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L’enseignant écrivain de littératures : représentations sociales, valeurs éducatives & littéraires, pratiques scolaires

L’enseignant écrivain de littératures : représentations sociales, valeurs éducatives & littéraires, pratiques scolaires

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Nicolas Rouvière)

Appel pour une journée d'études (30 novembre 2022)

La recherche a étudié dans deux directions principales les liens entre les écrivains et l’École. La première est celle de la formation scolaire que ces derniers ont reçue[1]. Il s’agit alors de mesurer l’influence que les modèles littéraires promus par l’École ont exercé sur les auteurs, d’analyser la manière dont ces derniers les ont intégrés ou rejetés dans leur pratique d’écriture, ou encore d’étudier leur positionnement face à l'enseignement scolaire de la littérature et de la langue. Ces travaux à caractère sociologique et historique portent principalement sur le XIXe siècle et le premier XXe siècle (Massol 2004 ; Jalabert 2017 ; Bruley, Kaës, Jey, 2017 ; Jey, Perret, 2019). La seconde direction est pédagogique et didactique. Elle concerne la façon dont l’École fait vivre la littérature en accueillant des créateurs dans la classe (Delval, Huvier & Rioult, 1997 ; Virton & Delobel, 1995 ; Lismonde, 2002). Cette question a fait l’objet d’un colloque à Lyon en 2017[2]. En France, depuis la Charte des auteurs de 1984 et la création de la Maison des écrivains de la littérature en 1986, ces pratiques se sont développées dans le cadre des PNR (Pôles nationaux de ressources) devenus PREAC dans le cadre du Plan Lang-Tasca (2000). Certains effets, parfois mitigés, ont été constatés par les écrivains (Virton & Delobel, 1995 ; Dayre, 1997 ; Collectif, 2001 ; Guernier, 2007 ; Friot, 2017) et analysés par les didacticiens de la littérature (Louichon & Roger, 2002), appelant à un renouvèlement des pratiques (Zaugg 2017 ; Garroux, 2017 ; Butlen, 2017[3]). 

Une double figure en revanche a été peu questionnée, c’est celle de l’enseignant écrivain ou de l’écrivain enseignant. Les écrivains vivent dans leur grande majorité une situation de double vie, contraints de cumuler une activité littéraire et un " second métier " (Lahire, 2006). Selon une enquête sociologique datée de 2012, 17% des primo-romanciers sont des enseignants et 75 % d’entre eux écrivent et publient au moins un deuxième roman (Legendre & Abensour, 2012). La Nouvelle revue pédagogique a consacré en mars 2011 un hors-série spécial aux écrivains qui ont été ou sont encore des enseignants de lettres[4]. Dans la presse nationale et régionale, des articles attirent régulièrement l’attention sur ces figures qui intriguent et fascinent, lorsque l’exercice en établissement se double d’une notoriété littéraire[5]. On y trouve des témoignages riches d’informations sur les représentations que nourrissent les élèves, les parents ou l’institution scolaire, sur les figures respectives de l’enseignant et de l’écrivain, mais aussi la transmission et la réception de la littérature. Comment les enseignants écrivains, très connus ou moins connus, auteurs contemporains pour adultes, adolescents ou enfants, concilient-ils leur double statut social face aux élèves ? Leurs pratiques d’écriture influencent-elles la façon dont ils conçoivent et mettent en œuvre la façon dont ils enseignent la lecture et l’écriture ? A l’inverse, quelle image les élèves se forment-ils de la figure de l’écrivain à travers celle de l’enseignant, ou de la figure de l’enseignant à travers celle de l’écrivain ?

De nombreux écrivains enseignants développent dans leur œuvre un propos sur l’École et l’enseignement de la littérature : sur la formation qu’ils ont reçue (Pennac, 2007), sur la façon dont il faudrait enseigner la littérature et la langue (Duneton, 1978 ; Pennac 1992 ; Bégaudeau, 2008), sur le rapport aux élèves et les barrières culturelles (Bégaudeau, 2006), sur la vie de classe (Binet, 2004), sur les postures de l’enseignant et les difficultés de la transmission (Ladjali, 2003), ou les impasses politiques de l’institution (Bergounioux, 2006). Ces écrits peuvent relever de différents genres, des essais (Ladjali, 2007 ) ou des pamphlets (Millet, 2020), à des œuvres purement fictionnelles (Dopagne, 1994, 2001, 2002 ; Mourlevat, 2004 ; Friot, 2006, 2014 ; Patricot, 2010 ; Sizun, 2016 ; Blondel, 2019), en passant par des récits d’observation (Sallenave, 2009), ou à caractère autobiographique (Patricot, 2011 ; Blondel, 2011), des dialogues (Ladjali & Steiner, 2003), ou encore des formes hybrides à mi-chemin entre l’essai et le témoignage (Duneton, 1976 ; Pennac 2007 ; Patricot, 2019). Ces écrits ont-ils un intérêt pour la recherche en didactique de la littérature ?

