Actualité
Appels à contributions
Le retour du texte. Avatars du

Le retour du texte. Avatars du "remake" littéraire (Revue XXI-XX – Reconnaissances littéraires)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Eric Trudel)

Revue XXI-XX – Reconnaissances littéraires

Appel à contributions pour le numéro 4 :

Le retour du texte. Avatars du « remake » littéraire

Dirigé par Jan Baetens (KU Leuven) et Éric Trudel (Bard College)

 
On lit de plus en plus souvent que le futur de la littérature sera « hors-livre » ou ne sera pas. Au lieu de continuer à utiliser les supports traditionnels (sous forme papier), la littérature semble appelée à être remédiatisée : le roman devient film, série télévisée, podcast, jeu vidéo, etc. La poésie, à travers la vogue des lectures publiques, se transforme en performance. Les formes hybrides d’écriture, nommées parfois « néo-littérature » (Magali Nachtergael) se rapprochent des arts de la scène, mais aussi du monde des arts visuels (galerie, musée, espaces publics) et de la création, souvent collaborative, sur le Net.

Les formes imprimées du texte sont cependant loin de disparaître. Non seulement parce qu’en réponse aux formes de communication numérique et autres, on invente sans cesse de nouveaux types de livres, mais aussi parce que les textes eux-mêmes font l’objet de réactualisations, dont l’importance pour la littérature est capitale mais généralement négligée. L’ambition de ce numéro est d’explorer le champ de ces réactualisations, où l’on peut distinguer grosso modo trois grandes catégories, lesquelles ne sont bien entendu pas toujours étanches.

Premier type : la re-contextualisation, soit la reprise (plus ou moins littérale) de textes existants dans une nouvelle constellation. Phénomène sans doute banal, mais aux enjeux considérables, comme le montrent par exemple les reprises d’un texte par voie d’anthologie ou dans une nouvelle collection – pratique tellement commune que les effets nous en échappent un peu. Que signifie par exemple la réédition des 400 Coups dans une collection pour adolescents, « Folio Junior », après une première édition dans la collection blanche de Gallimard? Comment interpréter – autre exemple – l’impact de la réédition d’un texte dans la collection « L’imaginaire », collection de semi-poche qui respecte l’original (le texte est repris en fac-similé) et ajoute néanmoins un commentaire paratextuel unique à travers la maquette typographique de la première de couverture ? Au-delà de ces cas d’espèce, il importe évidemment de se pencher plus largement sur la politique des rééditions et surtout la manière dont on repositionne des auteurs et des textes au fil des ans, et notamment après une période dite du purgatoire.

Deuxième type : la réédition « élargie », soit la reprise d’un texte comprenant une série d’ajouts, par exemple sous forme d’illustrations (ou, cas inverse, comprenant un ensemble de ratures, par exemple quand on réédite un texte sans les illustrations originales, comme ce fut longtemps le cas pour Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach, œuvre pourtant pionnière dans le dialogue entre roman et photographie). Pareil élargissement (ou rétrécissement) échappe souvent à l’attention, notamment parce qu’il engage des publics très différents, comme dans le cas des éditions spéciales illustrées à tirage réduit : soit avant la publication de l’édition courante, comme par exemple dans certains volumes de la collection « Les Sentiers de la création » (Orion aveugle de Claude Simon intégré plus tard aux Corps conducteurs, qui perd toutes les images) ; soit après, comme dans le cas de certaines rééditions à petit tirage de Montherlant ou certaines reprises, plus proches de l’illustration que du roman graphique, comme les versions « Tardi » du Voyage au bout de la nuit ou « Le-Tan » de Memory Lane, et qui se dotent d’une iconographie ignorée ou méconnue. Le va-et-vient entre publications en livre et publications en revue est souvent riche de métamorphoses de ce type, qui à bien des égards impliquent aussi des éléments de recontextualisation. Le cas déjà cité de la collection « L’imaginaire » est à cheval sur les types 1 et 2 tout comme, de manière sans doute usuelle et partant peu remarquée, les incessantes transformations des illustrations de couverture des textes classiques en édition de poche.

