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Devenir sujet : les pratiques de subjectivation dans l’art au XXIe siècle

Devenir sujet : les pratiques de subjectivation dans l’art au XXIe siècle

Publié le par Vincent Ferré (Source : Camille Pierre)

Devenir sujet : les pratiques de subjectivation dans l’art au XXIe siècle

Journée d’études, 3 juin 2020, École Nationale Supérieure d’Audiovisuel, ENSAV, Toulouse
Appel ouvert jusqu’au 20 mars 2021


Cette journée d'études transdisciplinaire, à la fois théorique et artistique, portera sur les pratiques de subjectivation dans l’art. Il s’agira de repenser des pratiques variées dans l’art afin de redéfinir le rapport à soi. La journée d’études privilégiera une conception du sujet et des identités favorisant la fragmentation, la pluralité, la multiplicité et les différences dans un effort d’autonomie face aux normes sociales, culturelles et artistiques. Les propositions porteront essentiellement sur la façon dont certaines pratiques artistiques, réalisées par ceux et celles qui sont invisibilisé.e.s, remettent au centre du discours des sujets mis à la marge des représentations traditionnelles. Cette réflexion pourra situer ses recherches à l’aune des approches décloisonnantes inspirées par les cultural studies et les gender studies. Ces dernières permettront d’étudier la façon dont le devenir sujet dans l’art interroge l’œuvre en tant que trajet d’expérimentations à même de concrétiser un pouvoir agir.
Les pratiques de subjectivation dans l’art, c’est-à-dire celles qui s’intéressent aux façons dont la construction du soi s’opère par le biais de pratiques artistiques, permettent de mettre l’individu au centre d’interrogations qui remettent en question une construction lisse et univoque de l’individu tel qu’il est défini par nos sociétés hétéronormées. Si le devenir sujet est pensé comme une trajectoire (Fraisse, 2005 : 1423) où le sujet contemporain affirme sa singularité par un possible renversement des normes, ses actes ne sont pas extérieurs aux normes par lesquelles il se constitue : le sujet « n’agit qu’en étant lui-même agi (Machebey, 2009 : 77) ». Comme le démontre Michel Foucault dans sa critique de la gouvernementalité (Huff, 2020 : 1), l’individu est le produit d’une entreprise de normalisation du pouvoir (Foucault, 2001 : 1604). Cette pensée permet de préciser qu’il ne peut y avoir de sujets situés dans une pure position d’extériorité relativement aux dispositifs de pouvoir (Dardot, 2011 : 256) car l’individu et le collectif sont intrinsèquement liés.
Penser le Sujet contemporain à l’aune des pratiques artistiques de subjectivation (Wieviorka, 2012 : 6) suppose alors d’interroger les processus de construction, de création, de transformation et de réappropriation de soi par l’art. Comment l’art, que nous entendons ici dans toute son interdisciplinarité (peinture, sculpture, architecture, performance, cinéma, installation…) peut-il être compris comme une technique de réécriture de soi (Foucault, 1983 : 50) ? Nous reprenons ici la pensée de Michel Foucault pour qui les écritures de soi, pratiquées chez les penseurs grecs, convoquent la méditation solitaire et la relation avec autrui, dans une visée de culture et de construction du sujet. Nous proposons de penser les pratiques de subjectivation dans l’art comme les techniques de réécriture de soi qui établissent une corrélation entre le devenir de l’œuvre et le devenir sujet. Ce processus de création est en effet à même de mettre en relief « les dimensions que prennent le rapport à soi et la relation à l’autre dans la dialectique de l’identité et du devenir sujet (Joly, 2011 :10) ». Ainsi, c’est dans un espace paradoxal entre assujettissement, subversion et création que nous entendons les pratiques de subjectivation dans l’art comme espace de construction et de déconstruction de « soi ». Les représentations ont autant la possibilité de renforcer les normes qui sont instituées par la société que de les subvertir, comme l’a notamment montré Judith Butler par le concept de performativité (Butler, 1999 : 272). L’art permet ainsi de repenser les normes qui nous traversent et par lesquelles nous construisons nos représentations et de construire une subjectivité dans les failles et les interstices des discours.

