Essai
Nouvelle parution
Th. Ozwald, Mérimée épistolier

Th. Ozwald, Mérimée épistolier

Publié le par Matthieu Vernet (Source : José Sanchez)

Thierry Ozwald, Mérimée épistolier

Paris : Eurédit, 2010.

252 p.

54 EUR

EAN 9782848301372

Présentation de l'éditeur : 

« Carmen », « Colomba », « La Vénus d’Ille » : ce sont là trois chefs-d’oeuvre assurément, mais dont l’aura a occulté tout le reste et notamment une monumentale Correspondance faite de milliers de lettres, établie par Maurice Parturier, et qui constitue pour le chercheur, l’exégète et le bibliophile un fonds de tout premier ordre. Il en va non seulement d’un précieux témoignage historique (Mérimée a traversé le siècle aux « avant-postes », en tant que haut fonctionnaire), mais aussi d’un irremplaçable document sur l’art de l’écrivain, presque d’un art poétique : elle ne laisse pas en effet d’être délicieusement littéraire, c’est-à-dire constamment traversée, animée d’une réflexion concomitante, implicite et subtile sur le fait littéraire. Son charme en est, du coup, toujours recommencé, l’esprit toujours neuf.

Ce livre qui rassemble sept études n’a pas la prétention de dresser un panorama complet de l’épistolarité mériméenne ; il se veut incitatif et voudrait ouvrir de nouveaux champs pour la recherche, donner aussi à l’esthète, à celui qui aime à retrouver au fil de ses promenades littéraires La Fontaine, Rabelais, Molière, Voltaire, et à relire La Princesse de Clèves, Adolphe, Manon Lescaut, le goût de fréquenter Mérimée. Sans doute en effet cette correspondance cultive-t-elle, à sa façon, le sens exquis de la brièveté, cette densité et cette légèreté tout à la fois, ce sens de la formule qui est peut-être comme la marque traditionnelle d’un certain esprit français et que Mérimée, à l’époque romantique, préserve comme un patrimoine… Mérimée épistolier se voudrait une invitation à converser avec ce gentilhomme original, serviteur de la belle prose, savant conservateur, philologue hors pair, ennemi avant tout du plat et du morne, de la mode et de la veulerie, en un mot de la laideur moderniste.

Thierry Ozwald, agrégé de lettres modernes, docteur ès lettres (Université de Picardie) et maître de conférences à l’Université des Antilles-Guyane et à l’i.u.f.m. de Martinique, est un des spécialistes actuels de l’oeuvre de Mérimée et du genre de la nouvelle en général. Il a dirigé en 2003 avec Alexandre Zviguilsky le colloque du bicentenaire de la naissance de Mérimée organisé au Sénat (« Mérimée et Tourgueniev : deux ambassadeurs de l’Europe culturelle »).

 

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Jacques Strang propose aux lecteurs de fabula une note de lecture à propos de cet ouvrage.

 

Thierry Oswald, Mérimée épistolier, Paris, Eurédit, 2010, 252 p. –  Si la correspondance de Prosper Mérimée est une source indispensable aux études mériméistes, elle n'est que rarement l’objet d’une recherche. Thierry Ozwald propose avec Mérimée épistolier sept études de cette immense production qu'il refuse de considérer comme un ensemble à côté de l'oeuvre ou un simple outil de recherche[1]. Reprenant Baudelaire, il invite « les savants austères » mais aussi « les amoureux fervents » à s'emparer de la Correspondance générale et range ses arguments en deux séries de chapitres. La première s'attache à étudier l'art épistolaire de Mérimée et à « rechercher les fondements métaphysiques puis les présupposés éthiques d'une esthétique si peu romantique pour l'époque » (p. 16). La seconde forme un petit traité de l'amitié selon Mérimée. Enfin, l'ouvrage s'achève sur une lecture des Lettres d'Espagne.

Thierry Ozwald consacre sa première investigation au correspondant de Madame de Boigne, lettres d’un courtisan autant que d’un satiriste.  Mérimée et la comtesse sont tous deux proches du pouvoir mais « frustrés de toute influence politique, inaptes à toute praxis […], les voilà réduits à la fonction de commentateurs, sinon de « lorgneurs » aux toutes premières loges de ce théâtre du monde » (p. 27-28).

Déjà, les lettres du jeune Mérimée révèlent « un art du détachement » où s’est mise en place une « stylistique du retrait » (p. 77), dans laquelle Thierry Ozwald cherche les fondements d’une éthique mériméenne. Cette écriture élégante, humoresque, c’est « le laboratoire » (p. 78) de l’oeuvre de fiction. À partir de 1852, si certains voient dans la Correspondance générale un vaste bulletin de santé, Thierry Ozwald y découvre une « série de délicates pièces d’art » en guise d’ultima verba ; « [vieillir] en écrivant, écrire en vieillissant : c’est à méditer cette dialectique-là que Mérimée nous invite […] » (p. 60).

L’auteur a aussi suivi l’inspecteur des Monuments historiques à travers les provinces de l’Ouest, au cours de huit tournées qui durèrent en moyenne trois mois. Ce n’est pas seulement le Mérimée cuistre par profession puis par goût – selon ses propres mots – qui apparaît. C’est aussi le voyageur « au milieu du tourbillon des chevaux, des voitures, des harnais » (p.120), qui a expédié en chemin des lettres témoignant autant d’une passion pour les pierres et l’histoire qu’un don pour l’amitié.

Après les comparses antiquaires, Thierry Ozwald revient à des amitiés plus littéraires et plus connues, Stendhal et Tourgueniev. Le premier est pour l’auteur de Mérimée, épistolier, une figure du Père, le second se voit « chargé d’accomplir ce que Mérimée laisse inachevé dans son oeuvre mais aussi de corriger – on est tenté de dire de racheter – une vie qui s’est organisée dans l’erreur » (p. 210). Les oeuvres de Tourgueniev autant que celles de Stendhal sont par ailleurs l’objet d’un inlassable travail de promotion de la part de Mérimée.

Enfin, dans une courte annexe, Thierry Ozwald s’intéresse au pseudo épistolier des Lettres d’Espagne. S’agit-il d’une expérience en forme de « [rhapsodie] épistolaire » (p. 230) que Mérimée renouvellera avec L’Abbé Aubain ou bien de petits textes proches du journalisme ? Pour Thierry Ozwald, c’est une nouvelle « parfaitement accomplie et des mieux réussies » (p. 230-231), un « phénomène […] extrêmement intéressant pour qui se penche un tant soit peu sur la génétique du texte de nouvelle et donc réfléchit à la théorie des genres » (p. 231), ce que l’auteur fait dans les pages suivantes.

Mérimée, épistolier, sans viser l’exhaustivité, donne une large perspective sur dix-sept volumes de correspondance. À partir de cette autobiographie éparpillée entre des dizaines de correspondants, dispersée dans les plaisirs, les travaux et les jours, Thierry Ozwald compose sept études pour le savant austère et autant d’invitations à une lecture enfin dilettante.

Jacques Strang


[1] Thierry Ozwald se réfère à la Correspondance générale (16 vol. plus 1 vol. d’index), éd. Maurice Parurier, t. I à VI (en coll. avec Pierre Josserand et Jean Mallion), Paris, Le Divan, 1941-1947 ; t. VII à XVII, Toulouse, Privat, 1953-1964. Sauf pour le chapitre « Mérimée, épistolier satirique » : Lettres à la comtesse de Boigne, éd. L. De Sercey, Paris, Plon, 1933.