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Nouvelle parution
Interstudia, n° 28,

Interstudia, n° 28, "Crise du langage, langage(s) de la crise. Représentations discursives"

Publié le par Université de Lausanne (Source : Simina Mastacan)

Interstudia, n°28/2020 : "Crise du langage, langage(s) de la crise.  Représentations discursives"

Alma Mater, Bacau, 2021. EAN13 : 2065–3204.

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1. La thématique du présent numéro est issue du but scientifique et académique que la revue Interstudia s’est assigné dès sa première parution, en 2008 : de constituer une plateforme à même de faciliter la réflexion et le partage dans le domaine de l’analyse du discours, en prêtant une attention particulière à la dynamique de la société dans son ensemble, aux transformations qui surgissent sous l’emprise des facteurs culturels, sociaux, politiques et/ou économiques. 

 

On n’envisageait pas, à l’époque, qu’une épidémie propagée, douze ans plus tard, à l’échelle mondiale, allait contaminer et modifier non seulement la vie et les coutumes des gens, mais aussi leur façon de vivre, leur langage, et allait ouvrir des territoires inouïs à des discours multiformes. Les productions qu’on a vues naître le dernier temps sont censées non seulement décrire, mais aussi affronter, par le biais de la langue, une crise sanitaire de plus en plus menaçante. 

Ce numéro s’est donc imposé comme une nécessité et comme une urgence en même temps. Nous avons lancé aux contributeurs le défi d’explorer un chemin à double sens. La crise influence les moyens linguistiques et le discours mis en œuvre, tandis que le langage lui-même se confronte à ses propres limites et se trouve dans la nécessité de reconsidérer son pouvoir d’(auto)représentation. Ce processus énonciatif devient plus visible encore quand les locuteurs affrontent, quotidiennement, l’imprévu et l’inconnu. Le langage gagne une sorte de métabolisme interne, qui va parfois jusqu’au dérèglement et à la pathologie. La fonction représentative de la langue est mise en crise.

2. Comme événement dysphorique, la crise entraîne une expression linguistique dont l’intensité participe de la modalisation énonciative (J. Fontanille). Si, sémiotiquement parlant, un sujet énonciateur choisit de qualifier un événement négatif, soit comme « incident », soit comme « catastrophe », il détermine axiologiquement son choix, en assignant à l’énonciation des effets passionnels. La crise met à l’épreuve tout un arsenal de procédés subjectifs à l’aide desquels les énonciateurs signalent leur positionnement dans le discours (C. Kerbrat-Orecchioni).

D’ailleurs, quel que soit le discours choisi à l’appui, on ne saura ignorer sa dimension émotionnelle. La topique de l’angoisse, de la terreur, de la pitié, de la catastrophe est particulièrement privilégiée en temps de crise. La mise en scène du pathos (surtout dans le discours populiste, de la crise sociale, mais non seulement) jouit d’une place de choix dans l’analyse de l’argumentation. Tout acte argumentatif se déroule, sur un fond de crise, voire de conflit, car l’orateur doit modifier les opinions, les attitudes et les comportements des interlocuteurs (Ph. Breton). Les modalités qu’il choisit pour rendre son discours acceptable entrent souvent en collision avec les croyances et les intérêts de l’auditeur. Ainsi, l’étayage argumentatif peut recourir à des raisonnements implicites, sous-jacents, à des figures et procédés d’exception, de réfutation, à des contre-arguments (Ch. Perelman, R. Amossy).

En narratologie, à travers les « programmes narratifs » décrits par Greimas, on voit que toute intrigue sous-entend une crise (V. Propp, C. Bremond).  La mise en intrigue (P. Ricoeur) suppose une transformation des prédicats au cours d’un procès (J.-M. Adam), ce qui passe, souvent, par une crise (un « nœud ») au cours de laquelle l’équilibre de la situation initiale est détruit et on remplace l’immobilité par l’action. La dissolution du langage telle qu’elle est reflétée par le texte littéraire n’en est qu’une conséquence, la plus visible. Un vrai symptôme, qui cache des crises, individuelles ou collectives, encore plus profondes, aboutissant à la perte de l’identité et au déchirement intérieur de l’individu.

