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 La narration de soi dans l’autotraduction (revue Ticontre. Teoria Testo Traduzione)

La narration de soi dans l’autotraduction (revue Ticontre. Teoria Testo Traduzione)

Publié le par Marc Escola (Source : Claudia Crocco)

Dès le début du XXIe siècle, les pratiques littéraires des écrivains multilangues ont suscité l’intérêt de plusieurs chercheurs, qui ont commencé à parler de « littérature translinguistique » (Kellmann 200), de « mémoires langagiers » (Nic Craith 2012) et du rapport entre le multilinguisme et les questions identitaires (Besemeres 2002). Un nombre croissant de ces écrivains a, en outre, choisi d’autotraduire ses écrits ou bien d’écrire le même texte en deux langues différentes.

Bien que son histoire soit assez ancienne et que sa pratique soit très répandue, l’autotraduction a été longtemps négligée par les études littéraires et traductologiques, à cause du préjugé selon lequel il s’agirait d’un phénomène rare et sans conséquences. Cependant, la recherche sur les pratiques autotraductives s’est développée de manière considérable, comme en témoigne le grand nombre de monographies (Quimera 2002, Atelier de Traduction 2007, Quaderns 2009, Oltroceano 2011, Orbis Litterarum 2013, Tradução em revista. 2014) et de conférences (Pescara 2010, Bologna 2011, Perpignan 2012, Cork 2013, Vitoria-Gasteiz 2015) consacrées récemment à ce sujet. En 2012, Anselmi signe le certificat de naissance des Self-translation studies, en tant que “rapidly growing subfield within translation studies.” Désormais, le corpus des études sur l’autotraduction compte environ 1000 ouvrages publiés et 200 en attente de publication. Il comprend des études de cas, des analyses concernant les stratégies traductives (Oustinoff 2001) et les raisons profondes de l’autotraduction (Anselmi 2012) ; des précis d’ordre historique (Hokenson & Munson 2007) et des travaux socio-linguistiques (voire notamment le numéro spécial de Glottopol 2015).

Les écrivains qui ont décidé de s’autotraduire consacrent à ce choix une place centrale dans leurs écrits autobiographiques et autofictionnels, en rapprochant la création littéraire de l’activité de traduction. L’individu bilingue pense, parle et écrit dans deux langues : il est façonné par deux cultures et, souvent, il arpente deux lieux géographiques et deux lieux de l’esprit différents. Par la voie (et la voix) de la traduction, il choisit de mettre en relation ces éléments qui constituent le mélange – divers pour chacun – de son identité, de sa Weltanschauung linguistique et culturelle.

Maintes autotraducteurs, en effet, ont éprouvé le besoin de prendre position par rapport à leur bilinguisme, pour le décrire, pour en différencier les traits, pour légitimer leur double afférence, pour démontrer que leur état « ne va pas de soi ». Le bilinguisme ou le multilinguisme sont devenus ainsi des thèmes littéraires permettant de réfléchir aux enjeux personnels et collectifs de l’identité linguistique (vivre dans un pays différent de celui de sa naissance ; publier les mêmes textes dans plusieurs langues et s’adresser ainsi à des lecteurs différents). Ainsi, les narrations de soi manifestent une sorte de « surconscience linguistique » (Gauvin 1997 : 6), notamment chez des auteurs migrants car, comme l’a dit Alain Ausoni, l’autotraduction permet d’« échapper au double silence de l'étranger » (Ausoni 2013 : 77). En se traduisant, ces auteurs parlent de manière double et leurs œuvres permettent d’analyser la fonction du langage dans la perception et dans la narration de soi (sous la forme de l’autobiographie, des mémoires, de l’autofiction). Souvent, la première langue d’écriture est la langue d’adoption, à savoir la langue qui permet à l’auteur de garder une certaine distance à l’égard des événements racontés. L’autotraduction annule, ensuite, cette distance. Le travail d’analyse et de comparaison des versions peut donc montrer aussi bien la quête identitaire de l’auteur bilingue que l’influence de différentes langues sur la narration. Si, comme l’estime Rita Wilson, « self-translation is closely linked to the representation of self » (2009 : 186), comment le passage d’une langue à l’autre change-t-il cette représentation ? Vladimir Nabokov nous fournit un exemple illustre, ayant traduit en russe (Drugie berega, 1954) son livre anglais Conclusive Evidence. A memoir (1951) et l’ayant ensuite retraduit en anglais (Speak memory. An Autobiography Revisited, 1967). Cette expérience du va-et-vient langagier a été définie par l’auteur comme  un« re-Englishing of a Russian re-version of what had been an English re-telling of Russian memories in the first place » (Nabokov 2000 : 10).

Parmi les autotraducteurs qui ont thématisé leur bilinguisme, leur exil culturel ainsi que l’écriture et la traduction, on peut mentionner à titre d’exemple : Ariel Dorfman, qui raconte ses souffrances de l’entre-deux-langues dans Heading South, Looking North : A Bilingual Journey, 1998 / Rumbo al Sur, deseando el Norte: un romance en dos lenguas. 1999) ; Esmeralda Santiago (When I was a Puerto Rican, 1993 / Cuando era puertorriqueña, 1994) ; Gustavo Pérez-Firmat (Next Year in Cuba. A Cubano’s Coming of Age in America, 1995 / El ano que viene estamos en Cuba, 1997) ; Georges-Arthur Goldschmidt (La traversée des fleuves. Autobiographie, 1999 / Über die Flüsse. Autobiographie, 2001) ; Carlo Coccioli (Piccolo Karma, 1987 ; Petit Karma, 1988, Pequeño Karma, 1988). Le choix de la langue d’écriture est au cœur de Paris-Athènes (1989) de Vassilis Alexakis, ainsi que de Moreno (2003) de Brina Svit. D’autres écrivains, comme Julien Green (Le langage et son double / Language and its shadow, 1987) et Nancy Huston (Nord perdu, 1999 / Losing North, 2002) ont donné à leur méditations sur le bilinguisme et l’identité la forme de l’essai.

Ce numéro monographique de Ticontre. Teoria Testo Traduzione vise à étudier comment l'autotraduction façonne le récit de soi des auteurs multilingues. Nous signalons ici à titre d’exemple et en dehors de toute exhaustivité quelques perspectives d’enquête :

- mémoire transculturelle / transnationale des auteurs migrants qui s’autotraduisent ;

- formes autobiographiques / mémoires de langue / autofictions où l'identité linguistique et culturelle est façonné par le passage de la langue maternelle à la langue d’adoption ;

- choix de la langue d’écriture (langue maternelle vs. langue d’adoption / vernaculaire vs. variété codifiée) et directionnalité du processus de traduction ;

- (auto-)traduction comme dispositif thématique et comme appel à la création littéraire ;

- ré-autotraduction ;

- réinvention de soi à travers la traduction et la réécriture ;

- (auto)-censure rendue visible par l'autotraduction.

 

Les articles sur l'autotraduction `interne' ou `mentale' ne seront pas pris en considération. Les articles pourront être écrits en italien, français, espagnol ou anglais. Ceux qui sont intéressés pourront envoyer un abstract (300 mots maximum), accompagné d’une notice bio-bibliographique (150 mots maximum), à l’adresse : selftranslation@ticontre.org, avant le 10 juillet 2016.

 

Les auteurs des articles retenus seront contactés avant le 30 juillet 2016. Les articles devront parvenir avant le 30 octobre 2016 et ils seront soumis à peer review. Pour tout renseignement ou question, veuillez écrire à : selftranslation@ticontre.org