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Femmes sauvages, Amazones et femmes viriles : quelles évolutions de la littérature médiévale à l’imaginaire contemporain ?

Femmes sauvages, Amazones et femmes viriles : quelles évolutions de la littérature médiévale à l’imaginaire contemporain ?

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Florie Maurin)

Colloque de jeunes chercheurs et jeunes chercheuses 

« Femmes sauvages, Amazones et femmes viriles : quelles évolutions de la littérature médiévale à l’imaginaire contemporain ? » 

7-8 avril 2022, Clermont-Ferrand, Université Clermont Auvergne

 
            Si la femme sauvage est un motif défini dans les arts et la littérature du Moyen Âge, dʼabord pour tenir lieu de compagne à l’homme sauvage que le tout début du XIIe siècle invente, ses représentations et apparitions se sont ensuite diversifiées. Plus délaissée de la critique littéraire que son compagnon masculin pendant longtemps, la femme sauvage, comme ses avatars, se trouve aujourd’hui réinterrogée sous l’éclairage des women’s studies. Si la critique littéraire se penche peu à peu sur ces figures de femmes plus ou moins subversives (en témoigne l’ouvrage de Bruno Boerner et Christine Ferlampin-Acher : Femmes sauvages et ensauvagées dans les arts et les lettres, paru en juin 2021), leur analyse reste encore à étoffer et leur présence dans l’imaginaire contemporain est à questionner. 

            La femme sauvage apparaît seule, ou en groupe, elle tend à se distinguer de son homologue masculin, sans toutefois réussir à sʼen défaire pleinement. Tantôt femme sylvestre, marginale, à la parole et aux moyens de communication limités, tantôt hybride, être monstrueux posant la question épineuse de la limite entre « nature » et « culture », mais aussi entre lʼanimalité et lʼhumanité, la femme dite « sauvage » interroge dans une société régie par l’Église et ses dogmes. Femmes viriles, acceptant des caractéristiques et des traits définitoires de la masculinité de lʼépoque médiévale, tels que la pilosité et même, la villosité, ou encore un caractère violent, elles soulèvent les questions relatives aux genres et à la distribution de leurs rôles au sein de la société. Pourvues dʼun bâton ou dʼune massue, armes primitives par excellence, leurs représentations, de plus en plus archétypales, tendent vers le dévoilement du corps féminin et de ses attributs, ces derniers correspondant de plus en plus à l’image de lʼÈve tentatrice et infernale contre laquelle l’Église met en garde (à savoir : une poitrine apparente, une longue chevelure, un grain de peau de plus en plus glabre…), et se confondent avec les figures de lʼAmazone et de la magicienne. Avec la première, la femme sauvage partage sa férocité, que le mythe de la femme guerrière vivant en communauté exclusivement féminine exacerbe. Avec la seconde, elle partage sa marginalité, et une partie de ses représentations en tant quʼétrangère.

            Pourtant, si les premières enluminures du XIIIe siècle montrent la femme sauvage comme une centauresse recouverte de poils – elle apparaît en femme à barbe dans les romans dʼAlexandre –, la femme sauvage semble perdre sa sauvagerie à partir du moment où sa sexualité débridée devient signe de son potentiel maternel. Elle devient alors mère de famille, accompagnant un ou plusieurs de ses enfants, et ses attributs féminins, comme les seins, sʼils restent visibles, deviennent lʼexpression de son caractère maternel. 

            À partir des XIVe et XVe siècles, ces figures féminines connaissent de véritables évolutions grâce à de nouvelles figures littéraires féminines, inspirées du contexte socio-politique. Ainsi, lʼemblématique  Jeanne dʼArc ou encore la figure mythique de Penthésilée se frayent une place de premier plan dans les arts et les littératures, et sʼaffranchissent de figures masculines jusque dans le théâtre et la littérature des XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Ainsi, Charles Péguy fait de Jeanne dʼArc la figure principale de son œuvre, lʼérigeant en guerrière de la paix, incarnation de lʼâme paysanne française. De grands noms de la littérature à travers toute lʼEurope, tous genres littéraires confondus, sʼemparent de la figure, à lʼexemple de Shakespeare, Thomas de Quincey – lʼun des rares Anglais à prendre la plume pour la défense de la jeune guerrière – ou encore Mark Twain. La pucelle dʼOrléans devient symbole de femme forte, issue dʼun milieu paysan, sʼélevant en  véritable emblème de la France.

