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Dictionnaires & encyclopédies de théâtre (XVIIIe- XXIe siècle)

Dictionnaires & encyclopédies de théâtre (XVIIIe- XXIe siècle)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Anne Pellois)

Appel à contributions pour le colloque :

Dictionnaires & encyclopédies de théâtre (XVIIIe- XXIe siècle)

9-11 mars 2023, Ens de Lyon

Les dictionnaires et encyclopédies de théâtre en tant qu’objets dédiés à la description d’une nomenclature spécifique à l’art théâtral et non uniquement à la production de catalogues de pièces ou personnalités célèbres, apparaissent en France dans la deuxième moitié du 18e siècle, en même temps que l’entreprise encyclopédique. Le Dictionnaire dramatique, contenant l'histoire des théâtres, les règles du genre dramatique, les observations des maîtres les plus célèbres et des réflexions nouvelles sur les spectacles.... de La Porte et Chamfort paru en 1776 est encore majoritairement constitué d’entrées consacrées aux œuvres théâtrales, mais comporte aussi d’autres entrées, moins nombreuses, consacrées à des notions spécifiques à l’art du théâtre (écriture et scène). De 1776 et 1914, l’on compte en France la parution de pas moins de 16 dictionnaires, encyclopédies, manuels ou annales, organisés par ordre alphabétique[1], qui s’intéressent majoritairement à la « langue théâtrale »[2]. Ces ouvrages s’adressent à un public amateur ou professionnel friand d’informations sur la fabrique du théâtre, sa « technologie »[3], tout autant que sur les anecdotes qui en constituent l’histoire.

Au fur et à mesure que le champ théâtral affirme la spécificité de son histoire et de ses pratiques, notamment par rapport à la littérature et au texte de théâtre, l’objet dictionnaire, encyclopédie ou lexique de théâtre s’empare d’une histoire à faire et d’une pratique à décrire par l’élaboration d’une langue de l’art qui se spécifie de plus en plus. Ces entreprises éditoriales allient écriture originale et geste de compilation et de réagencement, toujours dans une visée synthétique, que cette visée soit appliquée à une pratique en particulier, comme celle de l’acteur[4], ou à l’art du théâtre dans toutes ses composantes (administrative, mondaine, esthétique, pratique, dramaturgique)[5]. En augmentant la part de l’écriture originale, notamment via le principe de contributions collectives, les dictionnaires et encyclopédies de théâtre du 20e siècle déclinent des modes d’appréhension de l’objet théâtre – historique et déployant les grandes figures du théâtre mondial dans le Corvin, plus notionnel et de plus en plus lié à la performance dans les Pavis –, saisis alphabétiquement, pour en proposer une connaissance supposément exhaustive, voire idéalement universelle, à coup sûr « kaléidoscopique »[6].

Ordonner, classer, décrire, prescrire, historiciser, normer, constituent les opérations les plus évidentes de ces objets, dont on ne sait s’ils rendent compte d’un état du théâtre, passé ou présent, ou d’un idéal de pratiques et d’esthétiques. Du recueil d’anecdotes moqueuses à la visée encyclopédique, de la nomenclature de l’art à la constitution d’une histoire du théâtre, le dictionnaire ou l’encyclopédie de théâtre vise à saisir le phénomène théâtral dans ses esthétiques et dans ses pratiques, proposant à la fois la descriptions des techniques et des œuvres en un geste qui pourrait s’apparenter à une pratique expositionnelle, allant jusqu’à faire du dictionnaire un véritable musée de papier du théâtre[7], le livre contredisant la nature vivante et scénique de son objet même. D’apparence objectifs de par la forme du dictionnaire, les contenus, parce qu’ils sont liés « à une certaine forme de culture »[8], véhiculent une certaine vision, voire une idéologie du théâtre qui pourra être questionnée. De plus, l’entreprise éditoriale qui préside à ces objets, qu’elle soit individuelle ou collective, renseigne certes sur leurs modes de fabrication mais aussi sur leurs présupposés.

Geste de compilation qui semble présider à l’élaboration des dictionnaires de théâtre aux 18e et 19e, dont l’objectif est de tenir lieu « à lui seul, d’une bibliothèque artistique et théâtrale, qui serait très dispendieuse à acquérir et dont il serait peut-être téméraire de réunir tous les éléments »[9], entreprise synthétique visant à rendre compte de l’histoire d’un art ou d’une « langue de l’art » pour reprendre un terme emprunté au projet encyclopédique, entreprise entièrement originale qui entend proposer une vision synthétique et universelle, le dictionnaire ou l’encyclopédie de théâtre se fabrique de différentes manières, porté par une seule voix ou en polyphonie, sous l’égide d’un auteur (dont on pourra questionner l’identité et les « compétences ») ou d’un collectif (dont il sera intéressant d’étudier la composition et les modalités de travail), faisant entendre une voix unifiée et originale, des voix distinctes mais articulées d’une spécialisation à l’autre, ou encore une compilation de textes plus ou moins identifiés comme « empruntés ».

