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(R)évolution. Appel à contributions pour le numéro 28 de la revue de littérature générale et comparée TRANS-

(R)évolution. Appel à contributions pour le numéro 28 de la revue de littérature générale et comparée TRANS-

Publié le par Marc Escola (Source : Antoine Ducoux)

(R)évolution

Le sens moderne du mot « révolution » et l’imaginaire de la rupture qui s’est construit autour de ce terme sont d’origine récente (Vid. Jean-Pierre Bardet[1]). La sémantique ambiguë du mot « révolution » recoupe la double idée de réitération (une évolution qui r-evient) et de rupture (le metabolê platonicien). Parler de « révolution » pose donc la question de la distinction de ce mot avec les termes voisins de « transformation », de « subversion » et de « renversement ». Cela revient également à s’intéresser au problème des affinités (tant phoniques que sémantiques) que ce mot entretient avec celui « d’évolution » entendue comme progrès, sans oublier la portée d’un terme omniprésent dans nos discours et nos imaginaires, souvent employé de façon métaphorique. Si toute pensée de la révolution est « théoriquement pauvre » au sens où elle n’a « de résonance réelle que spéculative [...] ou circonstancielle », comme l’écrit François Châtelet[2], sa sémantique se prête, quant à elle, à de multiples éclairages dont ce numéro voudrait évoquer la richesse.

De la réflexion proposée par Gisèle Séginger[3] sur le couple notionnel évolution/révolution et sur les impacts idéologiques de la confrontation de ces paradigmes au XIXe siècle, où il est question d’aborder leur traduction en termes politiques et leurs effets esthétiques et littéraires, on élargira la portée de notre appel à la manière dont l’impact des révolutions engage des pensées de l’histoire et du temps ainsi que l’élaboration d’esthétiques nouvelles. On assiste depuis la fin du XXe siècle à toutes sortes de nouvelles « révolutions » sociales et techniques, de l’organisation du travail (libéralisations, privatisations) aux technologies de la production et aux systèmes d’information (« révolution numérique »). Vecteurs d’émancipations autant que d’aliénations individuelles et collectives, ces transformations se sont aussi accompagnées de toutes sortes de soulèvements politiques et d’initiatives contestataires, distincts dans leurs modalités et leurs expressions, du Printemps arabe aux Gilets Jaunes, d’Occupy Wall Street aux Indignés espagnols ou à la Révolution des parapluies à Hong-Kong (pour en donner quelques exemples). 

Partout, la contestation s’est accompagnée de nouveaux discours, de nouveaux moyens de lutte et d’action, de nouvelles manières de nommer la domination à combattre, de définir l’urgence (sociale, politique, climatique…). Quels imaginaires, quelles représentations, quelles élaborations artistiques ont pu surgir de ces multiples « révolutions » ? Quelles reconfigurations des événements révolutionnaires, au sens ricoeurien du terme, la littérature permet-elle, sachant que la durée nécessaire à l’élaboration des récits fait de cette même littérature un art à « contre-temps » ? Par quels moyens les œuvres littéraires prennent-elles date de l’événement contestataire et l’inscrivent-elles dans une mémoire collective ? Sous quelles modalités les œuvres élaborent-elles ou non des stratégies polyphoniques d’écriture ? À quelles valeurs renvoient-elles et quelles formes privilégient-elles, entre roman et non-fiction, théâtre et poésie, formes majeures et formes mineures ? On pourra, en guise d’exemple, tirer parti des formes révolutionnaires qui se manifestent aux marges de la littérature, à l’instar du slogan révolutionnaire, une expression encore peu étudiée de ces problématiques comme le montre Zoé Carle dans son ouvrage Poétique du slogan révolutionnaire. Ainsi, il faudrait élargir la réflexion proposée ici, en l’appliquant à d’autres contextes et à d’autres objets (poèmes, pamphlets, installations…) dans une perspective nécessairement comparatiste. On rappellera dans ce but la pertinence d’une telle approche qui non seulement encourage le dialogue avec d’autres disciplines, mais favorise également la mise en relation d’époques et de contextes distants.

