Actualité
Appels à contributions
Les écrits sauvages de la contestation (Observatoire des Littératures Sauvages, Namur)

Les écrits sauvages de la contestation (Observatoire des Littératures Sauvages, Namur)

Publié le par Marc Escola (Source : Denis Saint-Amand)

« Les écrits sauvages de la contestation »

Colloque inaugural de l’Observatoire des Littératures Sauvages,

Université de Namur, 2 et 3 juin 2022

Dans L’institution de la littérature (1978), Jacques Dubois rassemblait sous la désignation « littératures parallèles et sauvages », les écrits « qui ne participent d’aucun des réseaux [habituels] de production-diffusion, qui s’expriment de façon plus ou moins spontanée et se manifestent à travers des canaux de fortune ». De cet ensemble relèvent les écrits polymorphes qui émergent lors des crises sociopolitiques et, se déclinant sous la forme de tags, banderoles, pancartes, affiches, collages et autres revues artisanales, contribuent au rayonnement d’un mouvement social en œuvrant à rendre visibles et accessibles ses revendications, ses croyances et son imaginaire.

C’est à ces écrits sauvages de la contestation qu’est consacré le présent colloque : leur déploiement sur des supports de fortune (voire leur illégalité) et leur réaction à l’actualité les rend doublement éphémères ; pour autant, reposant sur une dynamique collective et anonyme autant que sur la capacité à tirer parti de canaux artisanaux, ils interpellent en favorisant l’émergence d’une parole vive, dans la logique d’un défouloir où se croisent élans lyriques, affirmations brutes, saillies humoristiques et invectives. Collages contre le féminicide, tags des Gilets jaunes, banderoles du confinement et pancartes brandies lors des récentes manifestations contre des situations jugées insupportables (réchauffement climatique, violences policières et politiques d’austérité – de la « loi Travail » à la LPPR en passant par la réforme des pensions) permettent de constituer un corpus français contemporain foisonnant, autour duquel se construira le programme de ces journées. Il s’agira, en croisant les acquis de la sociologie, de l’analyse du discours, de l’anthropologie des écritures ordinaires, mais aussi de la poétique historique, d’interroger la façon dont ces écrits sont pensés et construits, comment ils inventent des formes singulières et déplacent les frontières de la littérarité, la manière dont ils sont diffusés. Nous proposons de structurer la réflexion autour de trois grands axes :  

1) Genèse et conditions d’énonciation : Comment ces écrits émergent-ils ? Quelles sociabilités organisent leur élaboration et leur réalisation ? Les modèles de l’atelier et du laboratoire sont-ils pertinents pour interroger la préparation et l’expérimentation de ces écrits ? Quel rapport ces derniers entretiennent-ils avec l’oralité ? Certains slogans de mai 68 étaient à la fois criés dans les manifestations et reproduits sur les affiches confectionnées par l’Atelier populaire (ils continuent à être mobilisés aujourd’hui – « CRS SS », « Élections piège à cons »), cette double distribution est-elle toujours d’actualité ? Quels sont les techniques et les supports privilégiés ? Quelles formes de lisibilité autorisent-ils ? Qu’impliquent concrètement les choix respectifs de recourir au tag, au collage, à la banderole en termes de matériel, de budget, de temps ? Quels sont les quartiers/bâtiments/objets qui sont le plus fréquemment tagués/recouverts de collages ? À quel moment ? Sont-ce les mêmes quartiers que ceux où se multipliaient les banderoles lors du confinement ? Dans la mesure où les écrits sauvages sont souvent anonymes, comment définir leur(s) énonciateur(s) ? Quels rapports à l’auctorialité impliquent-ils ? Peut-on associer un tag ou une banderole à l’ensemble d’un mouvement ?

