Dans « Le théâtre des marionnettes de Nohant », publié dans Le Temps en mai 1876, un mois avant sa mort, George Sand revient brièvement sur la création de son théâtre de société en 1846, avant de dresser un parallèle avec le théâtre de marionnettes créé par son fils Maurice et Eugène Lambert, à peine un an plus tard (été 1847), « théâtre qui a marché à côté et qui a fini par prendre un développement complet, tandis que l’autre s’est arrêté faute d’acteurs ». Dans un texte qui s’apparente à un testament dramatique, Sand accorde ainsi à la marionnette, qui « peut prendre des proportions singulièrement intéressantes », une place remarquable au sein de sa pensée du théâtre, estimant qu’« il n’y a [...] pas deux arts dramatiques : il n’y en a qu’un1 ».
C’est pourquoi, tenant compte de l’intérêt réel porté par George Sand à une pratique pourtant mineure et marginale dans le champ théâtral de la seconde moitié du XIXe siècle, nous nous proposons de réévaluer l’importance d’un répertoire – celui des marionnettes de Maurice (1847-1889) – largement ignoré par l’histoire littéraire malgré sa vitalité et sa durabilité. Nous souhaitons en cela, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Maurice Sand, prolonger le travail mené par Lise Bissonnette, dans son ouvrage Maurice Sand : une œuvre et son brisant au XIXe siècle (2017). Après avoir rappelé la « trace infime » que le fils de George Sand « a laissée dans l’histoire littéraire et artistique classique, dominée par le canon », elle émet en effet l’hypothèse que son œuvre « pourrait néanmoins s’inscrire de façon signifiante dans les interstices d’une histoire culturelle qui ne cesse de se nuancer en admettant de nouveaux objets2 ».
En outre, l’existence parallèle, entre 1847 et 1863, de deux théâtres de société à Nohant – le théâtre des « grands acteurs », principalement alimenté par George, et le « petit théâtre3 » de Maurice –, cimentés par les liens étroits qui unissent la mère et le fils Sand et par un lieu partagé, le domaine familial de Nohant, fait de la pratique marionnettique de Maurice une expérience tout à fait singulière, nourrie par ses relations avec le théâtre d’acteurs. Les points communs qui unissent le grand théâtre et le petit théâtre méritent ainsi d’être mis au jour. L’influence de la commedia dell’arte, tout d’abord, à laquelle George Sand se réfère comme à un idéal, est ainsi également décisive pour le petit théâtre. Alors que Maurice incarne volontiers le rôle de Pierrot sur la scène du grand théâtre, ce personnage devient l’une de ses premières marionnettes, et l’artiste rend régulièrement hommage à la comédie italienne dans ses propres pièces pour comédiens de bois (Pierrot libérateur, Les Comédiens en voyage, Pierrot gourmand, Les Noces de Polichinelle…). Mais surtout, la circulation de motifs remarquables entre les deux répertoires témoigne des échanges féconds et réciproques qui les ont soutenus au gré de leur élaboration conjointe. Il sera dès lors intéressant de comprendre comment les interactions avec le théâtre d’acteurs ont servi la constitution d’un répertoire et d’une écriture spécifiques pour la marionnette, mais également comment la fréquentation des marionnettes a développé en retour la réflexion dramatique et l’éthique théâtrale de George Sand.
Les échanges importants qui unissent le petit théâtre et le grand théâtre de Nohant nous invitent enfin à interroger la notion d’auctorialité, que la marionnette oblige à penser autrement. Objet complexe, mêlant du texte, des représentations, des improvisations mouvantes et des éléments matériels divers (la marionnette elle-même, les décors, les costumes, la musique), né d’une étroite collaboration entre George, Maurice, ainsi que d’autres contributeurs (Eugène Lambert notamment, mais aussi Victor Borie, puis Alexandre Manceau), le théâtre de marionnettes permet de penser la création de manière collective, jusqu’à sa transmission : George Sand envisage en effet la publication des pièces pour marionnettes à destination d’autres « maîtres du jeu ».
Axes de réflexions
Nous proposons quelques pistes de réflexion non exhaustives. Les propositions qui ne relèvent pas de ces axes seront aussi examinées.
1 – Quelles sont les spécificités (thématiques, génériques, formelles, techniques…) du répertoire pour marionnettes né à Nohant ?
2 – Comment le théâtre de marionnettes de Maurice Sand, à Nohant, puis à Passy, s’inscrit-il dans un ensemble de réflexions théoriques (Kleist, Hoffmann) et de pratiques contemporaines (Lemercier de Neuville, Edmond Duranty, les marionnettes sur les scènes de divertissement) et dialogue-t-il avec elles ?
3 – Comment la dramaturgie pour marionnettes évolue-t-elle entre les premiers spectacles à Nohant (1847) et les dernières représentations à Passy (1889) ? Comment les évolutions techniques (décors, objet-marionnette, manipulation) infléchissent-elles le répertoire ?
4 – Quels échanges (thématiques, génériques, symboliques, techniques et matériels…) et influences réciproques peut-on repérer entre le répertoire pour marionnettes et les pièces écrites pour acteurs à Nohant ?
5 – Comment la pratique des marionnettes par Maurice nourrit-elle, chez George, une réflexion théorique, touchant à la fois à la dramaturgie du spectacle et à ses prolongements éthiques ?
6 – Comment le théâtre de marionnettes né à Nohant permet-il de penser la création de manière collective, en raison de la multiplicité de ses contributeurs ? Quelle mémoire les praticiens de la marionnettes gardent-ils d’un tel répertoire ?
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Les propositions d’article en français (environ 500 mots) ainsi qu’une courte bio-bibliographie seront à envoyer par courriel avant le 1er mars 2022 à Marine Wisniewski (marine.wisniewski@gmail.com).
Les articles (30 000 signes environ) seront attendus pour le 1er mars 2023.
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Bibliographie indicative
Maurice Sand, Le Théâtre des marionnettes, Calmann Lévy, 1890.
Maurice Sand, Masques et Bouffons : comédie italienne, 2 tomes, Michel Lévy frères, 1860.
George et Maurice Sand, Le Théâtre de Nohant : théâtre inédit, documents et dessins, édition établie par Roberto Cuppone, Moncalieri, Centro interuniversitario di ricerche sul viaggio in Italia, 1997.
George Sand, L’Homme de neige, édition établie par Martine Reid, Actes Sud, 2005.
George Sand, « Le théâtre des marionnettes », Le Temps, 11-12 mai 1876.
Lise Bissonnette, Maurice Sand : une œuvre et son brisant au XIXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, 2017.
Claudette Joannis et Bertrand Tillier, Les Marionnettes de Maurice Sand, Éditions du patrimoine, 1997.
Robert Thuillier, Les Marionnettes de Maurice et George Sand, Hermé, 1998.
Bertrand Tillier, Maurice Sand marionnettiste ou les menus plaisirs d’une mère célèbre, Éditions du Lérot, 1992.
Bertrand Tillier, « Du fantastique plastique au merveilleux littéraire : autour des marionnettes de Maurice Sand », Les Amis de George Sand, n° 20, 1998, p. 7-17.
Notes
1 George Sand, « Le théâtre des marionnettes de Nohant », Le Temps, 11-12 mai 1876.
2 Lise Bissonnette, Maurice Sand : une œuvre et son brisant au XIXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 19-20.
3 Ainsi désignés sur le manuscrit de la pièce « Une nuit à Ferrare », adaptée par George Sand d’une pièce pour marionnettes de Maurice. BHVP, fonds George Sand, H948.