Parti à la recherche d’une petite fille, le narrateur du Meurtre du Commandeur, roman d’Haruki Murakami, entre dans un monde métaphorique qui se transforme progressivement en forêt : la densité et l’enchevêtrement de ses pensées produit une forêt qu’il doit traverser, aussi inextricable qu’elle lui paraisse. Au terme d’un long cheminement dans les ténèbres, sous « un entrelacement de multiples strates de branches », il entrevoit une lumière, vers laquelle il marche pour sortir de la forêt et continuer son parcours « entre le rien et l’être » : ainsi en est-il, dans nos imaginaires littéraires, des itinéraires forestiers.
Dans la littérature médiévale, la forêt, quoique très présente, est rarement décrite : que représente-t-elle pour ceux qui la traversent, ou pour ceux qui l’habitent ? L’expérience de la forêt est-elle la même selon que l’on est homme ou femme, jeune ou vieux, endeuillé ou amoureux... ? Que symbolise la forêt pour les auteurs médiévaux, poètes, trouvères ou romanciers ? S’il est vrai que toute quête passe par la forêt, comme chez Murakami ou dans d’innombrables récits arthuriens, l’espace sylvestre n’aurait-il pas une fonction narrative ? Au croisement des traditions païennes et chrétiennes, la forêt abrite spiritualité et magie. Elle fait entrer les chevaliers en aventure, ainsi Yvain au début du Chevalier au lion. Elle ouvre vers un Autre Monde, comme dans les lais. Elle offre, notamment au roman, un infini potentiel de chemins narratifs, à tel point que, peut-être, il faudrait envisager la forêt comme une métaphore de la création littéraire.
Dans les contes, la forêt ne donne pas davantage lieu à de longues descriptions. La forêt des contes serait-elle l’héritière, de racines en racines, de la forêt médiévale ? Les contes, qu’ils soient populaires ou remaniés par des auteurs savants, font de la forêt un paysage symbolique. La petite fille ou le jeune garçon ressortent transformés de la forêt. Le Petit Poucet prouve sa valeur en remportant une victoire sur l’ogre qui voulait le dévorer, lui et ses frères. Gretel sauve son frère Hansel d’une sorcière anthropophage. Le Petit Chaperon rouge, selon les versions, est dévoré – ou pas. La forêt serait-elle le cadre privilégié de l’initiation et/ou de la métamorphose ? Quel(s) sens convient-il de donner aux dangers que recèle la forêt ? Est-il possible de retrouver une parole mythique sous les innombrables variantes du folklore européen ?
Que retiennent, enfin, la littérature de jeunesse et la fantasy de ces imaginaires de la forêt ? Il semblerait que la forêt demeure, à travers les siècles, un lieu d’aventures et de rencontres. De La Forêt qui n’en finit pas, de Jean-Louis Foncine, à la Forêt Interdite de la série Harry Potter, la forêt est pour les adolescents le cadre d’épreuves les conduisant vers la maturité ou vers un nouveau savoir. Désormais digne d’être décrite, la forêt est devenue non seulement un cadre, mais une entité vivante et consciente : les Ents de Tolkien pensent, parlent et se déplacent, trahissant déjà, dans leur rancoeur envers les humains, une prise de conscience écologique. L’aventure en forêt se redouble d’une réflexion sur la relation entre l’Homme et la Nature : dans sa quête de progrès et de science, l’être humain est-il l’ennemi ou l’allié de la forêt ? Ces nouvelles perspectives modifient-elles la représentation de la forêt esquissée à travers les textes, mais aussi les images des albums (Le Petit Chaperon rouge, par exemple, a été maintes fois illustré), des bandes dessinées (Perceforest, François Deflandre), voire des films (Avatar, James Cameron) ? Y a-t-il permanence de l’imaginaire forestier, ou les métaphores de la forêt se transforment-elles avec le temps ?
Le colloque vise donc à définir les différentes représentations de la forêt dans l’imaginaire littéraire, depuis la littérature médiévale jusqu’à nos jours : que signifie la forêt dans un paysage de fiction ? Sa valeur symbolique varie-t-elle dans le temps, ou selon le genre littéraire et le média envisagés ? Comment l’univers de la forêt est-il perçu, décrit, imaginé, fantasmé ? En d’autres termes : de quoi la forêt est-elle la métaphore ?
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Les propositions de communication sont à envoyer à Yvon Houssais (yvon.houssais_arobase_univ-fcomte_point_fr) ou à Hélène Gallé (helene.galle_arobase_univ-fcomte_point_fr).
Elles seront composées d’un titre et d’un résumé (environ 400 mots).
Le colloque aura lieu à l'Université de Franche-Comté (Besançon) les 16 et 17 janvier 2023.
Date limite d’envoi des propositions : le 30 juin 2022.