Retour sur Formes et politiques de la bande dessinée (1998) – Entretien avec Jan Baetens
Publié sur le site du9.org, mai 2021.
"Sébastien Conard : Il y a un peu plus de vingt ans, vous publiez Formes et politiques de la bande dessinée (Peeters/Vrin, 1998), un petit livre tout aussi concis que précis, réparti en quatre parties correspondantes à quatre foyers de recherche : (1) la couleur ; (2) les rapports entre texte et image « au sein du genre mixte qu’est la bande dessinée », relevant par là le concept de graphiation (de Philippe Marion) ; (3) l’apport de certains traits formels à la construction du récit ; et (4) enfin, « les premiers jalons d’une analyse politique du genre ». Couleur, texte et image, récit, politique : voilà un quatuor de choc qui devrait continuer à faire valser la bande dessinée.
Il me semble opportun de mesurer les changements et les tournants du champs depuis deux décennies. Quelques années auparavant, votre collègue Benoît Peeters indiquait des « nouveaux territoires » pour la bande dessinée à venir dans un court ouvrage (La bande dessinée. Un essai pour comprendre, Un essai pour réfléchir. Flammarion, 1993) : le renouveau graphique, l’ambition narrative ou littéraire, la féminisation et la reconquête de l’enfance en étaient quelques-uns. Vous y ajoutiez la nécessité d’une production diversifiée — tant au niveau des créations que des lectorats — et d’une certaine « réinsertion sociale » du médium. Nous reviendrons inévitablement sur ces questions. En tout cas, votre propre “quatuor” d’enjeux pourrait, lui aussi, faire office de checklist quant aux évolutions du récit graphique depuis 1998…
Jan Baetens : Avant d’aborder les questions que vous avez eu la gentillesse de préparer à partir d’un petit livre qui m’est toujours resté très cher, permettez-moi de vous remercier de cette « exhumation ». Je suis sincèrement ravi de voir que Formes et politiques de la bande dessinée, volume à ma connaissance non encore épuisé, parvient toujours à retenir l’intérêt de jeunes créateurs et théoriciens (dans votre cas, la distinction entre les deux devient oiseuse, ce qui n’est pas pour me déplaire). Cela dit, il est important de souligner d’emblée que le monde de la bande dessinée a changé comme le monde lui-même, même si c’est de manière beaucoup moins dramatique, bien entendu. Dans le domaine francophone, ces mutations profondes ont été fort bien commentées et analysées par Thierry Groensteen, notamment dans deux de ses livres qui, avec une bonne dizaine d’années de distance, ont fait le point sur la situation et de l’art et du marché de la bande dessinée : Un objet culturel non identifié (Angoulême, éd. de l’An 2, 2006), puis La Bande dessinée au tournant (Bruxelles : Les Impressions Nouvelles, 2017). Ce diptyque permet de mesurer la distance parcourue entre l’époque où la bande dessinée était toujours à la recherche de sa légitimité et celle où elle est parvenue à trouver sa place au sein — je ne dis pas au cœur — de la culture mainstream.
Quant au discours proprement universitaire, il a également beaucoup évolué. (...)"