Édition
Nouvelle parution
Louise Perrenot (Camille Gast), Le Collier chou. Impressions de séjour (éd. de L. Céry & R. Little)

Louise Perrenot (Camille Gast), Le Collier chou. Impressions de séjour (éd. de L. Céry & R. Little)

Publié le par Marc Escola (Source : Loïc Céry)

Lors de la première édition du Collier chou en 1935, Camille Gast alias Louise Perrenot ne vise pas une diffusion qui aille au-delà d'un cercle restreint. Pourtant, ces « Impressions » recueillies tout au long d'un séjour de neuf ans en Martinique de la part de l'épouse d'un Inspecteur primaire de l'Éducation nationale dépassent à vrai dire cette relative confidentialité première. En consignant ses observations attentives sur la vie quotidienne des Martiniquais, Louise Perrenot fournit là un témoignage irremplaçable et exceptionnel sur la Martinique du XXe siècle commençant, période cruciale de transition que connaît alors l'île. Un document précieux.

Voir présentation sur le site de l'éditeur…

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Louise Perrenot, une passion nommée Martinique

par Loïc Céry, blog Mediapart

Dans le paysage éditorial français, il est rare qu'une collection assume autant que le fait « Autrement Mêmes » aux Éditions L'Harmattan, une mission patrimoniale avouée qui en l'occurrence, permette de remettre à disposition des ouvrages depuis longtemps introuvables, relevant de ce que l'historienne Catherine Coquery-Vidrovitch avait nommé la « bibliothèque coloniale et postcoloniale ». Car ce sont en effet de réelles pépites que donne à découvrir cette collection, des titres issus de la période coloniale qu'ont connue bien des zones géographiques, générant toute une littérature en grande partie oblitérée par l'absence de rééditions. Ce sont ainsi des pans entiers des regards provenant de la colonisation qui, de ce fait, étaient devenus invisibles ou connus des seuls spécialistes, parce qu'accessibles uniquement en bibliothèques et à quelques rares exemplaires. Quand Roger Little crée sa collection chez L'Harmattan en 2001, c'est avant tout pour combler un vide et permettre aux spécialistes des postcolonial studies d'avoir accès à ces soubassements d'un champ critique devenu crucial. Peu à peu, par un succès d'estime croissant, la collection devient alors l'incontournable lieu d'un contact direct avec une immense diversité de titres et de thématiques relevant du passé de ces sociétés où coexistaient les regards exotisants, avec les prémices d'un discours de défense des cultures autochtones, face à la logique coloniale. On a appris chemin faisant à recourir utilement à cette diversité, qui s'et muée aujourd'hui en une sorte d'encyclopédie à la fois de l'histoire et des littératures d'Afrique, des Caraïbes, du Maghreb et de l'Extrême-Orient, dans la mesure où ces régions du monde ont connu en des phases plus ou moins longues de leur évolution, ce phénomène complexe à la fois historique et civilisationnel, sociologique et anthropologique, humain et psychologique, que l'on résume sous le vocable général de colonisation.

Vint ans après la création de la collection, ce sont quelque 185 titres qui composent l'imposante collection de L'Harmattan. J'ai récemment eu le bonheur d'y participer activement, en présentant et en annotant avec le précieux concours de Roger Little, cet introuvable que constitue Le Collier chou de Louise Perrenot, alias Camille Gast, sorte de précieux carnet de souvenirs consignés par cette écrivaine passionnée, poétesse et chroniqueuse, épouse d'un Inspecteur primaire de l'Éducation nationale en poste en Martinique durant neuf ans, de 1926 à 1935. Découvrir cet ouvrage, c'est découvrir comme c'est souvent le cas au gré des titres de cette collection, un arrière-plan insoupçonné, et à vrai dire pour le cas du Collier chou, c'est celui d'un tournant résolu, à la faveur duquel dans les années vingt et trente du XXe siècle commençant, est en train de se lézarder le vieil exotisme selon lequel les « voyageurs » occidentaux se sont autorisés à consigner dans leurs écrits des témoignages souvent unidimensionnels. On sait cette propension à repeindre sempiternellement une carte postale où les Antilles « amoureuses du vent » se pâment avant tout comme décor d'une projection rassurante aux accents si convenus, dans lesquels se dissimulait souvent un paternalisme de mauvais aloi, quand il ne s'agissait pas simplement d'accents méprisants. Quelque chose pourtant se joue en cette période, les voix doudouistes commencent à se briser peu à peu, avant que la décennie des années trente ne s'achève sur l'explosion du Cahier de Césaire en 1939. Auparavant, nous le savons maintenant, ces années 1920 et 1930 sont riches de signes précurseurs. Une production littéraire, des idées nouvelles, et pour tout dire une atmosphère inédite se font jour. Et c'est à cette évolution que participe Le Collier chou.

Louise Perrenot se prend de passion pour la Martinique dès son arrivée dans l'île en 1926, et ne supportera plus les propos lénifiants, ces énièmes simplifications émollientes plaquées sur les Antilles, encore en cette période, que ce soit par Claude Farrère (L'Atlantique en rond, Flammarion 1932) ou Pierre Benoît (Fort-de-France, Albin Michel 1933). Elle prend le parti d'un contact direct avec la Martinique et ses habitants, qu'il lui est donné de fréquenter de près durant son séjour de presque une décennie. Ce qu'elle y découvre, est de son point de vue l'inverse de l'imagerie diffusée par le prisme colonialiste : elle y découvre une population en butte à une pauvreté endémique, mais qui relève le pari de l'alphabétisation et de l'école publique ; une économie sucrière en pleine mutation ; une transformation généralisée et accélérée des infrastructures... Bref, Louise Perrenot voit un pays en mouvement, et une population elle aussi en quête de décloisonnement de la gangue coloniale. Mieux, Louise Perrenot s'immerge littéralement dans les modes de vie des plus humbles, dans une certaine manière d'être, et son propos laisse poindre comme une défense des Martiniquais, au beau milieu du Tricentenaire du rattachement de la Martinique à la France, célébré en grandes pompes par les autorités en 1935. C'est justement à ce moment qu'elle choisit, pour un cercle restreint, de publier ces Impressions de séjour dont la modernité nous apparaît assez clairement aujourd'hui. Ce témoignage aussi attachant que foisonnant et aussi foisonnant qu'important, est celui d'une parole émise et portée pour les Antilles : dans ses soubassements et dans ses implications, Le Collier chou est un livre politique. C'est aussi pourquoi pour la première fois, et comme pour témoigner elle aussi d'une mutation personnelle, l'auteur accole à son pseudonyme d'auteur (celui sous lequel elle avait publié ses recueils de poésie jusqu'alors), son vrai nom mis entre parenthèses comme pour souligner la précision donnée là : Camille Gast, épouse d'un fonctionnaire de la IIIe République en poste en Martinique, et celui d'un témoin décisif du tournant qui se joue alors aux Antilles françaises.

L'édition que nous proposons avec Roger Little replace l'ouvrage dans son contexte, en détermine les enjeux et en précise certains aperçus, au gré d'une édition critique contenant introduction, notes et glossaire.

Voir aussi, sur le site de l'Institut du Tout-Monde, podcast « Roger Little et les 20 ans d'“Autrement Mêmes”», dans la série des « Grands entretiens de l'Institut du Tout-Monde »