Fictions du mariage (XIXe-XXIe siècles)
Journée d’étude co-organisée par Hélène Dubail et Amandine Lebarbier
Université Paris Nanterre, le 15 avril 2022
Détournement du mariage arrangé, nuit de noces privilégiant le plaisir féminin, présence d’une scène perçue par certain.e.s téléspectateurs et téléspectatrices comme un viol conjugal de la femme sur son mari : voilà une vision du mariage XIXe siècle revu par le prisme du XXIe siècle, telle que nous l’a proposée récemment la série à succès La Chronique des Bridgerton, diffusée sur Netflix en décembre 2020. Au-delà de cette réappropriation fantasmée de l'institution du mariage, retravaillée par des problématiques sociétales contemporaines, il est intéressant de se demander pourquoi la fiction de mariage en tant que telle - et ce même quand elle assume les attributs les plus rose bonbon kitsch - continue de fasciner un large public, alors même que, dans nos sociétés occidentales, cette dernière est remise en question, peut être jugée caduque et est désormais confrontée à d’autres modèles.
Souvent, les produits culturels contemporains ménagent justement un repli temporel vers le XIXe siècle, grand siècle du roman de mariage, pour justifier la construction d’un récit dont le noyau est bien la bonne vieille intrigue amoureuse, allant de la scène de première rencontre à l’autel.
Avec cette journée d'étude, nous aimerions à la fois nous replonger dans la fiction du mariage telle que le XIXe siècle l’a construite, tout en ouvrant la réflexion à la manière dont nos sociétés contemporaines s’emparent aujourd’hui de cette même fiction, en la remodélisant ou non.
Aussi, cette journée d’étude se veut-elle ouverte à des genres littéraires et à des productions culturelles variées (films, séries...) et s’inscrira dans une perspective comparatiste, essayant de mettre au jour les particularités de ces représentations de la conjugalité en fonction des aires culturelles et linguistiques envisagées.
Les propositions de communication pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des axes suivants, sans nécessairement s’y limiter :
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On pourra s’intéresser aux fictions qui se focalisent sur le temps des fiançailles et qui interrompent leur intrigue à la célèbre formule “Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants…” Dans ce premier cas, le point de vue des fiancés est parfois autant évoqué que celui des parents qui arrangent l’union (Frau Jenny Treibel). Mais en s’arrêtant aux portes de l’intimité des jeunes mariés, quelle image de la conjugalité est ainsi construite? Cette temporalité tronquée du mariage participe-t-elle à nourrir le mythe de l’union idéale (Pride and Prejudice) ou peut-elle aussi être porteuse d’un regard critique sur l’institution, par le biais d’un traitement ironique de ce temps “édénique” de l’avant ?
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Dans cette perspective, on pourra s’intéresser à des fictions comme Les Malheurs d’Henriette Gérard d’Edmond Duranty qui dénoncent la violence des mariages arrangés et des amours contrariées ou à des intrigues qui mettent au jour les stratégies dont sont victimes les jeunes filles à marier. Pensons par exemple au cri de la baronne Hulot dans La Cousine Bette : “Marier sa fille et mourir !” ou aux stratégies militaires déployées par Mme Josserand dans Pot-Bouille pour caser ses filles. Pensons aussi, à l’inverse, aux fictions de ces mariages qui dérangent la bien-pensance, les mariages mixtes notamment (Guess Who’s Coming to Dinner), dont la représentation reflète les problèmes et injustices rencontrés par certaines minorités (sexuelles, ethno-raciales, etc.)
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En corollaire, on pourra travailler sur des fictions qui, dans la lignée de la Physiologie du mariage de Balzac, interrogent davantage la conjugalité dans sa douloureuse temporalité. La plupart du temps d’ailleurs, le mariage vire à la déception (Effi Briest, Love and Mr Lewisham, Cat on a Hot Tin Roof), au cauchemar (mariage de Gwendolen et Grandcourt dans Daniel Deronda, Une vie ), pour aboutir parfois aux pires extrêmes (La Sonate à Kreutzer, Thérèse Desqueyroux, “Première neige” de Maupassant, le film Hantise). Les fictions peuvent ainsi se faire le reflet des avancées - ou stagnations - juridiques liées au mariage, notamment concernant la question de l’adultère et du divorce, et ce, en fonction des aires culturelles et des imaginaires de la conjugalité qui lui sont associés. Moretti estime à ce titre que si la littérature victorienne privilégie tant l’intrigue de mariage, c’est parce qu’elle est incapable, au fond, de penser l’adultère (Jane Eyre).