Ce processus de déplacement du modèle hégémonique par l’art a notamment été travaillé, à partir des années 1970, par le cinéma expérimental et féministe. Ce dernier a participé à une relecture critique des systèmes de représentation par des réalisateur.trice.s qui se sont intéréssé.e.s à la construction des représentations genrées et sexuées. Par exemple, nous retrouvons cette pensée dans l’œuvre de la réalisatrice Su Friedrich qui a utilisé la représentation du désir adolescent comme une stratégie de renversement possible du cadre normatif dans Hide and Seek. Ce renversement permet au.à la spectateur.trice de se penser en dehors de la bicatégorisation de la sexualité et permet par le film de faire surgir un espace d’indéfinition de l’individu, apte alors à habiter son corps selon un autre régime.
Plus récemment, des recherches autour de la matérialité du corps au cinéma ainsi que dans les médias numériques et 3D ont ouvert les possibilités de représentations d’un corps hors-norme, ex-centrique (Arlaud, 2007) questionnant les limites de genre, de race, de sexe. Des théoriciennes comme Mary Ann Doane ou Kaja Silverman interrogent l’objectivation du corps féminin dans le cinéma classique Hollywoodien à travers l’unicité du corps et de la voix (Doane, 1980 et Silverman, 1988). Britta Sjorgen voit, au contraire, dans la voix off un amplificateur de la subjectivité féminine au sein d’un système patriarcal notamment parce qu’elle permet la représentation d’une pluralité temporelle et d’une pluralité au sein-même de la conscience du sujet (Sjorgen, 2006).  Geetha Ramanathan analyse les représentations d’empowerment des personnages de femmes afro américaines dans le cinéma contemporain états-unien, par l’association du corps et du discours performatif, qui concoure à leur donner une forme d’autorité et de pouvoir (Ramanathan, 2015). Enfin, le numérique et les plateformes 3D ont aussi été un terrain d’expérimentation pour un sujet « transreal », terme inventé par Micha Cardenas dans Becoming Dragon, performance hybride en ligne qui permet au sujet d’exister selon une forme-avatar choisie. Celle-ci remet en cause la naturalité du genre et du sexe en expérimentant la construction du corps dans son propre temps et son propre espace. Plus largement, la réflexion autour des nouvelles technologies comprises comme une extension du corps humain (Kluszczynski, 1998 : 38) permet d’interroger la capacité d’émancipation du sujet pris dans un espace défini et qui, par sa dématérialisation, complexifie l’idée d’identité et nourrit une réflexion sur les frontières de l’identité.
Dans cette recherche, il nous semble important d’interroger les échanges entre les concepts théoriques et les pratiques artistiques en tant que matrices d’expérimentations esthétiques et politiques. Seront bienvenues les propositions de tout.e praticien.ne. ainsi que les travaux de création-recherche de toutes les disciplines, prenant comme objet d’étude l’art et ses manifestations.

Ainsi, les axes de réflexion envisagés sans être exhaustifs pour cette journée d’étude seront les suivants :
-La visibilisation des minorités par l’art : comment se faire entendre et faire corps en se donnant à voir, à lire, à écouter etc.
-Les nouvelles technologies comme moyens de re/présenter un corps hors-normes
-Les technologies cinématographiques vues au prisme du genre
-Les capacités performatives de l’art
-L’art engagé dans une quête identitaire et comme moyen de déconstruire les identités …

Les personnes intéressées ont jusqu’au 20 mars 2021 inclus pour envoyer leur bio-bibliographie et leur proposition de communication (entre 2 000 et 3 000 signes) à devenirsujet@gmail.com. La journée d’étude se tiendra le 3 juin 2021 de 9h30 à 18h à l’École Nationale Supérieur d’Audiovisuel (ENSAV) à Toulouse.

Journée d’études organisée par :
Maud Cazaux (ENSAV, Toulouse)
Camille Pierre (ENSAV, Toulouse)

 

Bibliographie indicative

Butler, Judith. La vie psychique du pouvoir : l’assujettissement en théories. Traduit par Brice Matthieussent. Paris: Leo Scheer, 2003.

