Actualité
Appels à contributions
L’image (Revue Alkemie, n° 30)

L’image (Revue Alkemie, n° 30)

Publié le par Marc Escola (Source : Aurelien Demars)

L’IMAGE

Appel à contribution pour le numéro 30 d’Alkemie

Revue semestrielle de littérature et philosophie

De l’imitation platonicienne comme image dégradée de la Réalité (pourtant formée d’Idées, donc d’images si l’on tient compte du radical « voir » du terme…) au « stupéfiant image » d’Aragon [1], d’iconoclastie à iconolâtrie, du « trafic d’images [2] » et de leur « auréole imaginaire [3] » de Bachelard aux  métaphores de Foucault qui, « en se neutralisant, restituent sa profondeur à l’immédiat [4] » ou à la conscience imageante de Sartre posant son objet comme un pur néant, d’image en image sans image ou en image d’image, chacun peut y trouver son compte.

D’autant qu’on pourrait estimer que tout est image (et donc que rien ne l’est). Démocrite nommait idées les atomes [5], dont le rythme évoquait le tracé des lettres. Augustin nous a raconté les exercices d’hypotypose demandés aux étudiants (le discours créant dans l’âme de l’auditeur des images, celles de l’incendie de Troie par exemple), Pierre Hadot parle d’ « écriture idéographique » à propos du symbolisme logique chez Wittgenstein, les images se traduisant en mots et les mots en images [6]. C’est d’ailleurs la signification de l’anthropomorphisme nietzschéen comme « assimilation » de la réalité, « multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes, bref, une somme de relations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement haussées, transposées, ornées [7]… » Sommes-nous alors voués, comme Ulysse étreignant trois fois en vain sa mère au royaume des Ombres (chant IX de l’Odyssée), à n’embrasser que le leurre d’une image (eidôlon) et à perdre le lien au réel ?

Pour Steven Pinker il s’agit pourtant de distinguer images mentales, images présentes dans le monde (et bien sûr comme Sartre image chose / matière et image figurée) ou encore image logique du monde dans le langage (Wittgenstein) [8], tant est grand le risque postmoderniste où l’on n’agirait que sur des images (politique, sexe, race, etc.) et non des entités réelles. Une image physique renvoie la lumière comme des objets ou êtres réels, mais l’esprit est capable de les discerner même si l’on peut se perdre dans la fiction. D’ailleurs Daniel Dennett montre l’écart qui peut séparer images mentales et signes linguistiques : soit la phrase « Hier, mon oncle a renvoyé son avocat. » Elle se comprend de la même façon tout en provoquant des séquences d’images différentes [9]. « L’imagerie ne pourrait pas constituer la clé du processus de compréhension, parce que vous ne pouvez pas dessiner l’image d’un oncle, de la journée d’hier, d’un renvoi, d’un avocat… »

Peut-être l’image (sans s’appesantir sur son anagramme magie en français) doit-elle se penser dans un procès de projection / introjection. Lacan parle de « furieuse passion, qui spécifie l’homme, d’imprimer dans la réalité son image [10] ». Projection, mouvement même du désir, mais aliénation aussi (« assomption jubilatoire de son image spéculaire ») au risque paradoxal de rupture monde / homme [11]. Un tel risque justifie ce va-et-vient projection / introjection (élargissement du moi par absorption et construction d’une « image symbolique » efficiente) qui est à la source de la magie poétique [12].

Allons plus loin : l’introjection peut se faire incorporation, manducation et digestion. Jérémie Koering, auteur d’un récent ouvrage sur l’iconophagie [13], exprime subtilement cette ambigüité de l’image : « Cette pratique met en évidence le rôle fondamental des images dans notre rapport au monde. Elles sont consubstantielles à la vie, à tel point que nous pouvons les ingérer pour nous saisir de l’absence qu’elles figurent. L’iconophagie rend ainsi sensible l’idée que toute image oscille perpétuellement entre présence et absence, être et néant [14]. » 

Gratter, lécher, mâcher, ingérer, digérer les images, qu’elles aient une valeur cultuelle ou spirituelle, après les avoir projetées sur telle ou telle surface sont « les traces d’une pratique révélant le besoin d’un rapport physique aux images réprouvé par le rationalisme moderne. […] au contraire cette histoire de l’iconophagie révèle que les images existent d’abord comme des images-objets [15]. » Un tel festin, ascétique certes (mais pourquoi ne serait-il rabelaisien ?), d’images peut ouvrir des perspectives sur un sujet auquel se sont confrontés les plus grands philosophes, écrivains et artistes… C’est le projet de ce nouveau numéro d’Alkemie

Pierre Garrigues 
Université Paris-Dauphine Tunis 


[1] « Le vice appelé Surréalisme est l’emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image, ou plutôt de la provocation sans contrôle de l’image pour elle-même et pour ce qu’elle entraîne dans le domaine de la représentation de perturbations imprévisibles et de métamorphoses : car chaque image à chaque coup vous force à réviser tout l’Univers. » L. Aragon, Le Paysan de Paris, 1926, Œuvres poétiques complètes, dir. Olivier Barbarant, Paris, Gallimard, coll.  « La Pléiade », I, 2007, p. 189-190.
[2] G. Bachelard, L’Engagement rationaliste, Paris, PUF, 1972, p. 70.
[3] G. Bachelard, L’Air et les Songes, Paris, Corti, 1943, p. 7.
[4] M. Foucault, « Introduction » à L. Binswanger, Le Rêve et l’Existence, Desclée de Brouwer, 1954, p. 115-116.
[5] « Démocrite appelait idées les principes » (Reconnaissances, VIII, 15.), in J. P. Dumont, Les Écoles présocratiques, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1991, p. 431.
[6] Voir à ce propos l’admirable film (2017) de Naomi Kawase, Vers la lumière, qui traite, entre autres, des rapports entre image cinématographique, image mentale et audiodescription pour personnes non-voyantes.
[7] F. Nietzsche, Le Livre du philosophe, trad A. K. Marietti, Paris, Aubier Flammarion, 1966, p. 181-183.
[8] S. Pinker, Comprendre la nature humaine, Paris, Odile Jacob, 2005, p. 303-309.
[9] D. Dennett, La Conscience expliquée, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 56-57.
[10] J. Lacan, Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 116.
[11] T. M. Greene, Poésie et magie, Paris, Julliard, 1991, p. 95-96.
[12] Ibid., p. 92.
[13] J. Koering, Les Iconophages. Une histoire de l’ingestion des images, Arles, Actes Sud, 2021.
[14] Propos recueillis par Youness Bousenna. Publié le 30 mai 2021 : https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/
[15] Ibid.

*

Les propositions d’article, inédit et en langue française, sont à envoyer jusqu’au 1er juin 2022. Les textes doivent être transmis au comité de rédaction, aux adresses info@revue-alkemie.com et mihaela_g_enache@yahoo.com (en format Word, 30 000 à 50 000 signes maximum, espaces comprises). Les normes de rédaction et autres indications aux auteurs sont précisées sur le site de la revue (http://www.revue-alkemie.com/_03-alkemie-publier.html).

Outre votre contribution, nous vous prions d’ajouter, d’une part, une courte présentation bio-bibliographique (400 signes environ) en français, et, d’autre part, votre titre, un résumé (300 signes environ) et cinq mots-clefs en anglais et en français.

Date limite : 1er juin 2022.
Site de la revue Alkemie : http://www.revue-alkemie.com
Directrice : Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR
(mihaela_g_enache@yahoo.com)