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S'évader au Moyen Âge: entre appropriations contemporaines et imaginaires de l'histoire médiévale (Autun)

S'évader au Moyen Âge: entre appropriations contemporaines et imaginaires de l'histoire médiévale (Autun)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Justine Breton)

Colloque 7-8 octobre 2021 à Autun

Qu’il s’agisse de rejouer des batailles de fantasy en GN, de dévorer des mets rôtis lors d’une fête médiévale dans une logique toute carnavalesque[1], de re-créer des gestes techniques en lien avec l’artisanat de l’époque ou de raconter des histoires de princesses et de chevaliers, le Moyen Âge reste dans l’imaginaire collectif associé à une notion de plaisir. Cette facette est l’opposée de celle qui associe également souvent la période médiévale aux qualificatifs « sale » et « obscur »[2]. En réponse à un Moyen Âge repoussant, il est aussi possible de « partir en vacances » au Moyen Âge comme l’on voyagerait dans un pays lointain, à la fois dépaysant et familier[3]. Le médiévalisme offre une porte d’entrée privilégiée dans cette période réinventée ou ressuscitée.

Dans la continuité de plusieurs colloques et publications[4] portant sur la thématique de la résurgence du Moyen Âge au XXIe siècle, nous souhaitons mettre l’accent sur les manières dont cette époque est utilisée pour proposer une rupture avec le quotidien. Se posent alors les questions suivantes : comment et pourquoi choisit-on de s’évader au Moyen Âge ? Comment et pourquoi cette période joue-t-elle particulièrement un rôle d’échappatoire face au quotidien ?

Afin de proposer des pistes de réflexion, deux axes majeurs sont envisagés. Le premier porte sur les fictions qui mettent en scène le Moyen Âge : en quoi celles-ci deviennent-elles des échappatoires ? Le second axe met l’accent sur la corporéité et questionne l’expérience corporelle comme outil d’évasion dans un autre temps.

1. Les fictions comme échappatoires

L’escapism, ou la tendance à rechercher dans la fiction une échappatoire trompeuse à la réalité, a souvent été considéré comme une dérive négative de la littérature et des domaines de l’imaginaire. L’on accuse – accusait ? – les jeunes lecteurs, principalement, de refuser de grandir en restant attachés à des univers enfantins, souvent considérés à tort comme simplistes et donc nocifs pour leur formation. Le cadre médiéval, par sa propension à mettre en scène des aventures merveilleuses, des combats épiques et des créatures fabuleuses, apparaît comme une cible de choix pour ces reproches, mais est-ce là le seul intérêt divertissant du Moyen Âge ? Le cinéma et la télévision ont rapidement subi les mêmes commentaires, étant opposés par leur nature a priori divertissante à d’autres pratiques – scolaires notamment –, quant à elles jugées plus pertinentes car plus utiles à éduquer la jeunesse. Dans ce cadre, s’évader dans le médiévalisme, littéraire ou audiovisuel, peut être vu comme une démarche d’évitement de la réalité, comme cherche par exemple à le faire la princesse Bean dans la série animée Désenchantée.

Pourtant, certains auteurs revendiquent au contraire le pouvoir philosophique et psychologique de cette échappatoire par la littérature médiévaliste (T.H. White, The Book of Merlyn), en montrant que l’évasion temporaire au Moyen Âge peut s’avérer bénéfique pour mieux prendre du recul sur les dilemmes du quotidien (Camelot 3000). Doit-on voir, accentuée depuis quelques décennies, une volonté de revaloriser cette échappatoire comme une conséquence positive de la littérature ? Ou doit-on plutôt comprendre que les pratiques narratives ont évolué, en intégrant un contenu pédagogique ou scientifique à un cadre divertissant, évitant de fait d’éventuels reproches d’escapism ? Des chercheurs, enseignants et spécialistes de la période médiévale peuvent d’ailleurs apprécier certaines productions médiévalistes, et y trouver un intérêt historique et pédagogique, sans s’arrêter aux choix anachroniques des créateurs (Vikings, Kaamelott). Comment articuler savoir scientifique et goût pour le divertissement ?

