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«Qui parle? Enjeux de la narration indécidable dans le roman contemporain »

«Qui parle? Enjeux de la narration indécidable dans le roman contemporain »

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Marion Kühn)

Journée d’étude «Qui parle? Enjeux de la narration indécidable dans le roman contemporain »

 

Organisée par Andrée Mercier et Marion Kühn, Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises – CRILCQ

 

Université Laval

1er novembre 2012

 

Dans le cadre de nos travaux de recherche sur la « Narration impossible, indécidable et ambiguë. Enjeux esthétiques et théoriques de la transmission narrative dans le roman contemporain », notre équipe souhaite organiser une journée d’étude et convier d’autres chercheurs à notre réflexion.

Le roman contemporain foisonne de narrateurs problématiques. Qu’ils soient fous, morts, dissimulateurs ou travestis, ces narrateurs mettent à l’épreuve le pacte de lecture et l’autorité narrative de diverses manières. Si les exemples sont nombreux, on peut en ordonner les formes et les enjeux autour de trois principales configurations susceptibles de se combiner au sein d’un même récit.

La narration ambiguë renvoie à la crédibilité du narrateur et à la fiabilité de son récit. Elle se présente lorsque des incongruités ou des divergences entre les énoncés du narrateur et le monde fictif construit suscitent des doutes quant à la version fournie de l’histoire. Dans Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis, par exemple, il est difficile de déterminer si la narratrice a tué sa famille comme elle le prétend ou si l’incendie n’est en fait qu’un accident.

La narration impossible renvoie plutôt à la compétence du narrateur. Dans ce cas, les données textuelles mènent à se demander si le narrateur est en mesure de prendre en charge la narration. Une voix d’outre-tombe se trouve, par exemple, dans La femme sans sépulture d’Assia Djebar. Parmi la multitude de voix qui se remémorent Zoulikha, on observe aussi la sienne qui relate sa propre mort. Les narrateurs comateux, muets ou illettrés sont d’autres cas de figure de narration impossible.

Lors de la journée d’étude, nous nous intéresserons à la troisième configuration, la narration indécidable, qui renvoie, quant à elle, à l’identité du narrateur. L’indécidabilité implique que la détermination de l’origine de l’énonciation est problématisée. Cette incertitude provoque la question « qui parle? » de la part du lecteur – question qui peut être résolue au cours du récit ou aboutir à un flou identitaire persistant.

Situant la réflexion dans un cadre pragmatique, nous excluons d’emblée une indécidabilité que l’on pourrait qualifier d’ordre ontologique, telle qu’elle se présente dans le cas d’une narration omnisciente qui n’offre pas d’informations sur l’instance narrative, outre le fait qu’elle narre. La visée pragmatique de la journée d’étude nous mène à retenir exclusivement des romans qui problématisent la détermination de l’instance narrative, de sorte que, tout en relatant une histoire, ces romans placent l’acte de la narration au centre des questionnements.

C’est le cas, par exemple, d’Hier de Nicole Brossard qui met en scène deux personnages auxquels on peut attribuer la narration sans qu’il y ait possibilité de trancher. Si la technicienne en documentation muséale est appelée « narratrice » par les autres personnages, le récit peut aussi bien représenter le manuscrit qu’est en train d’écrire la romancière Carla Carlson. Les deux hypothèses semblent invalidées, toutefois, par la présence d’une instance narrative hétérodiégétique qui, elle, raconte la vie de deux personnages féminins supplémentaires, Axelle Carnavalle et sa grand-mère Simone Lambert. Quand les quatre personnages sont plus tard littéralement mis en scène sous forme d’une pièce de théâtre, l’impression d’une narration partagée fluctuant entre un nombre indéterminable de narratrices prend également forme. Si l’on peut associer l’incertitude de l’origine énonciative à un jeu avec les conventions littéraires destiné à perturber l’illusion mimétique, il faut aussi en considérer les enjeux dans le déploiement de la diégèse, en l’occurrence, interroger les effets de l’indécidabilité narrative sur la prise en charge et la mise en scène d’une voix collective.

Dans Des Hommes de Laurent Mauvignier, le récit des souvenirs douloureux de la guerre d’Algérie glisse d’une narration homodiégétique à la narration hétérodiégétique. Les souvenirs personnels semblent supplantés par un récit de source indécidable qui focalise un autre personnage. S’agit-il d’un récit historique de la part d’un narrateur transparent, ou le narrateur individualisé qui apparaît au début du livre ne fait-il que déplacer ses souvenirs refoulés dans un récit imaginaire à la troisième personne? Par ce glissement, le roman met en scène l’interaction de la mémoire individuelle, de l’imagination et de la mémoire collective dans le récit de mémoire.

D’autres cas de figure de l’indécidabilité narrative peuvent s’ajouter. Sphinx d’Anne Garréta omet tout indicateur sur le sexe de l’instance narrative pourtant homodiégétique. La conséquence de cette contrainte d’écriture est un blanc dans le texte qui instaure un flou identitaire et joue avec les attentes des lecteurs. En ébranlant des stratégies de lecture conventionnelles, Sphinx induit des réflexions sur la notion théorique du personnage fictif et ce, d’autant plus que l’instance narrative raconte, ultimement, sa propre mort dans une posture narrative qui se montre aussi impossible.

Lors de la journée d’étude, il s’agira de dégager les enjeux esthétiques aussi bien que théoriques des procédés littéraires susceptibles d’amener le lecteur à se demander « qui parle? ». Tout en tenant compte des multiples variantes de cette stratégie narrative, nous aimerions élargir la réflexion au-delà de l’analyse de cas de figure concrets, afin que la journée d’étude nous aide à mieux définir la notion même d’indécidabilité narrative.

L’événement aura lieu à Québec, le vendredi 1er novembre. Le comité organisateur du colloque sera heureux de recevoir les propositions de communications de 500 mots maximum, accompagnées d'une notice bio-bibliographique indiquant les principaux travaux et les coordonnées (courriel, numéro de téléphone, département et institution d'attache) de l’auteur de la proposition de communication, au plus tard le 15 juin 2012, à l’adresse suivante : marion.kuehn.1@ulaval.ca.

Les propositions seront évaluées par un comité scientifique.