Essai
Nouvelle parution
J.-F. Perrin. Poétique romanesque de la mémoire avant Proust, t. I : Éros réminiscent (XVIIe-XVIIIe s.)  

J.-F. Perrin. Poétique romanesque de la mémoire avant Proust, t. I : Éros réminiscent (XVIIe-XVIIIe s.)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Classiques Garnier)

Compte rendu publié dans Acta fabula, dossier critique "(Trans-)historicité de la littérature" (décembre 2019, vol. 20, n° 10) : Véronique Samson, Avant la madelaine.

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Jean-François Perrin,

Poétique romanesque de la mémoire avant Proust. Tome I - Éros réminiscent (XVIIe-XVIIIe siècles)

Classiques Garnier

ISBN 978-2-406-06323-0

EAN 9782406063230

333 pages - Livre broché - 39.00 €

 

En tant que procédé compositionnel, la conjonction des temps par une scène – ou une série de scènes – de ressouvenir qui caractérise la Recherche du temps perdu est peut-être immanente à l’art narratif. Cet ouvrage confronte l’hypothèse au roman français des XVIIe-XVIIIe siècles.

Table des matières…

"Le propos de l’ouvrage procède de l’hypothèse suivante : en tant que procédé compositionnel, la conjonction des temps par une scène – ou une série de scènes – de ressouvenir est peut-être immanente à l’art narratif. Proust a d’ailleurs insisté sur ce point en parlant de la scène de mémoire involontaire comme d’un procédé de « jointure » des plans temporels. L’introduction montre qu’il s’agit de cela dans l’Odyssée et (sous une forme plus intériorisée) dans les Éthiopiques d’Héliodore. L’hypothèse est ensuite confrontée au roman des XVIIe-XVIIIe siècles. Il ne s’agit pas de suggérer que ces romans « anticiperaient » ou « préfigureraient » ce qu’a fait Proust, comme c’est presque toujours la tendance de la critique dès qu’elle est en présence d’une scène de mémoire affective. Tout au contraire, l’œuvre de Proust est considérée comme une des branches (certes fort belle) d’un arbre aussi ancien que complexe dont il s’agit d’avérer l’existence à l’Âge classique, avant d’en observer, dans le volume qui suivra, le développement très ramifié au XIXe siècle.

La racine en est dégagée dans la tradition dite de « haute Romancie », de L’Astrée à Clélie, avec ses premières ramifications modernes dans Zayde et La Princesse de Clèves où les scènes de ressouvenir livrent le fil rouge de la dimension intérieure de l’intrigue. Est ensuite examiné le corpus romanesque du XVIIIe siècle où s’atteste, notamment chez Marivaux et Crébillon, l’existence d’une véritable problématique de la mémoire affective dans ses rapports avec l’équilibre mental du sujet et/ou son insertion sociale. On y constate en outre une sorte de mise en crise diffuse du modèle du ressouvenir amoureux issu de la tradition antérieure, que ce soit dans le traitement du topos de la « reconnaissance » ou dans les tentatives d’un M. de Wolmar pour effacer la mémoire de l’amour. Le récit en Ie personne propre au roman-mémoires permet de diversifier et d’affiner la poétique des scènes de ressouvenir, et d’établir des sortes d’assonances narratives entre celles-ci, ce qui vérifie l’hypothèse initiale sur leur rôle « jonctif » au sein d’une trame narrative. L’une des inventions du roman de cette époque est la scène de ressouvenir provoqué par un tiers, étudiée dans Ah quel conte ! de Crébillon et au livre V de l’Émile ; Crébillon et Rousseau insistent tous deux sur la prégnance imaginaire de la topique platonicienne de l’amour chez de jeunes esprits et montrent comment cette illusion peut être manipulée pour obtenir, par artifice, une scène de « première vue » aux effets durables. Il s’agit là d’une sorte de laïcisation, chez Rousseau, de ce que le roman grec réservait à l’intervention du surnaturel dans les songes prémonitoires à la reconnaissance. Une section est consacrée ensuite à Cleveland, qui est le premier roman jamais écrit où la mémoire affective soit donnée par le narrateur comme commandant l’ensemble du récit, avec les problèmes esthétiques que cela pose, compte-tenu de l’horizon de réception contemporain. La section consacrée à La Nouvelle Héloïse montre l’apport considérable de Rousseau, qu’il s’agisse de son approche du genre épistolaire comme herméneutique en acte de la mémoire des personnages, de ce qu’il invente en matière de poétique du ressouvenir et de l’oubli, et enfin de la complexité quasi musicale d’une composition en miroir conçue comme un dispositif d’assonances narratives d’une grande simplicité de rendu. La dernière section suit les effets de son impact dans le roman féminin du dernier tiers du siècle. La conclusion insiste sur la rémanence des arts de la mémoire dans la culture romanesque classique." — Jean-François Perrin