Butler, Judith. Le récit de soi. Traduit par Bruno Ambroise et Valérie Aucouturier. Paris: Presses Universitaires de France, 2010.

Descartes, René. Méditations métaphysiques ; Objections et réponses: suivies de quatre lettres. Paris: Flammarion, 2011 [1641].

Deleuze, Gilles. Différence et répétition. 12e édition. Epiméthée essays philosophiques. Paris: Presses Universitaires de France, 2015 [1968].

Doane Mary Ann, « The Voice in Cinema: The Articulation of Body and Space » dans Rick Altman (ed.), Cinema/Sound, n° 60, New Haven : Yale University Press, 1980, pp. 33-50.

Foucault, Michel. « Usage des plaisirs et techniques de soi », Débat, 5, no 27 (1983): 4672.

Fraisse, Geneviève. « Le devenir sujet et la permanence de l’objet » 24, no 1 (2005): 1423.

Goursat, Juliette. Mises en je: autobiographie et film documentaire. Arts. Série Hors champ. Aix-en-Provence: Presses universitaires de Provence, 2016.

Hegel, Georg Wilhelm Friedrich. Précis de l’encyclopédie des sciences philosophiques. Traduit par Jean Gibelin. Paris: J.Vrin, 1952.

Kafka, Franz. La métamorphose. (suivi de) Franz Kafka, 1883-1924. Édité par Vladimir Nabokov. Traduit par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent. Paris: Librairie générale française, 2004 [1915].

Giddens, Anthony. Modernity and Self-Identity: Self and Society in the Late Modern Age. Cambridge: Polity Press, 1991.

 Kant, Emmanuel. Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée? Édité par Alexis Philonenko. Traduit par Ferdinand Alquié. Paris: J. Vrin, 1993 [1786].

Kluszczynski Ryszard W., « Art of Virtual Bodies », Digital Creativity, vol.9, n°1, 1998.

De Lauretis, Teresa. Technologies of gender: essays on theory, film, and fiction. Theories of representation and difference. Bloomington: Indiana University Press, 1987.

De Lauretis, Teresa. Théorie queer et cultures populaires : de Foucault à Cronenberg. Le Genre du monde. Paris: La Dispute, 2007.

Macherey, Pierre. De Canguilhem à Foucault: la force des normes. Paris: Fabrique, 2009.

Merleau-Ponty, Maurice. Phénoménologie de la perception. Tel 4. Paris : Gallimard, 2009 [1945].

Molénat, Xavier. « Devoir s’inventer. Questions à Jean-Claude Kauffmann », Sciences Humaines, 11, no 154 (2004): 22. https://www.cairn.info/magazine-sciences-humaines-2004-11-page-22.htm.

Mullaly, Laurence. « Corps, identités et sexualités alternatives dans le cinéma argentin : XXY de lucía puenzo », Genre en séries : cinéma, télévision, médias, no 3 (2016): 11530.

Preciado, Paul. Je suis un monstre qui vous parle, rapport pour une académie de psychanalystes. Paris : Grasset, 2020.

Preciado, Paul. Testo junkie: sexe, drogue et biopolitique. Paris : Grasset, 2008.

Planté Christine, Riot-Sarcey Michèle, Varikas Eleni, « Femmes sujets de discours, sujets de l’histoire », Les Cahiers du Grif, Le genre de l’histoire, printemps 1988. pp. 21-23.

Ramanathan, Geetha. « Sound and Feminist Modernity in Black Women’s Film Narratives » dans Laura Mulvey et Anna Backman Rogers (eds.), Diversity, Difference and Multiplicity in Contemporary Film Cultures, Amsterdam : Amsterdam University Press, 2015.

Silverman, Kaja. The Acoustic Mirror. Bloomington: Indiana University Press, 1988.

Sjorgen Britta, Into the Vortex—Female Voice and Paradox in Film, Chicago: University of Illinois Press, 2006.
 
Wieviorka, Michel. « Du concept de sujet à celui de subjectivation/dé-subjectivation », Fondation maison des sciences de l’homme, no 16 (2012): 15. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00717835/document.