2)     Formes, fonctions et logiques : Quelles sont les rhétoriques des écritures de la contestation ? Quels procédés, registres et rythmes mobilisent-elles ? À quels modèles empruntent-elles ? Quelles formes d’intertextualité et quelles références impliquent-elles ? Quelles argumentations et quels récits esquissent-elles ? Quelles postures collectives permettent-elles de supporter ? Quels imaginaires (ré)activent-elles ? Comment ces écrits sauvages tirent-ils parti du support qui les accueille ? Comment sont-ils infléchis par ces derniers ? 

3)     Circulation et réception : Quels sont les différents rôles dévolus à ces écritures sauvages ? Comment un slogan devient-il viral ? Quelles sont les temporalités spécifiques de ces écrits ? Si le grapheur doit souvent agir dans l’urgence et fixer son message, l’auteur d’une banderole accrochée sur son balcon peut-il modifier son propos, le faire évoluer ? Et quand décide-t-il de l’ôter (quand il n’y est pas contraint) ? Comment penser la dynamique du surgissement/effacement ? Les colleureuses féministes, en particulier, documentent l’arrachage de leurs collages par des particuliers s’opposant à leurs actions. Quels dialogues s’engagent entre les activistes et les services de voirie ? Les outils numériques permettent aujourd’hui de soutenir l’élaboration de corpus d’écrits sauvages, mais aussi d’assurer leur pérennité : que font les réseaux sociaux à ces pratiques d’écriture ? Comment les photographies permettent-elles d’amplifier leur réception ? Qu’est-ce que le maintien de ces pratiques dit de nos imaginaires et de nos répertoires d’action collectifs ? Existe-t-il une chaîne d’écriture entre ces pratiques et leur reproduction en ligne ?

Ces différents points seront au cœur d’une réflexion qui se centrera sur les écrits sauvages de la contestation ayant émergé en France de 2016 à 2022 : ces balises permettent de saisir un moment particulier, cohérent et évolutif, qui s’étend depuis les premières oppositions à la « loi Travail » jusqu’à la fin du premier mandat du président en fonction. Les mouvements sociaux déployés ces dernières années se prononcent contre la gestion néolibérale de l’État, contre des formes de dominations (économique, masculine, raciale) et contre la répression qu’ils subissent, ont permis d’observer une diversification des formes d’écriture sauvage autant qu’une intensification de celles-ci. On tiendra également compte des pratiques associées à des mouvements ayant pu influencer les éléments de ces corpus, à la fois dans le domaine français (graffitis du FLN, affiches de mai 68, slogans du MLF, écrits lettristes et situationnistes, banderoles d’Act Up, pancartes contre le « plan Juppé », etc.) et sur le plan international (slogans du GLF, pancartes et banderoles des mouvements #MeToo et Black Lives Matter).   

*

Les propositions, d’environ 2.500 signes et comprenant une biobibliographie sommaire, sont à adresser à Denis.Saint-Amand@unamur.be pour le 20 janvier 2022. 

