas, ils sont de simples témoins à travers le regard desquels le lecteur découvre des personnages et une scène mystérieuse (naufrage d'un côté, troupe bigarrée de l'autre) que des récits rétrospectifs se chargeront d'élucider progressivement.
Ces reprises ne sont pas annoncées par l'auteur, elles peuvent donc s'apparenter soit à des citations masqués, soit à de simples inspirations lointaines, voire inconscientes. En sondant ainsi la « bibliothèque mentale » des auteurs modernes que nous étudions, nous verrons donc s’il est possible de révéler les influences qu'ils ne revendiquent pas explicitement par une mention directe.
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Comme nous souhaitons mettre l'accent sur l'étude à échelle fine du texte, nous pensons que la connaissance de la langue ancienne est un prérequis important. Notre objectif est donc de rassembler des chercheurs (enseignants, doctorants, étudiants en Master, etc.) en littérature française médiévale, moderne ou contemporaine, mais spécialistes de langues anciennes, ou, à tout le moins, suffisamment à l’aise avec le latin ou le grec pour travailler sur les textes sources.
La journée d’étude se tiendra à Lyon en février ou mars 2023, avec le soutien de l’IHRIM. Le planning exact dépendra des réponses que nous recevrons de la part des chercheurs intéressés : merci donc d’envoyer avant le 30 novembre 2022 à l’adresse mail dédiée (colloque2022lyon3citation@gmail.com), votre CV, un résumé de votre intervention, ainsi qu’une bibliographie.
Si cette journée vous intéresse mais que vous ne souhaitez pas proposer une communication, merci de nous envoyer tout de même un CV, une bibliographie, et un descriptif de vos recherches : nous ménagerons probablement un ou plusieurs temps plus interactifs (format « atelier »), où nous pourrons échanger et travailler ensemble sur les textes de quelques-uns. Nous accueillerons volontiers des chercheurs ayant commencé récemment de telles recherches pour échanger avec eux et explorer de nouvelles pistes, l’objectif étant de s’entraider et de faire évoluer notre travail et notre approche de manière collective.
Si nous constatons que notre projet a suscité de l’intérêt, et que nos travaux lors de cette journée se sont révélés fructueux, nous organiserons un colloque l’année suivante sur le même thème.
Journée d’étude organisée par Cassandre Heyraud et Quentin Roca, doctorants à l’Université Lyon 3, membres de l’IHRIM.
1 Olivier Millet, Calvin et la dynamique de la parole. Étude de rhétorique réformée, Paris, Honoré Champion, 1992, p. 230-231.
2 Françoise Létoublon, « La rencontre avec les personnages de roman : des Éthiopiques au Roman comique », Topographie de la rencontre dans le roman européen, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2008, pp. 327-341.