Troisième type : le remake proprement dit, dont la collection éponyme aux éditions Belfond montre à quel point il est en train d’entrer dans les mœurs (https://www.voiture14.com/portfolio/belfond-collection-remake/). L’existence de cette série institutionnalise une pratique bien plus répandue qu’on ne le pense, même si dans certains cas la reprise s’éloigne tellement de l’original que la notion de « remake » s’applique moins. Sans doute est-il inutile de rappeler ici Ulysse de Joyce, Pierre Ménard de Borges, L’Angoisse du gardien de but de Peter Handke, remakes très singuliers d’Homère, de Cervantès et de Robbe-Grillet, ou même le polémique El hacedor (de Borges). Remake d’Agustín Fernandez Mallo. Plus à propos, sans doute, ces quelques exemples tirés des domaines français et francophones : Une tempête d’Aimé Césaire, Talion de Christian de Montella qui reprend Le Comte de Monte Cristo, Michel Tournier réécrivant Robinson Crusoé dans Vendredi, ou encore le Québécois Gabriel Marcoux-Chabot reprenant La Scouine, classique réaliste d’Albert Laberge, un siècle après sa publication. Dans un registre très différent, on songe aux « réécritures » proposées par Jean Ricardou en appui pratique à sa théorie générale du texte, ou aux efforts de Frédéric Boyer – entre traduction, réanimation et imagination – pour Rappeler Roland. Les limites de telles pratiques sont souvent floues : le remake n’est pas tout à fait la même chose que la continuation, comme par exemple dans Achab de Pierre Senges, ou la « refonte » des contes des frères Grimm qu’opère Philippe Beck dans ses Chants populaires, et il s’apparente aux variations oulipiennes sur le Voyage d’hiver de Perec (le procédé est bien sûr très fréquent chez les Oulipiens). Ce n’est pas non plus la réinvention d’un imaginaire et d’un style, comme dans Le Hussard sur le toit, où Giono rend hommage à Stendhal (pour ne rien dire des nombreux retours sur ce qui est presque devenu un genre en lui-même : le bovarysme), ni le pastiche, le détournement, la parodie, ou l’auto-réécriture (la Recherche comme remake de Jean Santeuil), même si dernière peut parfois mener au remake (Tournier réécrivant son Vendredi ou les limbes du Pacifique dans Vendredi ou la vie sauvage).

Il convient de répéter que ces trois catégories n’incluent nullement les adaptations transmédiatiques – cinéma, bande dessinée, podcast, théâtre, jeu vidéo, etc.,  – qui ne seront pas considérées ici.

Toutes ces formes d’écriture – recontextualisations, métamorphoses, remakes, et leurs multiples croisements et variantes – contribuent à jeter une nouvelle lumière sur les notions croisées de la postérité d’un texte et du rôle qu’un texte joue dans la « création » d’œuvres nouvelles, au-delà de l’intertextualité ou de l’hypertextualité (Genette). Car il ne suffit pas que des textes soient relus, encore et surtout faut-il qu’ils restent physiquement disponibles. C’est l’ensemble de ces dynamiques, à partir d’auteurs et d’œuvres qui font résonner la littérature du 20e siècle dans la vie littéraire du 21e, que ce quatrième numéro de la revue XXI-XX Reconnaissances littéraires a l’ambition d’examiner.

*

Les propositions de contribution de 350 mots environ, assorties d’une brève notice bio-bibliographique, sont à envoyer au plus tard le 31 mars 2022 aux adresses suivantes : Jan.baetens@kuleuven.be et trudel@bard.edu. Les réponses seront transmises fin mai. Les auteurs dont les propositions auront été retenues devront faire parvenir leur texte (35000 signes maximum, espaces comprises) avant le 1er octobre 2022.

*

Le comité éditorial de la revue XXI/XX – Reconnaissances littéraires, éditée aux éditions Classiques Garnier, est composé d’enseignants-chercheurs de la Faculté des Lettres de Sorbonne Université, spécialistes de littératures françaises des XXe et XXIe siècles et comparatistes.

La revue a ainsi défini l’esprit qui l’anime : « Le titre, XXI/XX, veut signifier la volonté de prendre pleinement appui sur le présent, pour embrasser le paysage littéraire du siècle précédent. La littérature du xxe siècle émet vers nous des signes de reconnaissance. Il nous revient de nous en saisir pour nous aider à démêler ce en quoi nous reconnaissons notre donne. Telle est sans doute l’une des ambitions de la revue, décrire l’état présent du souci littéraire, en prenant appui sur la littérature du xxe siècle, qui s’installe insensiblement dans le recul, le quant à soi d’une période révolue, mais dont nous nous sentons encore puissamment solidaires. C’est cette distance interne que nous voudrions explorer, cette étrangeté sournoise qui vient colorer ce qui s’éloigne. »