À un niveau plus théorique, ces questionnements nous renvoient, comme le rappelle Laurent Jenny, au lieu commun d’une identification de l’innovation littéraire à l’idée de révolution[4] défendue autrefois par Maurice Blanchot dans La part du feu (« Tout écrivain qui, par le fait même d’écrire, n’est pas conduit à penser : je suis la révolution, seule la liberté me fait écrire, en réalité n’écrit pas »). Cette formulation renvoie, toutefois, à des valeurs éthiques et esthétiques très différentes selon les époques et les contextes. Aujourd’hui, il serait alors possible de s’intéresser aux conséquences « révolutionnaires », s’il en est, de la « repolitisation » du fait littéraire, lequel porte plus d’attention que jamais aux faits mineurs, aux subjectivités marginalisées comme le pense Jacques Rancière[5], ce qui oriente le discours critique vers l’évaluation des potentialités pragmatiques de la littérature et de la prise de conscience de la performativité du langage « révolutionnaire ».

Peut-on alors dire que la révolution en littérature se situe dans l’attention renouvelée aux « formes de vie » et dans « l’entraînement aux vertus démocratiques » comme le dit Alexandre Gefen,[6] au risque de minorer l’importance des littératures de combat ? Ou se trouve-t-elle plutôt dans la réinvention d’une littérature de combat et de contestation, comme le conçoit Sonya Florey[7] ? Dans la mesure où souvent l’idée de révolution implique, entre autres, celle de lutte, la réflexion de ce numéro ne pourra pas faire l’économie des apports récents de la recherche sur l’engagement littéraire, des travaux de Chloé Chaudet[8] à ceux de Sonya Florey[9]. Pour ne pas verser dans une conception univoque de l’œuvre engagée comme « révolutionnaire », il convient néanmoins de tenir compte des particularités de l’énonciation littéraire de combat, des contradictions qui peuvent surgir de ces engagements, et de la multiplicité des manières qu’a la littérature d’investir l’espace public pour tracer les voies de l’avenir.

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Les propositions d’article (3000 signes), accompagnées d’une brève bibliographie et en comportant uniquement le titre, doivent être envoyées au 16 janvier 2022 au plus tard en fichier .DOC ou .RTF ou .ODT à l’adresse lgcrevue@gmail.com.

En fichier séparé, le/la collaboratrice enverra sa présentation personnelle. Les articles retenus seront à envoyer pour le 7 avril 2022. Nous rappelons que la revue de littérature générale et comparée TRANS- accepte les articles rédigés en français, anglais, espagnol et italien. Le Comité évalue les propositions selon leur pertinence par rapport à l’appel, l’originalité de leur corpus, leur approche comparatiste ou leur qualité de réflexion théorique sur le thème proposé. Les articles ayant fait l’objet d’une publication antérieure (article, ouvrage, chapitre d’ouvrage), y compris dans une autre langue, ne seront pas retenus.


[1] « Autour du concept de Révolution : Jeux de mots et reflets culturels », in Le concept de révolution, François Crouzet (dir.), revue Histoire, économie et société, 1991, 10ᵉ année, n° 1. p. 7-16.
[2] « Révolution », entrée de l’Encyclopédie Universalis.
[3] Arts et Savoirs, 12 | 2019, mis en ligne le 24 février 2020.
[4] Je suis la révolution, Paris, Belin, 2008.
[5] Politique de la littérature, Paris, Galilée, 2007.
[6] " Littérature et démocratie ", Esprit, juillet-août 2021, 47-56.
[7] L’engagement littéraire à l’ère néolibérale, Lille, PU du Septentrion, 2013.
[8] Ecritures de l’engagement par temps de mondialisation, Paris, Classiques Garnier, 2016
[9] Op.cit.