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L'Image des Russes et de la Russie dans le roman français de 1900 à nos jours

L'Image des Russes et de la Russie dans le roman français de 1900 à nos jours

Publié le par Laurent Zimmermann (Source : Murielle Lucie Clément)

L'Image des Russes et de la Russie dans le roman français de 1900 à nos jours

 Recueil collectif - Appel à contributions

Date limite des envois de proposition 1er juillet 2011

Pour nombre d'étrangers, la Russie rime avec URSS, froid glacial, vodka, jolies blondes, mafias, ours polaires et Goulag. Ces représentations schématiques pourraient faire sourire si elles n'avaient pas de graves conséquences, tant économiques que politiques ou culturelles. Trop souvent, la Russie n'apparaît dans les medias que lors d'événements globalement négatifs, que ce soit des guerres (Tchétchénie, Géorgie) ou d'autres tragédies (attentats à Moscou, discothèques qui brûlent en Sibérie…).

Cette image des Russes et de la Russie n'est cependant pas liée uniquement à la disparition de l'URSS : déjà, en 1698, le tsar Pierre le Grand, de retour d'Europe, entendait moderniser et occidentaliser l'image de son pays et, pour ce faire, prenait une série de mesures dont la fameuse « taxe sur les barbes », dans lesquelles il voyait un des signes de l'immobilisme du pays !

Toutefois, les Européens cultivés ne prétendent plus, à l'instar de leurs concitoyens il y a cent de cela, que des ours se promènent en liberté dans les rues de Moscou ou que les Russes boivent de la vodka avec le lait de leur mère. Mais la Russie et les Russes ont engendré un nombre incroyable de figures et de personnages dans les romans français où leurs représentations abondent[1].

Deux récentes études font état de la figure de la Russie et des Russes dans les romans français du XIXe siècle[2]. Selon Charlotte Krauss dans La Russie et les Russes dans la fiction française du XIXe siècle (1812-1917) (2007), l'image du Russe ou de la Russie qui revient dans la littérature française des XXe et XXIe siècles ne sont pas fortuites et anodines. Tempêtes de neige enfouissant l'isba sous un immense et profond tapis, Transsibérien arrêté par les congères dans une taïga aussi inhospitalière qu'infinie, vodka dégustée au son des balalaïkas, tristesse slave et violence datent de beaucoup plus loin dans le temps et reflètent des clichés établis au XIXe siècle. Ivan Tourgeniev en fut certainement l'un des instruments de propagation le plus actif. En effet, très attaché à la cantatrice Pauline Viardot, il vint s'installer en France à Bougival[3] où sa « datcha » sert de musée, pour se rapprocher de sa grande amie. Fréquentant de nombreux intellectuels français, il joua le rôle de médiateur culturel.

Dans L'Image de la Russie dans le roman français (1859-1900) (2005), Janine Neboit-Mombet conclue : « Si nous considérons notre corpus dans son ensemble, l'image de la Russie en tant qu'image de "l'Autre" est ambivalente, difficile à classer » (p. 472). Neboit-Mombet analyse un corpus de deux cent cinquante ouvrages de la seconde moitié du XIXe siècle. « La France éprouve pour la Russie, dit-elle, une attraction mêlée de crainte. La Russie est immense, lointaine, mystérieuse, inquiétante. Elle le reste même alors que son intelligentsia fréquente nos universités, que ses nantis font prospérer nos stations thermales et balnéaires, et laissent des fortunes sur nos tables de jeu. La Russie gêne et inquiète par sa double nature. Elle est le pays du Nord, symboliquement associé aux valeurs du froid et de la mort »[4].

Dans l'image de la Russie tracée dans les fictions, la France trouve son reflet inversé : « Le despotisme russe est notre liberté, la séductrice russe notre épouse fidèle, le nihilisme fanatique notre libéralisme raisonnable. À travers des intrigues et des personnages divers, dans des styles variés et d'inégale valeur littéraire, le roman met toujours en scène les préoccupations qui sont celles de la France du moment, des adversaires français règlent leurs comptes par Russes interposés »[5]. L'auteur pose la question de l'évolution de cette image au XXe siècle. La Révolution russe et l'après-guerre semblent l'avoir peu entamée : « Jusqu'à la guerre de 1914, si nous en jugeons par les quelques romans que leur date de publication nous a fait éliminer de notre corpus, nos conclusions nous paraissent toujours valables »[6]. Toutefois, la Révolution d'Octobre suscite une attitude polémique tendant à « dominer toute réflexion comme toute fiction, entraînant une polarisation entre "manie" et "phobie", "utopie" et "idéologie" »[7]. Certains auteurs s'inspirent de leurs voyages et de leur expérience de l'empire russe, mais « d'autres choisissent de placer une action en Russie ou d'intégrer dans une oeuvre un personnage russe, alors qu'ils ne sont jamais allés eux-mêmes à Saint-Pétersbourg, à Moscou voire plus loin »[8].

