Essai
Nouvelle parution
L. Proguidis, Rabelais, que le roman commence !

L. Proguidis, Rabelais, que le roman commence !

Publié le par Marc Escola

Rabelais, que le roman commence !

Lakis Proguidis

Date de parution : 03/01/2017
Editeur : Pierre-Guillaume de Roux
ISBN : 978-2-36371-181-6
EAN : 9782363711816
Nb. de pages : 380 p.

 

Rabelais est le père fondateur de l’art du roman. Telle est l’hypothèse que soutient Lakis Proguidis suivant plusieurs chemins qui s’entrecroisent tout au long du livre. L’auteur passe alors de la comparaison de Rabelais avec les grands ancêtres aux souvenirs personnels, de la farce à la linguistique, de l’Histoire à la critique de la critique, de l’analyse scrupuleuse du texte au fait divers, d’Homère à l’actualité...

« Chez Rabelais, et bien entendu chez tous les romanciers, la forme passée n’est ni un phare indéfectible (classicisme), ni une réalisation passagère (avant-gardisme), mais une pièce de tissu toujours à rapiécer et toujours à broder avec de nouveaux motifs existentiels. »

Quoique le hasard joue un grand rôle, rien n’est arbitraire. Tout cela tourbillonne autour du même noyau esthétique, nommé ici pour la première fois : le rire romanesque.

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Pourquoi les théoriciens de la littérature sont-ils aussi frileux quand il s'agit de parler du roman ? L'emprise des sciences humaines, structuralisme en tête, depuis les années 70, aboutit à cet étrange résultat : l'étude du roman serait désormais la chasse gardée des conceptualisants de tout poil les plus rébarbatifs et échapperait à toute approche esthétique... Les travaux décisifs de Mikhail Bakhtine sur le roman dostoïevskien, en pleine censure stalinienne, furent eux-mêmes été confisqués par la linguistique comme si on avait voulu étouffé dans l'oeuf les éclatantes révélations qu'il fit sur la réalité du pouvoir romanesque.

Mais comment notre brillante intelligentsia française put-elle ignorer que Bakhtine faisait précisément de Rabelais le père du roman moderne d'où sortiraient des géants nommés Cervantes, Sterne, Balzac et bien sûr Dostoïevski ? Peut-être parce que Rabelais les renvoient, dos à dos, à leur propre miroir : Parnurge, ce mal élevé, cet ignorant, prend de court et rie au nez de tous les pompeux docteurs de la scholastique si empressés de lui démontrer leur savoir en tout domaine, fût-ce celui du cocuage...

Qui dit "concept et raison" dit, en effet, "une seule manière de voir ", soit un monde clos et fermé, soit une histoire réglée d'avance. Qui dit "roman" dit au contraire annonce : "surprise et plaisir" extensible à l'infini... Rabelais fut donc bien le premier à rompre avec la pression "mimétique", sociale, que véhiculaient les formes de récit antérieures héritées d'Homère. Parce qu'il inventa, le premier, le personnage du lecteur : celui qui n'était plus façonné par cette force terrible appelée "logos" qui, chez les anciens Grecs, imposait à tout être et à toute chose une place déterminée dans le cosmos : l'homme qui serait désormais uniquement préoccupé de son bon plaisir friand d'imprévus er de hasard.

Mais la découverte la plus gênante pour nos théoriciens de la littérature, ce n'est pas Rabelais lui-même mais ce qui l'inspire, ce qu'il a lui-même pratiqué dans sa jeunesse et qui va déterminer le roman dans sa singularité la plus profonde: le théâtre. Car d'où vient-il ce bon vieux théâtre sinon de la farce chrétienne médiévale qui est la seule à montrer en même temps le sérieux et le comique de l'existence, le sublime et le trivial, le divin et l'humain ? Or ces farces qui désignaient ces petites pièces de pur divertissement qui se jouaient entre les actes du drame liturgique célébrant le mystère divin signifient aussi "remplissage, digressions, brèches, surprises...  et les livres de Rabelais en sont truffés.

Cette passionnante démonstration signée Lakis Proguidis est menée à la fois comme une enquête, émaillée de découvertes frappantes, et comme un dialogue platonicien entraînant, stimulant. Elle épouse aussi l'itinéraire d'une sorte de Montaigne contemporain qui, au fil d'une vie mouvementée, s'ouvre à des lectures romanesques de premier plan, sources d'intuitions si géniales qu'elles déclenchent la "relecture" de l'art romanesque lui-même : Kundera, Gombrovicz, Papadiamantis et... Rabelais.

Lakis Proguidis est essayiste. Il a publié plusieurs ouvrages dont La Conquête du roman – De Papadiamantis à Boccace (Les Belles Lettres, 1997), préfacé par Milan Kundera. En 1993, il fonde, et dirige depuis, la revue littéraire trimestrielle L’Atelier du roman.

Voir le site de l'éditeur…

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On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur cet ouvrage :

"Le roman, fils de Pantagruel", par Steven Sampson

Rabelais, que le roman commence !, essai de Lakis Proguidis, propose une nouvelle vision du roman, où celui-ci ne serait pas un genre littéraire, mais plutôt un art autonome, constituant sa propre catégorie esthétique, et ce à partir de Pantagruel. Pour défendre sa thèse ambitieuse, l’essayiste mélange l’intime, la polémique, la théorie et l’anecdote, empruntant ainsi à son maître, Milan Kundera.

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On peut également lire sur PhiLitt.fr un compte rendu.