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À l’inverse, existe-il une fiction du mariage heureux ? Quelle place la fiction ménage-t-elle pour des (vieux) couples mariés heureux, héritiers de Philémon et Baucis?
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On pourra aussi axer les communications sur un moment particulier qui fonde la mythologie du mariage : première rencontre, demande en mariage (Buddenbrooks), cérémonie nuptiale, mariage clandestin (Vanity Fair), etc. Quelle place, par exemple, tient la scène de la nuit de noces dans la littérature au XIXe siècle, très exploitée au cinéma et dans les séries aujourd’hui ? Quelles lectures ou relectures peut-on donner d’un tel topos, où se joue tant la question de la place accordée à la voix féminine ? Entre la violence des deux nuits de noces évoquées dans La Sonate à Kreutzer de Tolstoï et la mise en scène offerte par la série Bridgerton, à la fois réaliste - la gêne est au rendez-vous - et idéalisée, le topos a pu donner lieu à des représentations et des interprétations tout à fait opposées.
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Fictions à l’eau-de-rose et fictions érotiques : sexe et mariage font-ils bon ménage ? Si la saga Twilight de Stephenie Meyer a châtré la figure du vampire, la romance sado-masochiste d’E.L.James, Fifty Shades of Grey, a tenté d’y offrir une réponse plus osée, sans pour autant abandonner l’idée que les personnages devaient bien finir par se marier, et cautionnant, au passage, l’image de la femme soumise.
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L’incontournable happy end ? Dans quelle mesure le thème du mariage participe-t-il à une standardisation des imaginaires, la scène finale de l'œuvre servant alors à promouvoir la valeur bourgeoise du bonheur, par opposition à la valeur, plus “artiste”, de la liberté ? Des romans les plus sentimentaux de Jules Verne, pourtant opposé au mariage (Le Rayon vert), aux comédies romantiques hollywoodiennes (Sabrina, Pretty Woman, Four Weddings and a Funeral, You’ve Got Mail, Love Actually...), la scène finale du mariage semble souvent avoir pour unique fonction de ranger, définitivement, les individus.
Les propositions de communication, d’environ 400 mots, sont à envoyer avant le 30 septembre 2021, à l’adresse suivante : a.lebarbi@parisnanterre.fr
Bibliographie indicative
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LAVOCAT Françoise et HAUTCOEUR Guiomar (dir.), Le Mariage et la loi dans la fiction narrative avant 1800 [actes du XXIe colloque de la SATOR, Université Paris VII-Denis Diderot, 27-30 juin 2007], Peeters, coll. «La République des Lettres », 2014
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CHAFFIN Laurence, «Les romans de mariage au XIXe siècle» dans Paul Pasteur, Marie-Françoise Lemmonier-Delpy, Martine Gest et Bernard Bodinier (dir.), Genre & éducation. Former, se former, être formée au féminin, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2009, p.117-126
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DION Laetitia, Histoires de mariage. Le mariage dans la fiction narrative française (1515-1559), Classiques Garnier, 2017
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GOUGELMANN Stéphane et VERJUS Anne (dir.), Écrire le mariage en France au XIXe siècle, Saint-Etienne, Presses universitaires de Saint-Etienne, coll. «Des deux sexes et autres», 2017
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HAGER Kelly, Dickens and the Rise of Divorce. The Failed-Marriage Plot and the Novel Tradition, Ashgate, 2010
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LASCAR Alex, «Apprêts et cérémonies du mariage : réalisme, satire et symbolisme dans le roman français (1825-1850)», Revue d’histoire littéraire de la France, 2011/1, vol.III, p.213-228 (https://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-france-2011-1-page-213.htm)
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MAGEE William H., «Instrument of Growth: The Courtship and Marriage Plot in Jane Austen’s Novels», The Journal of Narrative Technique, vol.17, n°2, 1987, p.198-208.
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MORETTI Franco, Le Roman de formation (Il romanzo di formazione, 1986), trad. Camille Bloomfield et Pierre Musitelli, CNRS Editions, 2019, p.24-25
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O’CONNELL Lisa, The Origins of the English Marriage Plot: Literature, Politics and Religion, Cambridge University Press, 2019
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OTIS-COUR Leah, «Mariage d'amour, charité et société dans les “romans de couple” médiévaux», Le Moyen Âge, 2005/2, t.CXI, p.275-291
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PSOMIADES Kathy Alexis, «The Marriage Plot in Theory”, Novel: A Forum of Fiction, vol.43, n°1, Duke University Press, 2010, p.53-59.
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WILSON Kate et RIDLER Anne, «Marriage in Literature», The British Journal of Social Work, vol.19, n°1, 1989, p.111-128