            Quant à la figure de lʼAmazone, Anne-Marie du Boccage écrit sa pièce Les Amazones en 1749, relatant les débats se déroulant à Thémiscyre, le royaume des femmes guerrières, après quʼelles ont fait prisonnier le héros Grec Thésée. LʼAmazone nʼest plus alors une figure étrangère et lointaine, mais bien une figure principale, dont les mœurs dérogent aux habitudes sociales patriarcales. Les noms dʼHippolyte, dʼAntiope et de Penthésilée sʼincarnent en personnages plus ou moins subversifs, mais dont le rôle nʼest plus simplement ornemental. Plus tard, Julien Gracq traduit Penthésilée de Kleis. Si ces pièces connaissent un certain succès en leur temps avant de tomber dans lʼoubli, elles sont redécouvertes et suscitent à nouveau lʼintérêt à partir de la fin du XXe siècle, et cʼest au même moment que ces figures de femmes viriles surgissent notamment dans la fantasy.

            Si la fantasy, et plus particulièrement la high fantasy, se plaît à mettre en scène des cohortes de chevaliers et de guerriers de toutes sortes, les figures féminines se font plus rares. Elles apparaissent toutefois sporadiquement chez les fondateurs du genre : Dame Eowyn devient, pour un temps, une figure guerrière et femme virile chez Tolkien, tandis que Susan, une des héroïnes du Monde de Narnia, hérite en partie ses attributs et symboles des chasseresses et autres Amazones. Les femmes sauvages velues du Moyen Âge tendent à disparaître au profit de redoutables guerrières. Souvent séduisantes, parfois hypersexualisées (Wonder Woman, Xena, la guerrière ou autres tarzanides de comics), les personnages féminins de fantasy sont aussi, quelquefois, virils (à l’image de Brienne de Torth de Game of Thrones).

            En fantasy jeunesse, où les héroïnes commencent à trouver une voix / voie depuis une vingtaine d’années, les figures féminines se font parfois Amazones et héritent de la plupart des éléments mythiques : elles sont cavalières, archères, guerrières et appartiennent à une communauté féminine vivant à l’écart de la société (La Ville sans vent). Cependant, plus généralement, la figure amazonienne se dilue dans des personnages féminins composites qui amalgament de nombreux personnages fabuleux. Ces héroïnes « syncrétiques » sont librement inspirées de chasseresses, de femmes sauvages, de femmes viriles et de magiciennes, c’est-à-dire, de femmes puissantes (Katniss dans Hunger Games, Ellana dans Le Pacte des Marchombres, les sorcières d’À la croisée des mondes, etc.).

            Loin de rester enfermées dans les pages d’œuvres littéraires, les femmes sauvages, viriles et les Amazones se développent sur toutes sortes d’écrans : elles apparaissent dans les jeux vidéo, les séries et le cinéma, qui adaptent les œuvres littéraires dans lesquelles elles s’inscrivent ou créent des figures originales (pensons à Xena, la guerrière, à Rebelle, Princesse Mononoké ou aux dryades de The Witcher).

            Par ailleurs, Amazones et femmes sauvages, représentées comme marginales, interrogent la place des femmes, leur rapport aux autres et au monde. Ces figures mythiques renaissent alors sous la plume d’autrices féministes (Les Amazones libres et la trilogie des Renonçantes de Marion Zimmer Bradley, Les Guerillères de Monique Wittig) et certains personnages, comme l’Amazone Wonder Woman, fleurissent sur les pancartes de manifestants et manifestantes féministes.

 
            Ce sont ces figures de femmes qui ont traversé les siècles que nous souhaitons étudier lors de ce colloque afin de saisir leurs évolutions depuis le Moyen Âge. Sans vouloir enfermer ces personnages mythiques – qui se jouent par ailleurs des frontières – dans des (stéréo)types, nous souhaitons au contraire mettre en avant la grande perméabilité qui s’instaure entre elles : ces figures sont des personnages poreux aux caractéristiques mouvantes. Quels dialogues se créent entre femmes sauvages, viriles et Amazones ? Dans quelle mesure les femmes velues et sauvages du Moyen Âge, comme les femmes guerrières et autres filles de Penthésilée, incarnent-elles des modèles féminins contemporains ?