Le dialogue-conversation, vu comme activité rituelle dont l’enjeu est la confirmation et le maintien du tissu social, ne manque pas de désaccords, de conflits, de véritables crises de communication entre les participants, censés réagir pour « ne pas perdre la face » (E. Goffman). La violence dans les transactions linguistiques s’accompagne de la recherche d’un consensus. A la crise, doivent suivre un nouvel équilibre, un renouvellement, une évolution, tant sur le plan du langage, que sur celui de la communication et du discours.

Par conséquent, c’est bien évident que le choix des moyens employés afin de communiquer pendant les crises (qu’elles soient identitaires, génériques, politiques ou idéologiques, naturelles, écologiques, sanitaires, sociales, culturelles, etc.) s’avère décisif pour réduire ou, au contraire, augmenter l’anxiété, individuelle et/ou collective déclenchée, inévitablement, par le surgissement d’un événement inattendu.

Au-delà de tous les conséquences, inévitables, qu’un événement traumatisant peut laisser dans le texte littéraire, dans l’interaction des gens, marquant les médias, la société et la conscience des individus, la crise apporte toujours les germes du renouveau et de l’espoir.

C’est au lecteur d’apprécier le potentiel créatif des contributions retenues dans ce numéro. 

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TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos

La crise sanitaire COVID-19. Langage(s) et discours

Felicia Dumas

Crise du langage liturgique pendant la pandémie de Covid-19

Laura Ascone

Faire autorité en période de crise sanitaire : analyse discursive de l’allocution présidentielle du 12 mars 2020

Chafika Femmam & Mohamed Djoudi

Sommes-nous victimes de nos biais cognitifs face aux crises ? Cas du Covid-19 dans les caricatures de Dilem

Elarrachi Ilham & Boujghagh Hassan

La crise sanitaire due « au coronavirus » et le nouveau lexique

Mohand Beddar

Le langage comme mécanisme de défense face à la crise de la Covid 19

Marge Käsper

Hélas, un mot pour dire le confinement, la crise et le partage

Gestion de la crise: polyphonie, argumentation, modalisation

Vivien Matisson

La crise de l’autorité énonciative dans La Peste : accueillir le parasite au cœur de la nomination

Louis Maritaud

La gestion d'un épisode de crise en psychiatrie : la relève infirmière comme plateforme de décision collaborative

Abderrafiî Khoudri

La préservation de la face et son incidence sur léchange verbal et la relation entre soignant et soigné

Stylistique et rhétorique de la crise

Béji Jihène

Cioran ou de la langue comme crise

Adriana-Gertruda Romedea

Les actes de langage et l’hexagone de la situation sémiotique

Ilaria Moretti

La vita involontaria de Brianna Carafa : pour une rhétorique de la crise

Camara Moussa

De la désintégration des personnages à la crise du langage dans La route

des Flandres de Claude Simon

Lara Pasquini Perrott

La Nuit juste avant les forêts: raconter pour partager l'incommunicable

Luminiţa Diaconu

De l’enlisement discursif dans les Folies ou comment l’amour est fragilisé par les émotions

Lahcen Bammou

Stylistique de la crise du langage dans Le Fou d’espoir d’Abdellatif Laâbi

Basile Difouo

Crise identitaire et linguistique dans l’écriture d’Eugène Ébodé : jeu et enjeu

COMPTES RENDUS

Maricela Strungariu, Une passion qui dévore. Regards croisés sur la lecture et le lecteur, Cluj-Napoca, Casa Cărţii de Ştiinţă, 2020, 264 p (Florinela Floria)

Marta Sobieszewska, Clarté et précision du discours juridique : procédés référentiels dans les arrêts de la Cour de cassation, Wydawnictwo UMCS, Lublin, 2019, 184 p., annexe, (Marek Kęsik)