Axes de travail

Un premier axe épistémologique pourra questionner les types d’organisation du savoir et de la connaissance que produisent les dictionnaires et encyclopédies de théâtre. Comment situer ces objets spécifiques d’un côté par rapport au geste encyclopédique, visant à proposer un savoir supposément exhaustif et universel sur une pratique, et de l’autre par rapport au geste définitionnel, emprunté au dictionnaire de langue, que l’on retrouve dans les dictionnaires proposant l’élaboration d’une nomenclature du théâtre, définissant des notions, techniques, pratiques, liées à l’acteur, au metteur en scène, à l’auteur, au scénographe, à l’éclairagiste, etc. ? Peut-on classer ces ouvrages dans ce que Walter Benjamin appelle la « littérature panoramique »[10] ? Comment situer ces entreprises dans la constitution d’une histoire du théâtre ? Le dictionnaire de théâtre présente-t-il des spécificités induites par son objet même ?

La structure de ces objets ouvre un deuxième axe de réflexion sur le type de circulation proposé entre les différentes entrées. Le savoir est saisi par l’élaboration d’un chemin singulier qui n’est pas linéaire. Comment sont structurés ces ouvrages ? Quelles relations s’instaurent entre les différentes notices ou entrées ? Entre le texte et l’image quand le dictionnaire est illustré ? Quel est le statut de ces images ? D’où proviennent-elles ? Ces questionnements liés à la structure ouvrent des réflexions historiographiques : comment s’écrivent et se lisent ces dictionnaires selon les époques de rédaction ?

Un troisième axe en découle, qui vise à questionner la pertinence des rééditions ou les créations numériques de dictionnaires[11] : comment faciliter les navigations proposées par l’objet dictionnaire en version numérique ? Quelles sont les fonctions que l’édition numérique peut « augmenter » ? Quel type d’objet le numérique est-il susceptible de proposer qui permettrait d’accompagner mieux cette lecture non linéaire propre aux dictionnaires et encyclopédies ?

Un quatrième axe interrogera la figure auctoriale et / ou le geste éditorial qui président à ces entreprises. Par qui sont écrits ces ouvrages ? Comment sont-ils diffusés ? À qui sont-ils destinés et qui les lit ? L’étude des textes liminaires, préfaces, postfaces, notes d’éditeurs, marques d’adresse, bibliographies, textes additionnels, etc., permettront d’analyser et de qualifier la nature de ces entreprises. Les notions d’emprunt, reprise, plagiat, compilation, synthèse, seront convoquées pour tenter de comprendre leurs modes d’écriture et ce qu’elles apportent de nouveau dans le champ spécifique du théâtre.

Un cinquième axe pourra s’interroger sur l’évolution des définitions et entrées d’un point de vue diachronique. L’évolution des définitions notionnelles nous permet-elle de rendre compte d’une modification des pratiques ou bien uniquement d’une modification des normes prescrites ? Comment circulent les savoirs et évoluent les définitions ou les entrées entre dictionnaires et encyclopédies ? Que déduire de la disparition / apparition de termes ? L’absence d’une entrée signifie-t-elle l’absence de la notion dans la langue théâtrale ? Peut-on considérer que les entrées ou notices font état d’une pratique en cours ou d’une pratique déjà passée ? Enfin, comment s’élabore le vocabulaire théâtral par rapport à celui des autres arts ? Quel est l’apport du lexique musical, pictural, littéraire, chorégraphique, dans la nomenclature théâtrale ? D’autres pratiques professionnelles prêtent-elles leur langue à la description des pratiques scéniques ?

Enfin, un dernier axe pourra étudier ces objets dans une perspective internationale et multilingue. Si une encyclopédie « ne peut pas être pensée dans une seule langue »[12], peut-on repérer la trace de cultures savantes issues d’autres traditions nationales ou linguistiques ? Quelles sont la place et la nature des termes en langue étrangère présents ? Dans une autre perspective, il sera intéressant de mettre en regard des dictionnaires et encyclopédies d’aires géographiques et linguistiques différentes. Le rapport à la langue induit-il un rapport différent au classement, au geste éditorial, à la visée de l’objet ? Si la dimension notionnelle est importante en France, elle semble minoritaire dans les autres ères linguistiques envisagées. Est-ce que ce fait est avéré et que signifie-t-il ?

