Essai
Nouvelle parution
F. Guattari, Lignes de fuite. Pour un autre monde de possibles

F. Guattari, Lignes de fuite. Pour un autre monde de possibles

Publié le par Marc Escola

Lignes de fuite - Pour un autre monde de possibles
Par Félix Guattari

Liane Mozère (Préfacier)

Paru le: 4 novembre 2011
Editeur: Aube (Editions de l')
Collection: Monde en cours
ISBN: 978-2-8159-0265-6
EAN: 9782815902656
Nb. de pages: 363 pages


Prix éditeur : 25,00€

"Quand une nouvelle forme de lutte ou d'organisation s'invente, ça se propage à la vitesse de l'audiovisuel", prédisait Félix Guattari en 1979.
Dans ce texte retrouvé par ses enfants après son décès, Félix Guattari analyse comment la production, la codification et la communication de signes dans le système capitalistique assujettissent les acteurs sociaux sur le plan économique et social ainsi que sur celui de la subjectivité. Cette "dictature" des significations et des comportements dominants conduit Félix Guattari à proposer, à la suite de ses travaux avec Gilles Deleuze, une micropolitique émancipatrice.
Sa position novatrice est plus que jamais d'actualité au coeur de la crise écologique, politique, économique et sociale, que le monde traverse aujourd'hui.

Sommaire:

ASSUJETISSEMENT SEMIOTIQUE ET EQUIPEMENTS COLLECTIFS
 
L'inconscient n'est pas structuré comme un langage
Où commencent, où finissent les Equipements collectifs
La révolution capitalistique
 
L'ANALYSE PRAGMATIQUE DE L'INCONSCIENT SOCIAL
 
La pragmatique, enfant pauvre de la linguistique
La pragmatique comme micro-politique des formations linguistiques
 
UN EXEMPLE DE COMPOSANTE PRAGMATIQUE : LES TRAITS DE VISAGEITE
 
De la visagéité
La hiérarchie des comportements chez l'homme et l'animal
La sémiotique du brin d'herbe

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Dans Libération du 19/1/12, on pouvait lire cet article de R. Maggiori:

Guattari, prises multiples

Trois ouvrages pour les 20 ans de la mort du psychanalyste, qui avec Deleuze conçut la bombe de «l’Anti-Oedipe»

On a une idée imprécise de la façon dont Félix Guattari et Gilles Deleuze travaillaient ensemble. On sait bien, en revanche, ce qu’ils entendaient par «philosopher» : fabriquer des concepts, les découper, les limer, les clouer, les encastrer les uns dans les autres, non pour poser un coffrage sur le réel, mais pour imbriquer des pans de réalités hétérogènes, qui, en se collant, créeraient des plans nouveaux d’où sourdent inopinées des multiplicités d’événements. Aussi les imagine-on en ouvriers, menuisiers ou maçons. L’un était plutôt l’homme du chantier, de la fouille, de la découverte de matériaux, de l’inventivité, l’autre celui de la maison, de la construction, de la finition, de la dernière main - celui-ci était le fleuve, le main stream, si l’on veut, l’autre tous les affluents, bouillonnants. Deleuze n’a pas cessé de dire ce qu’il devait à la créativité exubérante de son ami, qui lui fit voir sous un autre jour les problèmes politiques, les «incidences militantes», ou la psychanalyse, le lacanisme, la psychiatrie…

