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Des expériences au rabais ? Esthétique des arts discrédités (Sorbonne Université)

Des expériences au rabais ? Esthétique des arts discrédités (Sorbonne Université)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Thomas Morisset)

Des expériences au rabais ?

Esthétique des arts discrédités

3 mai 2021

Centre Victor Basch, EA 3552 « Métaphysique, histoires, transformations, actualités »,

Faculté des Lettres de Sorbonne Université

Journée d’étude organisée par Thomas Mercier-Bellevue & Thomas Morisset


 

L’esthétique philosophique, telle qu’elle s’est constituée aux XVIIIème et XIXème siècles, avait pour vocation de parler du sentiment esthétique en général, mais il n’en reste pas moins que ses diverses théories se sont développées en prenant pour paradigme des arts particuliers : les arts classiques, majeurs, légitimes. Si le XXème siècle a vu émerger une esthétique prenant en compte le cinéma (Deleuze) ou bien s’ajustant aux expérimentations de l’art contemporain (Goodman, Danto), l’intégration de certaines pratiques reste problématique.

L’une des conséquences de cette focalisation de l’esthétique sur les arts classiques, c’est une certaine confiscation de l’expérience esthétique par ces arts, qui seraient seuls en mesure d’être à l’origine d’une expérience proprement esthétique. A contrario, d’autres arts – ceux que nous proposons d’appeler « discrédités » – seraient impropres à faire naître une telle expérience, notamment du fait de leur caractère mêlé : le jeu dans le jeu vidéo, le danger dans les arts du cirque (Dufrenne), la consommation dans la musique mainstream (Adorno), la familiarité pour les personnages des sitcoms, etc. Autant de traits réputés pour leur incompatibilité avec une attitude désintéressée que rien ne devrait venir troubler.

Cependant, l’expérience esthétique, loin de se résumer à une contemplation lointaine et statique, implique peut-être une « impureté » constitutive (Marianne Massin). De plus, si l’on prête attention aux déterminations attentionnelles, émotionnelles et cognitives de l’attention esthétique, celle-ci n’apparaît pas seulement comme un habitus élitiste dont les arts classiques auraient l’apanage, mais bien comme un mode d’être au monde, une sensibilité commune, c’est-à-dire à la fois ordinaire et partagée par tou·tes (Jean-Marie Schaeffer).

Or – et nous rejoignons en cela la thèse majeure de l’esthétique de John Dewey –, cette sensibilité commune est aiguillonnée par des pratiques multiples, qui non seulement échappent au canon classique des arts, mais surtout (et c’est cela qui nous intéresse) qui sont considérées comme impropres à la réception esthétique au sens plein du terme. Cette journée d’étude adoptera alors pour postulat que tous les arts sont susceptibles de contribuer à la naissance d’expériences pleinement – et non conditionnellement – esthétiques. Plus encore, cette sensibilité est peut-être susceptible de s’exercer au-delà du domaine des arts : du point de vue de l’expérience, les fans de football ou les alpinistes ne partagent-iels pas quelque chose avec les amateur·rices d’art ?

Notre orientation consistera donc à étudier les spécificités des arts discrédités du point de vue de l’expérience esthétique. En effet, ceux-ci contribuent peut-être à renouveler cette dernière : qu’est-ce que cela fait à l’attention esthétique d’y injecter l’érotisme d’un spectacle de strip-tease ou de burlesque ? la tension partisane et le chant dans les tribunes au catch ? le caractère politique d’un festival burn ? S’il y a bien là des lieux pour l’expérience esthétique, cela nous impose d’infléchir nos catégories philosophiques. 