L’expérience ludique est un autre moyen de s’échapper du quotidien, durant un temps donné. Ainsi, les jeux de plateau prenant pour thème le Moyen Âge ou ses déclinaisons fantastiques sont légions (Troyes, Les bâtisseurs, Kingdomino, etc.), de même que les jeux vidéo, qu’il s’agisse de combattre comme au Moyen Âge (Medieval total war, par exemple) ou d’explorer un univers médiéval (plusieurs opus de la série Assassin’s Creed, The Witcher, ou encore Kingdom come deliverance). L’entrée dans un autre temps est aussi permise par la narration et la pratique du jeu de rôle. Nombreux sont ceux qui prennent pour cadre une période médiévale, plus ou moins proche de la réalité historique (le célèbre Donjons & Dragons, mais aussi Rolemaster, Miles Christi, Nightprowler, etc.). Ainsi, le jeu est porteur de diverses représentations de l’époque médiévale et tend à produire un cadre, au sein duquel le Moyen Âge devient un décor. Comment celui-ci facilite-t-il l’immersion dans la pratique ludique ? Mais aussi, comment l’activité ludique revisite-t-elle le passé ?

2. La corporéité comme outil d’évasion dans un autre temps

Le second axe fait référence à un Moyen Âge expérimenté « par corps ». L’évasion est ici permise par des expériences sensorielles et corporelles. Il peut s’agir des pratiques d’histoire vivante[5], mettant en jeu des re-créations gestuelles, aussi bien du point du vue des artisanats et des modes de vie révolus (reconstitution historique) que du côté des savoir-faire techniques martiaux (par exemple, avec les Arts martiaux historiques européens). Comment ces pratiques d’histoire vivante produisent-elles de nouveaux espace-temps et permettent-elles un dépaysement ? Comment s’échappe-t-on au Moyen Âge, sans pour autant abandonner le monde contemporain ?

Dans la continuité de ces pratiques de loisirs expérimentées corporellement, comment l’imaginaire permet-il une approche différente de l’histoire ? C’est le cas, par exemple, des fêtes médiévales (au sein desquelles une liberté de représentation du Moyen Âge est souvent présente), des reconstitutions de fiction (notamment des batailles de la Guerre de l’Anneau) et aussi des jeux de rôle grandeur nature. Entre « Fantasy et Histoire(s)[6] », la période médiévale apparaît comme un support permettant l’expression d’un engagement corporel associé à un passé réinventé.

Autres formes d’expérimentations par le corps, souvent oubliées dans les pratiques de mises en vie : le théâtre et la musique. En effet, le théâtre historique, qu’il soit sur scène ou dans la rue (sous forme de saynètes, par exemple), expose aussi des fragments rejoués de l’histoire médiévale. De la même manière, les re-créations de sons issus du passé (par le biais de la reproduction d’instruments, de festivals de musiques médiévales, etc.) permettent aux auditeurs d’approcher des perceptions d’un temps révolu. Comment ces spectacles deviennent-ils des supports à un voyage dans le passé ?

Le goût est également l’un des sens pouvant être mobilisé pour expérimenter le Moyen Âge. L’alimentation médiévale forme, en effet, un moyen d’entrée privilégié dans l’histoire. Qu’il s’agisse de reconstitutions de recettes historiques (pour lesquelles les ingrédients ne sont plus toujours disponibles) ou d’évocations de banquets, le repas médiéval semble faciliter la proximité avec le passé[7]. Le Moyen Âge devient ainsi parfois prétexte au tourisme, notamment dans les cités à fort patrimoine médiéval. Dans ce contexte, les escapades dans les « tavernes » ou « auberges » proposées aux visiteurs sont nombreuses. Au-delà, les lieux de convivialité tels les bars peuvent aussi prendre des noms à consonance médiévale et proposer un cadre qui fait écho à cette époque. Dès lors, comment la mise en scène d’un lieu produit-elle un sentiment de dépaysement ? Comment les diverses formes de représentations de l’alimentation médiévale permettent-elle de se projeter hors du temps quotidien ?