Brouillons. Félix Guattari a disparu il y a juste vingt ans. De lui paraissent aujourd’hui, pour célébrer cet anniversaire, trois ouvrages : Ecrits pour l’Anti-Oedipe, De Leros à La Borde, et Lignes de fuite, un long texte inédit retrouvé par ses enfants. Ils illustrent chacun une «facette» de son activité multiforme. Le premier, déjà publié en 2004, permet de mieux saisir le «fonctionnement» de sa collaboration avec le philosophe, ou plutôt le mode de production de la machine théorique qu’était «Deleuze-Guattari» : il s’agit en effet, rédigés entre 1969 et 1972, des textes, essais, notes, fiches de lectures, brouillons, lettres que Guattari faisait parvenir à Deleuze en vue de la préparation de cette «bombe» que fut L’Anti-Oedipe - premier ouvrage commun, avant Rhizome, Kafka, Mille Plateaux et Qu’est-ce que la philosophie ? Le deuxième met en scène le Guattari psychanalyste, qui dès 1955 rejoint la clinique de La Borde où son fondateur, Jean Oury, avait lancé la «psychothérapie institutionnelle». Il est composé de deux textes. L’un, le Journal de Leros, est le récit du voyage-enquête (paru dans Libération le 13 octobre 1989) effectué par Guattari dans deux hôpitaux psychiatriques grecs, dont des images diffusées dans le monde entier - «des corps nus, des visages décharnés et figés dans la peur et l’angoisse derrière des grilles» - avaient montré qu’il s’agissait d’un véritable bagne, d’un «camp de concentration sans la présence d’aucun personnel soignant, sans même un psychiatre». L’autre, De Leros à La Borde, décrit, à la manière d’une brève autobiographie, la pratique «analytique et sociale» de Guattari, la façon dont il apprend «à connaître la psychose et l’impact que pouvait avoir sur elle le travail institutionnel», dont il interconnecte approches cliniques et politiques, met en place de «multiples instances collectives, assemblées générales, secrétariat, commissions paritaires pensionnaires-personnel […], "ateliers" de toutes sortes, journal, dessin, couture, poulailler, jardin, etc.», bref crée, avec Oury, un lieu de vie «autre», qui n’a plus rien à voir avec l’«asile», tout de violence, d’enfermement et de maltraitance, et qui entraîne la mise en cause non seulement de la vieille psychiatrie, mais «de la santé, de la pédagogie, de la condition pénitentiaire, de la condition féminine, de l’architecture, de l’urbanisme…»

Label.Lignes de fuite, rédigé en 1979-1980 - avant Mille Plateaux - est un ouvrage théorique d’importance. Outre le lexique, la furie néologique et le style de Guattari, reconnaissables à mille lieues («agencements collectifs du désir», «cartes et rhizomes», «reterritorialisation», «accélérations sémiotiques», «schizoanalyse»), on y trouve l’essentiel de sa pensée, dont le label pourrait être celui de transversalité, qui lui fait découvrir des connexions inédites, fabriquer des passerelles et des interactions entre individus, groupes, mouvements, investissements libidinaux, domaines du savoir, pratiques sociales et politiques. Dans la préface, Liane Mozère résume la question que pose Lignes de fuite : «Comment agir dans le capitalisme mondial intégré afin de faire advenir des possibles ?» On devine que, pour y répondre, Guattari ne rédige pas des manifestes politiques. Il démonte ce que Michel Foucault nommait déjà la «microphysique des pouvoirs», la façon «moléculaire» qu’a le pouvoir non seulement d’investir, pour les rendre inaltérables, les institutions politiques, mais aussi la subjectivité, que des règles de langage, des codes, des valeurs, des protocoles assujettissent aussi bien et rendent conformes aux intérêts du pouvoir. Aussi commence-t-il par le «fond» même de cette subjectivité, à savoir l’inconscient, lequel, «ni individuel ni collectif», n’est pas, comme le pensait Lacan, «structuré comme un langage», mais comme «une multiplicité de modes de sémiotisation».

Building.«On n’a jamais affaire à l’Inconscient avec un I majuscule, mais toujours à n formules d’inconscients, variant en raison de la nature des composantes sémiotiques qui connectent les individus les uns aux autres : les fonctions somatiques et perceptives, les institutions, les espaces, les équipements, les machines, etc..», écrit Guattari. L’enjeu n’est évidemment pas psychanalytique, mais politique : soumettre la subjectivité à un «référent unique», à une Forme, une Structure, un Signifiant, c’est perpétuer une sorte de subjectivité, celle de «l’énonciation individuée», de la fausse autonomie, d’un «petit sujet dans ma tête, comme un manager minuscule, tout en haut d’un building», ou de «la production en série et l’exportation massive du sujet, blanc, conscient, mâle, adulte, maître de lui et de l’univers», et, ainsi, nier «la diversité infinie des modes de subjectivité, de réflexivité et de discursivité», par quoi, en s’agrégeant, se constituent les «populations moléculaires», ou les «meutes», moins «prises» par les «formations de pouvoir capitalistiques».

Sans doute pensera-t-on qu’encore ébouriffé par les vents de l’après-Mai 68, Lignes de fuite parle une langue morte, porte des espérances et des enthousiasmes désormais essoufflés. En réalité, certaines de ses pages semblent avoir été écrites hier. Elles expliquent comment, malgré tout, et lorsqu’on ne s’y attend guère, peuvent naître les printemps - dans la vie bloquée d’un individu ou dans un corps social paralysé par la crainte, l’oppression, la misère, le conditionnement, la terreur. Et comment des volontés enchaînées soudain se conjuguent, s’allient, s’encouragent, se libèrent, deviennent «mouvement» et trouvent la force d’oser l’impossible."