Par « arts discrédités » nous désignons une catégorie évolutive et transversale, comprenant les arts qui sont jugés impropres à faire naître l’expérience esthétique. Cette appellation demandera à être comprise comme un concept ouvert, à la croisée des notions d’« arts populaires » et d’« arts mineurs ». En effet, ce discrédit touche aussi bien des pratiques socialement illégitimes que des pratiques artisanales ou des arts tombés dans l’oubli. S’il semble évident que le domaine de l’esthétique outrepasse largement celui de l’art, nous choisissons toutefois de laisser de côté les expériences ostensiblement extra-artistiques (on pense notamment à la question de la beauté naturelle) pour nous concentrer sur des pratiques culturelles intentionnelles et définies. Si certaines d’entre elles peinent bel et bien à acquérir le statut d’ « art » au sens fort, cette journée d’étude sera l’occasion de s’interroger sur le rôle selon nous fondamental de l’expérience esthétique dans les dynamiques d’artification (Nathalie Heinich et Roberta Shapiro).

Ainsi, nous n’aurons pas à choisir entre parler des arts discrédités et parler de l’expérience qu’ils provoquent : nous souhaitons appréhender ces arts dans leur contribution à l’appréhension du sensible et à la compréhension de l’esthétique en général. Par conséquent, nous laisserons de côté la dimension sociologique du discrédit et plus précisément la question de l’origine et des mécanismes de l’illégitimité de certains arts et expériences, même si l’on pourra considérer certains glissements entre légitimité sociale et expérience esthétique : plaisir coupable, goût pour le kitsch, esthétique camp, joies régressives, etc. Ainsi, les intervenant·es sont invité·es à se focaliser sur les spécificités esthétiques des expériences induites par telle ou telle pratique (par exemple sous la forme d’études de cas).

La tension entre arts classiques et arts discrédités ne sera donc pas pour nous un problème, mais un point de départ : ce qui nous intéresse c’est que ces objets entrent en résistance avec la philosophie esthétique, nous forçant ainsi à la réinventer. Les différentes questions que cette journée aspire à soulever peuvent être synthétisées en trois axes (non exhaustifs) :

L’extension du domaine sensible : Étienne Souriau refusait de clore sa roue des catégories esthétiques, en arguant que quelque goût nouveau était toujours susceptible d’émerger. Dans cette veine, un premier axe d’étude sera d’étudier les nuances inédites apportées par les arts discrédités. On peut citer en exemple les catégories esthétiques proposées par Olivier Caïra pour traiter des jeux, ou bien les considérations sur l’inauthenticité développées par Agnès Gayraud pour penser les musiques populaires.

Le renouvellement des théories esthétiques : Un second axe, plus méta-réflexif, concernera la mise à l’épreuve par les arts discrédités des cadres théoriques de l’esthétique et de la philosophie de l’art. Les jeux vidéo, par exemple, exigent que l’on remette en cause la séparation et la hiérarchie entre esthétique et technique (Thomas Morisset). De quelle manière l’expérience esthétique de ces arts amène-t-elle un renouvellement – et non seulement une extension – de la philosophie esthétique ?

La multiplicité des sujets esthétiques : La prolifération des arts et des pratiques pose la question de celles et ceux qui en font l’expérience. Si la naissance de l’esthétique va de pair avec celle du sujet universel promu par les Lumières, différents courants de pensées obligent à interroger cette unité : on pense notamment aux études féministes (Hilde S. Hein) ou décoloniales (Walter Mignolo). En quoi la pluralité des postures, des attitudes et des sujets esthétiques permet-elle un renouvellement non seulement politique, mais aussi proprement esthétique ?

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Les propositions de communication, qui n’excéderont pas 300 mots (hors bibliographie et notice biographique), sont attendues pour le vendredi 12 février 2021 aux adresses suivantes : thomas.mercier-bellevue@sorbonne-universite.fr et thomas.morisset@ac-orleans-tours.fr.

Si cette journée est avant tout ancrée en philosophie esthétique et en philosophie de l’art, les propositions émanant de disciplines connexes sont les bienvenues. Nous invitons tout particulièrement les jeunes chercheurs et chercheuses (doctorant·es, jeunes docteurs et doctoresses, masterant·es ou en préparation d'un projet de thèse) à faire acte de candidature. Les notifications d’acceptation ou de refus seront envoyées au plus tard le 1er mars 2021.

La durée des interventions sera de 25 minutes et une publication des actes est envisagée. Les déplacements et hébergements seront à la charge des intervenant·es.