***

En parallèle de ces questions centrales, les participants et participantes pourront, entre autres, s’interroger sur les problématiques suivantes : 

- La femme sauvage partage-t-elle toutes les caractéristiques et tous les attributs de lʼhomme sauvage ? Peut-elle se défaire de ce dernier, et par quels moyens ?
- Peut-elle devenir maternelle, et si oui, de quelle manière ce rôle sʼarticule-t-il avec la notion de sauvagerie ? 
- Quels relations tissent ces femmes marginales avec autrui ? Quels peuvent-être leurs rapports au couple, à la sororité… ?
- Quels rapports ces femmes Autres entretiennent-elles à l’espace ?
- Quelles relations tissent les femmes sauvages, Amazones et femmes viriles des littératures de l’imaginaire avec leurs ancêtres mythiques ? En quoi peuvent-elles constituer un topos du genre ? Comment se diluent-elles dans les personnages de guerrières de ces littératures ?
- À une époque où les personnages masculins sont sur-représentés en littérature de jeunesse, en quoi ces figures féminines, pourtant anciennes, peuvent-elles incarner de nouveaux modèles pour les jeunes lecteurs et lectrices ? Quelles peuvent être leurs relations aux littératures de jeunesse ?
- Comment représenter et actualiser ces figures mythiques dans les arts visuels contemporains, en particulier dans le cinéma, les séries ou jeux vidéo ?


Comité d’organisation :

Elise d’Inca, Université Clermont Auvergne, CELIS (Clermont-Ferrand)

Florie Maurin, Université Clermont Auvergne, CELIS (Clermont-Ferrand) 

Comité scientifique : 

Nelly Chabrol Gagne, Université Clermont Auvergne, CELIS (Clermont-Ferrand)

Christine Ferlampin-Acher, Université Rennes 2, CELLAM (Rennes)

Françoise Laurent, Université Clermont Auvergne, CELIS (Clermont-Ferrand)

Véronique Léonard-Roques, Université de Bretagne Occidentale, HCTI (Brest)

Isabelle Olivier, Université d’Artois, Textes et Cultures (Arras)

Angélique Salaün, Université Rouen Normandie, CÉRÉdI (Rouen)

Quelques références bibliographiques : 

BERTRAND Alain, « La Branche armée du féminisme : les Amazones », Labyrinthe [En ligne], n° 7, 2000. URL : http://journals.openedition.org/labyrinthe/742 

BOERNER Bruno et FERLAMPIN-ACHER Christine, Femmes sauvages et ensauvagées dans les arts et les lettres (Moyen Age - XXIe siècle), Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences », Rennes, 2021. 

JOUBI Pascale, OBERHUBER Andrea (dir.), MuseMedusa, n° 7, Le retour des Amazones : Pouvoir, sacrifice, communauté, 2019. URL : http://musemedusa.com/dossier_7/

LEDUC Guyonne (dir.), Réalité et représentations des Amazones, Paris, Éditions L’Harmattan, coll. « Des idées et des femmes », 2008.

POUVREAU Florent, « Du poil et de la bête. Iconographie du corps sauvage en Occident à la fin du Moyen Âge (XIIIe-XVIe siècle) », Paris, CTHS, 2014. URL : www.academia.edu/10665340/Du_poil_et_de_la_b%C3%AAte_Iconographie_du_corps_sauvage_en_Occident_%C3%A0_la_fin_du_Moyen_%C3%82ge_XIIIe_XVIe_si%C3%A8cle_Paris_CTHS_2014_Pr%C3%A9face_Introduction_sources_index_et_table_des_mati%C3%A8res 

SALAÜN Angélique, CHANOIR Yohann, « Femme guerrière », dans BESSON Anne (dir.), Dictionnaire de la fantasy, Paris, Vendémiaire, 2018.

SCIANCALAPORE Antonella, Corps hybrides aux frontières de l’humain au Moyen Âge, Actes du colloque international de Louvain-la-Neuve (19/20 Avril 2018), publications de l’Institut d’Études Médiévales, Louvain-la-Neuve, Textes, Études, Congrès, vol. 31, 2020.

VINCENSINI Jean-Jacques, Pensée mythique et narrations médiévales, Honoré Champion, coll. « Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge », Paris, 1996.

Organisation du colloque : 

Ce colloque se destine en priorité aux jeunes chercheurs et jeunes chercheuses (masterant.e.s, doctorant.e.s, post-doctorant.e.s et jeunes docteur.e.s). L'hébergement et les repas seront pris en charge (mais non les frais liés aux transports).

Les propositions de communication (500 mots maximum), composées d’un titre et d’un résumé, ainsi qu’une brève notice biobibliographique sont à envoyer conjointement aux adresses suivantes : Elise.D_INCA@doctorant.uca.fr et Florie.MAURIN@uca.fr 

Calendrier : 

Date limite de réception des propositions : 31 janvier 2022
Date de réponse : 10 février 2022
Date et lieu du colloque : 7-8 avril 2022 à Clermont-Ferrand