Édition
Nouvelle parution
S. Sontag, Renaître. Journaux et carnets (1947-1963)

S. Sontag, Renaître. Journaux et carnets (1947-1963)

Publié le par Marc Escola

Renaître - Journaux et carnets (1947-1963)
Susan Sontag
David Rieff (Préfacier), Anne Wicke (Traducteur)

Paru le : 14/01/2010
Editeur : Christian Bourgois
ISBN : 978-2-267-02064-9
EAN : 9782267020649
Nb. de pages : 385 pages

Prix éditeur : 23,00€


Premier d'une série de trois volumes présentant une sélection des journaux et carnets de Susan Sontag, cet ouvrage nous permet de suivre la trajectoire constamment surprenante d'un grand esprit en formation.

Le livre s'ouvre sur les débuts des journaux et les premières tentatives d'écriture de fiction, lors des années d'université, et il se clôt en 1963, quand Susan Sontag devient à la fois une figure et une observatrice de la vie artistique et intellectuelle new-yorkaise. Renaître est un autoportrait kaléidoscopique d'un des plus grands écrivains et penseurs nord-américains, que la curiosité et l'appétit de vivre exceptionnels de Sontag rendent d'autant plus vivant.

Nous observons ainsi la naissance d'une conscience de soi complexe, nous la voyons s'enrichir des rencontres avec les écrivains, universitaires, artistes et intellectuels qui ont structuré sa pensée, et s'engager dans l'immense défi de l'écriture, le tout filtré par le prisme des détails inimitables du quotidien.

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Dans le Monde des livres du 5/2/10, on pouvait lire cet article:

"Renaître. Journaux et carnets 1947-1963", de Susan Sontag : l'invention de Susan Sontag par elle-même LE MONDE DES LIVRES | 04.02.10 | 12h35
Detoutes les qualités dont elle était pourvue, Susan Sontag en possédaitau moins deux qui ne devaient rien à l'intelligence. D'abord, elleétait très belle, de ce genre de beauté sombre, solennelle, qui nelaisse pas de place au flou. Surtout, elle était passionnément,férocement avide de vie - envers et contre tout, même la raison.

Intellectuelle de renom, connue pour lapertinence de ses essais puis pour ses romans, pour la force de sesengagements à gauche, pour cette manière bien à elle de donner le ton,cette femme d'esprit manifestait un désir brut, presque archaïque, devivre. Exister encore, encore plus, le plus longtemps possible. Mêmetrès malade - ce cancer obstiné (le troisième) qui finirait par avoirraison d'elle le 28 décembre 2004 -, Susan Sontag échafaudait des planspour s'en sortir, pour vivre quelques semaines de plus, quelques moispeut-être. Dans son grand appartement de New York, elle trouvait laforce d'écrire, de répondre aux questions, de projeter la énièmeconsultation, le énième voyage, l'intervention qui la sauverait. "Ce qu'il y a de terrible avec la maladie, disait-elle au printemps 2004, c'est qu'elle vous ensorcelle."

Pourqui a vu cette femme se débattre avec tant d'énergie au seuil de lamort, il est troublant de retrouver, à l'identique, cette urgence,cette impatience et même cette forme de gloutonnerie dans des écritsdatant de l'extrême jeunesse. Enfant précoce, surdouée dirait-onmaintenant, Susan Sontag a commencé de tenir des carnets intimes dès lafin de sa douzième année (elle était née en 1933). Par goût et parnécessité personnelle, elle garda cette habitude jusqu'à "quasiment les dernières années de sa vie", comme l'explique son fils, David Rieff, dans sa préface au premier tome de ces écrits.

Unevie de journaux, donc, soit une centaine de carnets, au sujet desquelsl'écrivain n'a laissé aucune consigne avant de mourir. Refusantd'envisager l'idée même de sa disparition, Susan Sontag n'avait paspris de dispositions particulières concernant la postérité de sonoeuvre. D'où la perplexité de son fils, lorsqu'il s'est agi de statuersur les petits cahiers soigneusement rangés "dans la penderie attenante à sa chambre".Que faire ? Susan Sontag, rappelle David Rieff, était une personneextraordinairement attentive à tout ce qu'elle publiait, s'échinantavec "véhémence sur les traductions de ses textes, même dans les langues qu'elle ne connaissait qu'approximativement".