Comité d’organisation
Anne Pellois (IHRIM, ENS de Lyon)
Céline Candiard (IHRIM, ENS de Lyon)
Quentin Rioual (HAR, Université Paris Nanterre)
Florence Filippi (CÉRÉdl, Université de Rouen)
Alice Folco (Litt&Arts, Université Grenoble-Alpes).
Léonor Delaunay (Revue d’histoire du théâtre)

Comité scientifique  

Olivier Bara (IHRIM, Université Lumière Lyon 2)
Laurence Brogniez (Université Libre de Bruxelles)
Marco Consolini (IRET, Université Sorbonne Nouvelle)
Mildred Galland-Szymkowiak (THALIM, CNRS)
Julia Gros de Gasquet (LIRA, Université Sorbonne-Nouvelle)
Sara Harvey (Victoria University)
Jeanne-Marie Hostiou (IRET, Université Sorbonne-Nouvelle)
Joël Huthwohlt (BNF)
Thiphaine Karsenti (HAR, Université Paris Nanterre)
Pierre Letessier (IRET, Université Paris Sorbonne Nouvelle)
Alexandra Moreira da Silva (IRET, Université Paris Sorbonne Nouvelle).
Donatella Orecchia (Université de Roma 2)
Emmanuel Reibel (IHRIM, Ens de Lyon)
Sylvain Schryburt (Université d’Ottawa)

 
Les propositions sont à envoyer avant le 1er juin 2022 à l’adresse suivante : dictionnairesdetheatre@gmail.com

 
[1] Ce corpus de 15 dictionnaires et encyclopédies, parus de 1776 à 1914, a été élaboré par le groupe de recherche constitué depuis 2017 autour du projet DicThéa, consacré aux dictionnaires de théâtre des 18e et 19e siècles, en vue de l’étude de ces objets et de l’édition numérique de cet ensemble pour la constitution d’un outil à destination des chercheuses et chercheurs. Trois ateliers de recherche en juin 2017, 2018 et 2019 ont permis de commencer l’étude de ces ouvrages (figures auctoriales, gestes éditoriaux, composition, élaboration des savoirs et organisation des connaissances, état des pratiques, influences étrangères, etc.). Le résultat de ces premières recherches est publié dans le n°7 de la Revue d’Historiographie du théâtre : DICTHEA : Dictionnaires et Encyclopédies de théâtre des 18e et 19e siècles.
https://sht.asso.fr/revue/dicthea-dictionnaires-et-encyclopedies-de-theatre-des-18e-et-19e-siecles-1/
[2] C’est le titre d’un des volumes identifiés : Alfred Bouchard, La Langue théâtrale. Vocabulaire historique, descriptif et anecdotique des termes et des choses du théâtre suivi d’un appendice contenant la législation théâtrale en vigueur, Paris, Arnaud et Labat, libraires-éditeurs, 1878. Ce corpus exclut de fait les dictionnaires d’œuvres, mais aussi le Lyonnet, grand dictionnaire consacré aux comédiens et comédiennes en France : Dictionnaire des comédiens français (ceux d'hier). Biographie, bibliographie, iconographie, Genève, Bibliothèque de la Revue universelle internationale illustrée, 1902-1908, 2 vol. 
[3] Le terme est d’Arthur Pougin, dans la préface de son ouvrage Dictionnaire historique et pittoresque du théâtre et des arts qui s’y rattachent, Paris, Firmin Didot, 1885, p. viii. 
[4] Voir Aristippe, Théorie de l’art du comédien ou manuel théâtral, Paris, A. Leroux éditeur, 1826, et sa réédition : Aristippe, Manuel théâtral et du comédien (encyclopédie-Roret, réédition 1854).
[5] Voir par exemple François-Antoine Harel, Dictionnaire théâtral ou douze cent trente trois vérités sur les directeurs, régisseurs, acteurs, actrices et employés des divers théâtre, Paris, J.N Barba Libraire,1824.
[6] Le terme est de Julia Gros de Gasquet, dans « L’alphabet pour penser l’art de l’acteur : le dictionnaire d’Aristippe », Ligeia, no 153-156, 2017, p. 190-191.
[7] Le Pougin en est un merveilleux exemple. Voir l’article de Léonor Delaunay : « Le magasin des images. Sur l’iconographie du Dictionnaire historique et pittoresque du théâtre d’Arthur Pougin », Revue d'Historiographie du Théâtre numéro 7 [en ligne].
[8] Maurice Blanchot, « Le temps des encyclopédies », in L’Amitié, Paris, NRF, Gallimard, 1966. P.66.
[9] Becquet, C.M. Edmond, Encyclopédie de l’art dramatique, Paris, chez l’auteur, 1886, préface, p.II. 
[10] Walter Benjamin, « Le Paris du Second Empire chez Baudelaire », in Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, Paris, Payot, 1982, p.55. 
[11] Ainsi de la réédition proposée par le projet DICTHEA des 16 dictionnaires des 18e et 19e siècles. 
[12] Maurice Blanchot, « Le temps des encyclopédies », in L’Amitié, op. cit., p.63.