Ainsi, les expériences et expérimentations corporelles et sensorielles forment des portes d’entrées privilégiées vers le Moyen Âge, dans une logique somme toute très hédoniste. Promesses de reconstitutions à l’identique ou manières de réinventer la période médiévale, ces formes d’évasion questionnent aussi, en creux, les représentations du Moyen Âge telles que véhiculées dans nos sociétés contemporaines. Au-delà, les loisirs qui mobilisent l’histoire médiévale sont révélateurs des réappropriations faites de cette période et des imaginaires qui la sous-tendent. Il s’agira ainsi de s’interroger aussi bien sur les conditions d’expression d’un Moyen Âge favorisant l’immersion temporaire dans un passé pourtant révolu, que sur les différents modèles et formats proposés, permettant de « ressentir » le Moyen Âge.

 

Quel que soit l’angle d’approche choisi (fiction ou corporéité), la question n’est pas, ici, d’évaluer la « véracité » historique des diverses formes de recréations/reconstitutions existantes, ni d’interroger les enjeux de la patrimonialisation auxquels sont par exemple confrontés les musées, mais bien d’approfondir les raisons et les motifs de ces réappropriations fictives, corporelles et expérimentales de la période médiévale.

Ces réflexions doivent être abordées selon un angle pluridisciplinaire. Les propositions de communication pourront ainsi relever du champ des sciences humaines et sociales (sociologie, ethnologie, histoire, archéologie, sciences de l’information et de la communication, etc.) mais aussi du domaine de la littérature, des études visuelles et cinématographiques, etc.

Ce colloque est organisé en partenariat avec la ville d’Autun qui accueillera les intervenants, de l’association Modernités Médiévales, et il fait partie de l’ANR Aiôn (Socio-anthropologie de l’imaginaire du temps. Le cas des loisirs alternatifs).

Comité scientifique :

Anne Besson (Université d’Artois)

Florian Besson (Actuel Moyen Âge)

Justine Breton (Université de Reims Champagne-Ardenne)

Estelle Doudet (Université de Lausanne)

Laurent Di Filippo (Université de Lorraine)

Audrey Tuaillon Demésy (Université de Franche-Comté)

 

Les propositions de communication (environ 2 000 signes et 5 mots-clés) ainsi qu’une courte biographie seront à faire parvenir conjointement à audrey.tuaillon-demesy@univ-fcomte.fr et à justine.breton@univ-reims.fr pour le 30 mars 2021 au plus tard.

Évaluation des propositions par le comité scientifique : courant avril 2021

Réponse aux contributeurs : courant mai 2021

Tenue du colloque : 7-8 octobre 2021, Autun

 

[1] William Blanc, « ‘Le gras, c’est la vie !’ Festins à la cour du roi Arthur », dans Florian Besson et Justine Breton, Kaamelott, un livre d’histoire, Paris, Vendémiaire, 2018, pp. 207-220.

[2] Sur la construction des représentations du Moyen Âge et la stigmatisation de cette période, voir Herrs Jacques, Le Moyen Âge, une imposture, Paris, Perrin, 2008.

[3] Alain Corbellari, Le Moyen Âge à travers les âges, Neuchâtel, Éditions Livreo-Alphil, 2019.

[4] Reenactment/Reconstitution. Refaire ou déjouer l’Histoire ?, colloque dirigé par Estelle Doudet et Martial Poirson, Cerisy, 22-29 septembre 2018 ; Vivre et faire vivre le Moyen Âge, colloque dirigé par Laure Barthet, Patrick Fraysse et Sylvie Sagnes, Carcassonne, 19-21 juin 2019.

[5] Audrey Tuaillon Demésy, La re-création du passé. Enjeux identitaires et mémoriels, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2013.

[6] Anne Besson (dir.), Fantasy et Histoire(s), Chambéry, ActuSF, 2019.

[7] Julie Deramond, « Revivre le Moyen-Age le temps d’un repas : le restaurant médiéval », communication proposée lors du colloque Vivre et faire vivre le Moyen Âge, Carcassonne, 19 juin 2019.