S’y dessine en tout cas un champ de tensions où se condense tout le spectre des valeurs idéologiques, éducatives et littéraires. On trouve des positionnements divers concernant la démocratisation de l’enseignement et la massification ; des clivages sur les finalités de l’enseignement scolaire : enseigner pour perpétuer la société, assurer « la continuité de la civilisation constituée » (Arendt, 1995) ; enseigner pour offrir les conditions d’une libre auto-détermination (Prairat, 2016) ; des clivages sur les pédagogies requises, « traditionnelles » ou « nouvelles »  (Massol, 2016) ; des prises de position sur la valeur de la littérature, ses hiérarchies culturelles et ses profits symboliques (Rouvière, 2018). Apparaissent aussi des conceptions différentes de la lecture, voire un certain rapport à la vérité dans l’acte interprétatif, de même qu’un certain rapport à la parole de l’élève. De fait, qu’est-ce qui évolue ou résiste dans la posture enseignante, sur le plan axiologique, quand on est un enseignant qui écrit ou un écrivain qui enseigne ?

Que ce soit dans l’enseignement de la lecture ou de l’écriture littéraires, l’enseignant porte-t-il un regard complémentaire à celui de l’écrivain, ou en conflit avec ce dernier ? Comment les pratiques de lecture et d’écriture de l’écrivain informent-elles plus généralement les pratiques de classe ? Débouchent-elles sur des formes d’innovation pédagogique ? Ou bien conduisent-elle à mettre en valeur, à contre-courant, les vertus d’exercices anciens délaissés dans les pratiques ? 

Dans le prolongement du colloque international L’enseignant lecteur-scripteur de littératures (Grenoble, 2021), la journée d’étude du 30 novembre 2022 abordera les représentations sociales, les valeurs éducatives et littéraires, ainsi que les pratiques scolaires qui entourent la figure de l’enseignant écrivain.

Participation

Les propositions de communication se présenteront sous la forme d’un texte de 3000 signes environ, suivi d’un maximum de 7 références bibliographiques, et d’une présentation bio-biographique de leur auteur d’une dizaine de lignes.

Elles seront envoyées à : journeecrivain@univ-grenoble-alpes.fr

Date de remise des propositions : 15 juillet 2022.

 
[1] Voir le projet de recherche « L’écrivain, l’institution scolaire et la littérature. L’écrivain face aux modèles scolaires (1840-1940) », coordonné par Martine Jey au sein du Labex Obvil (Sorbonne Université).
[2] Anne-Marie Mercier-Faivre et Christophe Poiré ont organisé le colloque « Des créateurs dans la classe. Faire vivre la littérature de jeunesse » (Atelier Canopé de Lyon / ESPE de Lyon, 17-18 mars 2017)
[3] Conférence de Bernard Friot « Inventer d’autres types de rencontres au service des jeunes lecteurs » (ESPE Lyon, 18 mars 2017). Table ronde « Passerelles en littérature », avec Max Butlen, David Garroux, Hélène Vignal et Brigitte Zaugg (ESPE de Lyon, 18 mars 2017).
[4] « Ecrivain et enseignant », supplément au numéro 622 de la Nouvelle Revue Pédagogique (mars 2011). Initiative relayée par le magazine culturel Télérama : Martine Laval, « Prof & écrivain, comme Annie Ernaux », Télérama, 3 mars 2011.
[5] Laurent Mauron, « Yvelines : à Buc, le professeur de français est aussi un écrivain à succès », Le Parisien,

14 septembre 2017. [En ligne ] : https://www.leparisien.fr/yvelines-78/buc-78530/buc-le-professeur-de-francais-est-aussi-un-ecrivain-a-succes-14-09-2017-7261290.php.  Delphine Peras, « Ces profs qui prennent la plume : tableau noir et page blanche », L’Express, 17 février 2018. [En ligne] : https://www.lexpress.fr/culture/livre/ces-profs-qui-prennent-la-plume-tableau-noir-et-page-blanche_1984895.html . Clotilde Costil, « Monsieur le Prof, écrivain masqué », Le Figaro, 3 septembre 2018. [En ligne] : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/09/03/01016-20180903ARTFIG00211-monsieur-le-prof-ecrivain-masque.php