La Russie des tsars - par son éloignement - non seulement permettait, mais incitait à l'ouverture d'un imaginaire porteur des « images les plus fantastiques »[9]. Si en cela, la France n'avait pas l'exclusivité, elle était toutefois l'un des pays qui - par sa littérature - a le plus contribué à la propagation des clichés. Il est vrai qu'au XIXe siècle, le peuple français - à l'exclusion de rares marchands et savants - était ignorant de l'empire des tsars et ses us et coutumes. Lorsque Pierre Ier visita la France en 1717, il fut perçu comme un homme assez fantasque et de peu d'éducation. La situation avait peu changé deux siècles plus tard. Ce contact - par ailleurs comme les suivants - ne concernait qu'une couche très mince de la société, et de ce fait :

la part des malentendus et des illusions est considérable. Par la suite, pendant la Révolution française, les membres de la noblesse française qui émigrent en Russie sont nombreux - jusqu'à ce que, sur ordre de […] Catherine II, férocement opposée à tout mouvement révolutionnaire, ils se voient forcés de rompre tout contact avec leur pays, ou de repartir. C'est ainsi que, pour la grande majorité de la société française, la première confrontation directe avec l'univers russe est la campagne de Russie que Napoléon entreprend en 1812, confrontation d'autant plus impressionnante qu'elle se termine par la célèbre débâcle de la Bérézina. [10]

Certains récits de voyage, tel celui du marquis de Custine, La Russie en 1839, font date et serviront de pierre d'achoppe aux littérateurs ultérieurs qui se « positionn[eront] par rapports à ses lettres et récits »[11]. Toutefois, « si d'un côté, les récits de voyage, articles de journaux et autres textes plus ou moins scientifiques ont l'intention d'informer le lecteur sur la réalité et de l'aider à comprendre le monde russe, de l'autre côté, la fiction, produit de l'imaginaire, n'a pas avec le monde extérieur une relation de vérité, mais de signification "hypothétique" »[12]. L'univers fictionnel a donc pour vocation d'être non pas « vrai », mais « vraisemblable ». Il faut tenir compte du suivant : « Quelle que soit l'expérience de l'auteur, la Russie et les Russes tels qu'ils apparaissent dans la fiction française [et nous pourrions ajouter dans toutes les fictions] diffèrent considérablement de la Russie réelle et de ses habitants »[13].

Si ces clichés - stéréotypes et mythes - forment « un paysage aux attributs caractéristiques ainsi que plusieurs personnages-types aux comportements prévisibles au XIXe siècle »[14], qu'en est-il aux XXe et XXIe siècle ? Le roman continue-t-il à propager les mêmes stéréotypes comme l'affirme Charlotte Krauss[15] ?

Les angles approches pourront être monographiques ou comparatistes, psychanalytiques, sociologiques, culturels, historiques, poético-rhétoriques, interdisciplinaires …

Bibliographie :

Michel Mervaud et Jean-Claude Roberti « Une infinie brutalité - L'image de la Russie dans la France des XVIe et XVIIe siècles faite à partir des récits de voyages » (dans Revue du monde soviétique et de l'Europe centrale et orientale, Cultures et sociétés de l'Est, n°15)

Léon Robel « Histoire de la neige - La Russie dans la littérature française (Paris, Hatier)

Murielle Lucie Clément (dir.), Écrivains franco-russes, New York / Amsterdam, Rodopi, 2008

Murielle Lucie Clément (dir.), Autour des écrivains franco-Russe, Paris, L'Harmattan, 2008

Janine Neboit-Mombet, L'Image de la Russie dans le roman français (1859-1900), Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005

Charlotte Krauss, La Russie et les Russes dans la fiction française du XIXe siècle (1812-1917), D'une image de l'autre à un univers imaginaire, Amsterdam, Rodopi, 2007

Les propositions sont à envoyer avant le 1er juillet 2011

Les propositions d'articles, rédigées en français au format Word de 400-500 mots au plus, en document joint, comprenant un titre, mentionneront nom et prénom de l'auteur et l'unité de rattachement éventuelle ainsi qu'une courte notice bio.

Après acceptation de la proposition par le comité de lecture, les articles (entre 5000 et 7000 mots) seront attendus pour le 1er janvier 2012.

La publication des articles (après acceptation) est prévue pour 2012

Pour toute correspondance : clementml@me.com

[1] Murielle Lucie Clément, Andreï Makine. Présence de l'absence : une poétique de l'art (photographie, cinéma, musique), Sarrebruck, Editions Universitaires Européennes, 2010

[2] Janine Neboit-Mombet,L'Image de la Russie dans le roman français (1859-1900), Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005 ; Charlotte Krauss, La Russie et les Russes dans la fiction française du XIXe siècle (1812-1917), D'une image de l'autre à un univers imaginaire, Amsterdam, Rodopi, 2007.

[3] Cf. http://www.tourgueniev.fr/; http://www.turgenev.ru/. Deux sites internet sur la vie et l'oeuvre d'Ivan Tourgueniev.

[4] Janine Neboit-Mombet,L'Image de la Russie dans le roman français (1859-1900), op. cit., p. 475.

[5] Ibidem, pp. 475-476.

[6] Ibidem, p. 476.

[7] Ibidem.

[8] Charlotte Krauss, La Russie et les Russes dans la fiction française du XIXe siècle (1812-1917), op. cit., p. 391.

[9] Ibidem, p. 8.

[10] Ibidem, p. 10.

[11] Ibidem, p. 11

[12] Ibidem, p. 14.

[13] Ibidem, p. 391.

[14] Ibidem, p. 17.

[15] Ibidem, p. 7.