Essai
Nouvelle parution
B. Vouilloux, Le Tournant

B. Vouilloux, Le Tournant "artiste" de la littérature française

Publié le par Ivanne Rialland

Compte rendu publié dans Acta fabula : "Ce que la peinture leur fait écrire" par Clément Dessy.

 

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Bernard Vouilloux, Le Tournant "artiste" de la littérature française. Écrire avec la peinture au XIXe siècle

Paris : Hermann, coll. "Savoir Lettres", 2011.

540 p, 82 illustrations.

EAN 9782705668914.

Prix 54EUR

Présentation de l'éditeur

En revisitant les rapports étroits que la littérature et la peinture ont noués au XIXe siècle, c'est le tournant "artiste" de la littérature française que ce livre se propose de mettre en lumière. C'est dire que son objet est double : il s'attache à deux pratiques symboliques entre lesquelles il existe certainement plus de différences que de similitudes, mais qui furent très souvent rapprochées depuis l'Antiquité ; et ces pratiques, il les prend à un moment historique précis, en tentant d'en suivre l'intrigue tout au long d'une période que balisent, comme autant de buttes-témoins, les noms de Stendhal, Balzac, Hugo, Baudelaire, Flaubert et Edmond de Goncourt. Non tant qu'il s'agisse d'en faire l'histoire ; bien plutôt le propos est-il de retourner (revenir) aux textes, et, par là, de retourner (renvoyer) aux textes les questions qu'ils posent, aux fins de problématiser leur rapport à la peinture : tenter, en somme, de repérer tout autant ce que la littérature, au XIXe siècle, fait de la peinture que ce que la peinture fait ou fait faire aux textes.

 

Bernard Vouilloux, professeur de littérature française moderne et contemporaine à l'Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, est membre de l'Association Internationale des Critiques d'Art et du comité scientifique de la revue Perspective. Il a également publié seize livres, parmi lesquels "La Peinture dans le texte. XVIIIe-XXe siècles" (CNRS Éditions, 1994), "Le Tableau vivant. Phryné, l'orateur et le peintre" (Flammarion, 2002),"Écritures de fantaisie. Grotesques, arabesques, zigzags et serpentins" (Hermann, 2008) et "La Nuit et le silence des images. Penser l'image avec Pascal Quignard" (Hermann, 2010).

 

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Dans Le Monde des livres du 30/6/11, on pouvait lire cet article:

 

Les noces de la littérature et de la peinture LE MONDE DES LIVRES | 30.06.11 | 12h53

Julien Gracq distinguait deux types d'écrivains : les myopes, "chez qui même les petits objets du premier plan viennent avec une netteté parfois miraculeuse", et les presbytes, "qui ne savent saisir que les grands mouvements d'un paysage". Huysmans d'un côté, Chateaubriand de l'autre.

Gracq n'était pas le seul à subordonner l'acte d'écrire à celui de voir : Diderot lui-même en son temps... Dans une magistrale synthèse sur les rapports entre littérature et peinture, Bernard Vouilloux, professeur à la Sorbonne, montre néanmoins que le XIXe siècle a représenté un moment central. Alors fut poussé à son comble le présupposé (dit "phénocentriste") selon lequel les énoncés descriptifs transcrivent ce que l'écrivain perçoit visuellement, ainsi que le ferait un peintre. Le romantisme et plus encore le réalisme en firent, en effet, une clé de leur esthétique - à sa correspondante Louise Collet, Flaubert écrivait en 1852 : "Je sais voir comme voient les myopes."

L'analogie nous semble si naturelle que nous oublions de l'interroger. Bernard Vouilloux la réinscrit dans l'histoire longue de l'"Ut pictura poesis". Cette célèbre formule tirée de l'Art poétique d'Horace a fixé, de longs siècles durant, le parallèle entre poésie et peinture. Tout fut bouleversé avec l'abandon progressif de la théorie classique de l'imitation et le divorce, prononcé par Lessing, entre ces deux arts, renvoyés chacun à leur spécificité (le temps pour la poésie, l'espace pour les arts plastiques). De cette dérégulation, le XIXe a su tirer pleinement profit : libérées du cadre contraignant de la rhétorique, lettres et images se sont entrelacées de manière bien plus souple et bien plus étroite, poussant l'homologie entre le visuel et le textuel jusqu'à son terme.

Peintres et écrivains partageaient beaucoup : des concepts fondamentaux (style, allégorie, cliché...), des réseaux de sociabilité, ou encore une exigence d'autonomie à l'égard des contraintes morales ou économiques en vigueur. Depuis Victor Hugo jusqu'aux Goncourt, les écrivains ont donc exploré tous les croisements possibles entre verbalisation et visualisation. A propos de Balzac, Baudelaire écrivait ainsi qu'il avait l'"ambition immodérée de tout voir, de tout faire voir" : derrière chaque personnage peut, en effet, se cacher un double peint qui en offre la version idéalisée, et le peintre devient, dans La Comédie humaine, le grand rival de cet écrivain-démiurge ayant fait de la description le coeur de sa poétique.

"REGARDER LE POSSIBLE"

C'est au-delà des repères ordinaires que s'aventure Hugo, pour qui la description vise à un acte de "voyance" qui permet de "regarder le possible", autrement dit de saisir l'informe ou l'instable. Avec Baudelaire, le culte des images ("ma grande, mon unique, ma primitive passion", écrivait le poète) se renverse en une répulsion iconoclaste - l'antique rapport d'homologie teintée de rivalité entre poésie et peinture s'épuise : désormais, "chacune n'empiète sur l'autre que pour autant qu'elle conserve le trait qui la différencie".

L'aveuglement de la poésie et le silence de la peinture ne signifient toutefois pas qu'après les Goncourt, le "tournant "artiste"" de la littérature n'ait pas eu de suite. Bernard Vouilloux esquisse les grandes lignes de cette histoire prolongée : la coopération féconde entre les deux champs (dont témoigne l'importance prise au XXe siècle par la critique d'art ou le passage d'écrivains à la création plastique) s'y double d'un irréversible empiétement de la "vidéosphère" sur la littérature. C'est qu'à la peinture, depuis lors, la photographie et le cinéma ont joint leurs forces.

 

Le Tournant "artiste" de la littérature française - Ecrire la peinture au XIXe siècle de Bernard Vouilloux Hermann, 538 p., 54 €.

Jean-Louis JeannelleArticle paru dans l'édition du 01.07.11