Finesse et distance

Tout en ayant conscience de violer "l'intimité" de sa mère, David Rieff a choisi de publier trois volumes de ces écrits en opérant une sélection, mais sans jamais "exclurequoi que ce fût, soit parce que la note présentait ma mère sous uncertain éclairage, ou bien à cause de la franchise sexuelle ou de laméchanceté dont elle pouvait faire preuve". C'est donc un tableaucru qui émerge de ces pages, sans autre retouche que celle des coupeseffectuées dans la masse. Le portrait saisissant d'une très jeune femmeoccupée à se construire avec une constance et une détermination inouïes.

Entréeà l'université californienne de Berkeley à l'âge de 16 ans, SusanSontag se crée méthodiquement comme sujet de sa propre existence. Ellelit, elle écoute de la musique, elle va au théâtre et note tout,commente, dissèque dans une langue souvent très belle, établit deslistes de lectures passées et futures, de mots, de souvenirs. Si ladécouverte de son homosexualité prend une certaine place dans sesjournaux, c'est rarement sous l'angle charnel ou sentimental, maisplutôt à travers l'analyse : Susan Sontag passe au crible de sonintelligence suraiguë ce que sent Susan Sontag quand elle fait l'amourou quand elle se trouve en compagnie de telle ou telle.

Le flux de la conscience est observé avec finesse et une distance qui frôle la caricature, au moins dans les premières années : "Je note avec amusement mon entrée dans la phase anarcho-esthète de ma jeunesse", observe-t-elle en 1949, un an après avoir évoqué ces "horribles moments où (sa) conscience paraît une chose tangible".Surcontrôlée, surconsciente, rarement drôle, jamais ironique, maissouvent émouvante (en particulier dans cette manière de ne rien se"passer") elle écrit comme on s'admoneste, en décembre 1956 : "Laisser aller/Laisser aller/Laisser/ Vraiment aller."Peine perdue... On ne se défait pas si facilement d'un intellect aussiimpérieux, envahissant, voire dominateur. Et même si Susan Sontagexplique, en 1950, que nombre de ses opinions "se sont formées, directement stimulées" par Martin Eden,le roman de Jack London, il y a fort à parier que cette ébullitionintellectuelle l'aura empêchée de devenir à son tour ce qu'elle rêvaitfinalement d'être, plus que tout au monde : une grande romancière,capable de lâcher la bride aux sens et à l'émotion, fût-ce parfois audétriment de la raison pure.

RENAÎTRE. JOURNAUX ET CARNETS 1947-1963 (REBORN. JOURNAL AND NOTEBOOKS) de Susan Sontag. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne Wicke. Christian Bourgois, 386 p., 23 €.

Signalonsla parution en poche d'une sélection des premiers articles de SusanSontag sur les arts et la culture contemporaine, sous le titre L'oeuvre parle (Christian Bourgois, "Titres", n° 104).


Raphaëlle RérolleExtrait

"19/11/1959

Lavenue de l'orgasme a changé ma vie. Je suis libérée, mais ce n'est pasla bonne façon de le dire. Plus important : cela a rendu ma vie plusétroite, m'a fermé des possibilités, a rendu des alternatives nettes etclaires. Je ne suis plus illimitée, c.-à-d. rien.

La sexualitéest le paradigme. Avant, ma sexualité était horizontale, une ligneinfinie qui pouvait être infiniment sous-divisée. Maintenant elle estverticale ; c'est le grand saut, ou rien.

L'orgasme aiguise. Jedésire physiquement écrire. La venue de l'orgasme n'est pas le salut,plutôt, la naissance de mon ego. Je ne peux écrire tant que je n'ai pastrouvé mon ego. Le seul type d'écrivain que (je) pourrais être estcelui qui se montre... Ecrire, c'est se dépenser, se jouer. Maisjusqu'à maintenant, je n'aimais même pas le son de mon propre nom. Pourécrire, je dois aimer mon nom. L'écrivain est amoureux de lui-même...et crée ses livres à partir de cette rencontre et de cette violence."

("Renaître", p. 270-271.)