Pistes bibliographiques 

Corinne App, Anne-Marie Faure-Fraisse, Béatrice Fraenkel et Lydie Rauzier (2011), 40 ans de slogans féministes 1970/2010, éditions iXe.
Philippe Artières, La police de l’écriture. L’invention de la délinquance graphique (1852-1945), La Découverte, 2013.  
— (2013), La banderole: histoire d’un objet politique, Éditions Autrement. 
carla bergman et Nick Montgmoery (2021), Joie militante, trad. Juliette Rousseau, Editions du Commun.
Ludo Bettens, Florence Gillet, Christine Machiels, Bénédicte Rochet et Anne Roekens (2015), Quand l’image (dé)mobilise. Iconographie et mouvements sociaux au XXe siècle, PU Namur. 
Catherine Brun et Alain Schaffner (2015), Des écritures engagées aux écritures impliquées, Editions universitaires de Dijon. 
Louis-Jean Calvet (1976), La production révolutionnaire. Slogans, affiches, chansons, Payot. 
Zoé Carle (2019), Poétique du slogan révolutionnaire, PUPS.  
Florent Coste (2017), Explore. Investigations littéraires, Questions théoriques.
Jacques Dubois (2005), L’Institution de la littérature [1978], Labor.
Daniel Fabre (dir.) (1993), Écriture ordinaire, P.O.L
Béatrice Fraenkel (1994), « Les écritures exposées », dans Linx, n° 31, Écritures.
— (2006), « Actes écrits, actes oraux: la performativité à l’épreuve de l’écriture », dans Études de communication, n° 29.  
— (2007), « Actes d’écriture: quand écrire c’est faire », dans Langage et société, n° 121-122.
— (2018), « Actes graphiques. Gestes, espaces, postures », dans L’Homme, n° 227-22.
Béatrice Fraenkel et Aïssatou Mbodje-Pouye (2010), « Les New Literacy studies, jalons historiques et perspectives actuelles », dans Langage et société, n° 133. 
Aurore François, Anne Roekens, Véronique Fillieux et Caroline Derauw (2018), Pérenniser l’éphémère. Archivage et médias sociaux, Academia. 
Boris Gobille (2018), Le Mai 68 des écrivains. Crise politique et avant-gardes littéraires, Paris, CNRS éditions. 
Jean-François Hamel et Julien Lefort-Favreau (dir.) (2018), Études françaises, n° 54/1, « Écritures de la contestation. La littérature de mai 68 ».
Justine Huppe (2019), La Littérature embarquée, Thèse de doctorat sous la dir. de J.-P. Bertrand et F. Claisse, ULiège.
Justine Huppe et Denis Saint-Amand (2021), « 1871-2021. De la mémoire des barricades aux imaginaires inflammables », dans COnTEXTES, n° 30, Discours et imaginaires de la Commune
Michel Kokoreff (1990), Le Lisse et l’incisif: les tags dans le métro, Iris. 
— (2021), Diagonale de la rage, Divergences. 
Clara Lamireau (2003), « Les manifestes éphémères: graffitis anti-sexistes dans le métro parisien », dans Langage et société, n°106.
Mathilde Larrère (2013), (dir.) Révolutions. Quand les peuples font l’histoire, Belin.
Stéphanie Lemoine et Samira Ouardi (2010), Artivisme : art, action politique et résistance culturelle, Éditions Alternatives.
Bernard Mouralis (1975), Les Contre-littératures, PUF.
Oskar Negt (2007), L’Espace public oppositionnel, Payot. 
François Provenzano (2022), « Comment contrer une médiation ? Pistes pour une socio-sémiotique du barbouillage antipublicitaire », dans S. Badir et C. Servais (dir.), Les Idéologies de la médiation, Academia.
Olivia Rosenthal et Lionel Ruffel (2010) (dir.), « La littérature exposée. Les écritures contemporaines hors du livre », Littérature, n° 60.
— (2018), « La littérature exposée 2 », Littérature, n° 192.
Juliette Rousseau (2018), Lutter ensemble, Cambourakis.
Lionel Ruffel (2019), Trompe-la-mort, Verdier. 
Denis Saint-Amand (dir.) (2016), Mémoires du livre/Studies in Book Culture, vol.8, n°1, La Littérature sauvage/Literature Unbound, [En ligne]. 
— (2021), « “Elle le quitte, il la tue”. Les collages féministes, une littérature sauvage », Atelier Fabula [En ligne]. 
— (2021), « 1871 raisons d’y croire. Logiques et imaginaire des Gilets jaunes », dans Nineteenth Century French Studies, vol. 49, n° 3-4.
Denis Saint-Amand et Léa Tilkens (2021), « Barbouillages et interpolations », dans Langage et société, n° 174. 
Danielle Tartakowski (1998), Le pouvoir est dans la rue : crises politiques et manifestations en France, Aubier. 
— (dir.), Paris Manif - Les manifestations de rue à Paris de 1880 à nos jours, PUR. 
Richard Terdiman (1985), Discourse/Counter-discourse, Cornell University Press.
Marie-Ève Thérenty (2009) « Pour une poétique historique du support », dans Romantisme, n° 143.
Alain Vulbeau (1992), Du tag au tag, IDEF.