Essai
Nouvelle parution
O. Aïm, Les théories de la surveillance. Du panoptique aux Surveillance Studies

O. Aïm, Les théories de la surveillance. Du panoptique aux Surveillance Studies

Publié le par Université de Lausanne

Les théories de la surveillance. Du panoptique aux Surveillance Studies,

Olivier Aïm

Armand Colin, collection "Collection U", 2020.

EAN13 : 9782200623494.

 

Si, d’un point de vue empirique, la surveillance est bien identifiée depuis plusieurs décennies comme un enjeu majeur - politique, social et économique – de nos sociétés contemporaines, donnant lieu à de nombreux dossiers et investigations journalistiques, le champ des écrits théoriques sur le sujet reste assez méconnu, souvent aimanté par la seule hypothèse « panoptique » que Michel Foucault déploie en 1975 dans Surveiller et punir. Le fait est que les situations que nous vivons semblent accréditer l'idée d'une logique principalement « gouvernementale », portée par un arsenal de dispositifs de type avant tout "disciplinaire". Il n’est que d’évoquer la crise sanitaire actuelle.

Or, pour puissante qu’elle continue à être, cette attraction foucaldienne prend le risque paradoxal d’occulter tout à la fois une tradition de textes qui lui préexiste (outre les classiques comme Taylor ou Weber, on pourrait citer James B. Rule), une série de relectures et d’amendements théoriques qui lui succèdent et un horizon immense de recherche qui s’est ouvert depuis une vingtaine d’années autour de questions et de notions qui ont émergé à la suite et « au-delà » du panoptisme : la société de contrôle (G. Deleuze), le paradigme sécuritaire (G. T. Marx ; G. Agamben), la capture (P. E. Agre), la dataveillance (R. Clarke), la vigilance (M. Foessel), la sousveillance (S. Mann), la gouvernementalité algorithmique (T. Berns et A. Rouvroy), le tri panoptique (O. Gandy ; D. Lyon), la société de la transparence (D. Brin ; B. C. Han ; E. Alloa ; etc.) ; la shareveillance (C. Birchall), le capitalisme de surveillance (S. Zuboff), la surveillance sociale (d. boyd et A. Marwick), la société de l’exposition (B. E. Harcourt), le design de l’obscurité (W. Hartzog), l’obfuscation (F. Brunton et H. Nissenbaum), parmi bien d’autres.

Conjointement, un champ d'étude s’est structuré au tournant des années 2000 sous le nom de Surveillance Studies et s’est développé à la faveur des nouveaux « agencements de surveillance » (Haggerty et Ericson) qui se sont progressivement imposés lorsque les données se sont agrégées sous la forme cumulative de « bases » informatiques, de « dossiers » numériques et de « profils » algorithmiques. Sans se réduire à ce seul champ, les théories de la surveillance ne cessent de se développer depuis lors pour tenter de rendre compte des imaginaires et des pratiques, des performances et des représentations, des revendications et des contournements, des assujettissements et des émancipations qui sous-tendent ce que le sociologue David Lyon nomme la « culture de la surveillance » (2018). Dans cette perspective, les études médiatiques tiennent une place de plus en plus éminente et pointent le rôle décisif de l’économie des plateformes, de l’effet des interfaces, de l’attraction des écrans, de la dialectique du contrôle et, plus largement, de ce qu’on pourrait appeler la « pragmatique de la visibilité ».

Ce fait médiatique actuellement observable permet de mieux comprendre, d'un point de vue rétrospectif, l'histoire intimement littéraire des théories de la surveillance. On sait bien que plusieurs grands textes ont annoncé et accompagné l'émergence de la réflexion sur les ressorts politiques et technologiques de l'exercice du contrôle social au point de devenir des classiques du genre : 1984, Brave New World, The Minority Report et plus récemment The Handmaid's Tales, The Circle ou Les Furtifs. En amont de ces références plus ou moins proches, il est, toutefois, possible de considérer que d'autres textes s'imposent comme les racines, les maillons et les étayages d'une réflexivité "biopolitique" propre à la littérature : celle portant sur les pouvoirs de la représentation – et notamment sur les régimes de la transparence - et sur les évolutions du regard social porté sur l'humain et sur le "vivant", que ce soit dans l'œuvre de Rousseau, de Kafka, de Melville, de Zamiatine ou de Dostoïevski, pour ne citer que les plus illustres.

Dans la même perspective, on n’a sans doute pas évalué à sa juste proportion l’importance de l’influence – explicitée cependant par Deleuze lui-même – de l'œuvre de Burroughs dans l’identification du concept de « société de contrôle » (1990). Prolongeant le "diagramme" disciplinaire de Foucault (Surveiller et punir, 1975), ce modèle est, pourtant, devenu la matrice de nombreuses recherches saillantes dans le champ actuel des Media Studies ou des (Critical) Code Studies.

Pour toutes ces raisons, l'autre approche privilégiée dans le livre est donc "archéologique". Elle envisage ces grands textes littéraires comme des "charnières" théoriques, nous invitant à explorer ce qu'il conviendrait de nommer plus largement la "littérature surveillancielle", au même titre que l'on parle depuis peu de l’« art-surveillance » et du « Surveillance Cinema » (Zimmer, 2015), dont elle formerait, ainsi, le substrat esthétique.

On peut lire dans l'Atelier de théorie littéraire de Fabula un extrait de l'ouvrage :

"Le tournant « actuariel » de la littérature surveillancielle : Dostoïevki et Zamiatine"

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Table des matières

Introduction

I. Premières approches théoriques de la surveillance

1. Les textes pionniers
2. Michel Foucault et le "panoptisme"
3. Le paradigme du "contrôle"

II. Les nouveaux agencements de la surveillance
4. Les quatre corps de la surveillance
5. La théorie "sécuritaire" de la surveillance
6. Les nouvelles gouvernementalités (lire un extrait…)
7. Les agencements participatifs de la surveillance

III. Les  Surveillance Studies
8. La naissance de la "nouvelle surveillance"
9. La culture de la surveillance
10. Pour une ethnographie de la surveillance vécue
11. Pragmatique de la visibilité

Conclusion : À l'époque de la surveillabilité numérique

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