Revue
Nouvelle parution
La Revue Littéraire, n° 51, décembre 2011 :

La Revue Littéraire, n° 51, décembre 2011 : "Hervé Guibert"

Publié le par Matthieu Vernet (Source : isabelle Grell)

La Revue Littéraire : Hérvé Guibert (1955-1991), n° 51, décembre 2011

Sous la direction d'Arnaud Genon

edition Léo Scheer

EAN 9782756102917

Présentation de l'éditeur :

Oui, dans ce recueil orchestré par Arnaud Genon, spécialiste sans conteste de l’oeuvre guibertienne, le lecteur se trouve face aux souffles d’un ange, aux aspirations d’un démon, au corps (d)écrit d’un homme qui a à peine traversé son siècle mais qui en a nonobstant été son auteur avisé, cruel, contemplatif et incisif. Incisif : on pense couteau, sang, lacération. Dans le texte d’Abdellah Taia, qui est à première vue le plus éloigné du thème auquel il s’agissait de répondre, le « petit Marocain » qu’il fut jadis en 1994 est attiré par le sang rouge qui se pressait entre les dents blanches d’une femme pour lui étonnamment appétissante. Sans céder aux avances du jeune homme, le dernier jour, elle offrit à Abdellah un des livres les moins divulgués d’Hervé Guibert : Mauve le vierge et, simultanément, elle lui donna un frère dont l’auteur est devenu aujourd’hui le digne cadet.

Catherine Mavrikakis connaît bien, elle, le rouge, le rouge sang. Elle le connaît de près. Le rouge sang de Guibert. Elle l’aurait bouffé, pour mieux le recracher, vivant, pas mort. Le faire revivre par son corps. Oui, il est question de couleurs, dans ce recueil. Si Guibert avait fait des photos en couleurs, il aurait peut-être renforcé le rouge. Mais les photos que Guibert a prises de lui et dont on a, à plusieurs reprises relevé l’importance, sont en noir & blanc.

Une radiographie, explique Christophe Donner dans son texte. Avoir, garder, laisser des projections de soi, pour après. La photo serait-elle comprise comme une sorte de suaire christique ? La Passion selon Guibert ? Guibert aurait trouvé cela cocasse et il aurait peut-être hoché sa tête blonde.

Les textes que nous trouvons dans ce numéro 51 de La Revue Littéraire ne sont pas désincarnés. L’amour pour l’auteur et son oeuvre qu’ils peignent, qu’ils respirent, la passion pour la vie et la mort qu’ils poussent jusqu’au fond, jusqu’au dedans, jusqu’à l’excrément, à l’exécration, la brûlure de la séparation sont ici revécus sous différents angles.

L’angle « peauétique ». Dans sa propre chair, comme le fait Philippe Mezescase en se rappelant, avec grâce et un sourire délicatement joué, la mise en scène des derniers moments de mort-vivant de Guibert. L’angle de l’échange. A travers des souvenirs d’amis communs (René de Cecatty), et pas des moindres, ou d’amants qui devaient, impérativement, porter d’une manière ou d’une autre le nom de Vincent (Mathieu Simonet).

D’autres revivent Hervé Guibert à travers leur propre histoire. Car aimer Guibert ne ressemble pas à aimer Flaubert. On aime Guibert parce qu’il est immortel. Et que nous ne le sommes pas. Ni ceux qui nous entourent. Arnaud Genon sait qu’il a (été) choisi par l’écriture guibertienne en raison de l’inacceptable déchéance physique de sa mère qui reflétait en quelque sorte celle de Guibert. A travers son film, ses livres, Guibert s’était fait son propre spectateur, offrant par là son corps décharné à tous.

Claire Legendre de son côté, lorsqu’elle « connut » Guibert, était depuis un certain temps déjà à la recherche de ce bel ange éternel. Elle crevait « de ne pas être un homme homosexuel ». L’identification, ici, est lyrique. Claire Legendre s’en fout du sida, elle désire la beauté, elle tombe amoureuse du dandy, et elle arrivera même à devenir lui. Ses romans, ses titres en font preuve.

Benedicte Heim témoigne dans son texte de la force intrusive des oeuvres de Guibert. Elle évoque la doublure littéraire, photographique que Guibert s’est construite en écrivant, en se filmant, s’immobilisant sur des clichés. Les frontières de celui qui est mort à 36 ans, et ceci est le plus douloureux, ne seront pas les nôtres. Non que Guibert soit un héros. Loin de là. Mais il pose son doigt là où ça fait mal. Sur notre corps ouvert. Le coeur défoncé. Sur nos frontières qu’on ne franchira pas comme lui. Guibert le sait : quand il a passé la frontière, les nôtres ne sont que démultipliées.  Guibert nous échappe. Et nous lui courrons après. Ce recueil est un de ces rares moments où nous le rattrapons, une seconde, et l’obligeons de s’allonger sur le sol avec nous. Reste, mon ange.

Isabelle Grell