Essai
Nouvelle parution
B. Preciado, Testo junkie. Sexe, drogue et biopolitique.

B. Preciado, Testo junkie. Sexe, drogue et biopolitique.

Publié le par Marc Escola

Beatriz Preciado
Testo junkie
Sexe, drogue et biopolitique

Document
Traduit de l'espagnol par l'auteur

Grasset,

Parution: 14/10/08

Beatriz Preciado, disciple de Jacques Derrida et d'Agnès Heller, est l'auteur du Manifeste contra-sexuel (Balland, Paris, 2000), aujourd'hui devenu un classique de la " théorie Queer ", traduit dans sept pays. Elle est titulaire d'un Master de philosophie contemporaine et de théorie des genres à la New School University de New York, et termine son Doctorat en théorie de l'architecture à l'Université de Princeton.
Elle a été publiée en France par Guillaume Dustan, au " Rayon Gay ", collection qui a marqué un tournant décisif de la scène littéraire et politique française. Aujourd'hui, elle dirige le projet d'investigation et production artistique " Technologies du Genre " dans le programme d'étude indépendante du Macba (Musée d'Art Contemporain de Barcelone). Elle est l'auteur de nombreux essais et articles.

" Ce livre n'est pas une autofiction. Il s'agit d'un protocole d'intoxication volontaire à base de testostérone synthétique. Pendant le temps de cet " essai corporel ", deux impondérables : la mort de Guillaume Dustan et le tropisme du corps de Beatriz Preciado vers le corps de V.D.
Sont enregistrées ici aussi bien les micro-mutations physiologiques et politiques provoquées par la testostérone dans le corps de Beatriz Preciado que les modifications théoriques et physiques suscitées dans ce corps par la perte, le désir, l'exaltation, l'échec ou le renoncement.

" Le lecteur ne trouvera pas ici de conclusion définitive sur la vérité de mon sexe, ni d'oracle sur le monde à venir. Je donne à lire ces pages qui dessinent les croisements des théories, des molécules et des affects, pour laisser trace d'une expérience politique dont la durée exacte a été de 236 jours et nuits et qui continue aujourd'hui sous d'autres formes. Si le lecteur trouve ici, assemblés sans solution de continuité, des réflexions philosophiques, des récits de session d'administration d'hormones, et des registres détaillés de pratiques sexuelles, c'est simplement parce que c'est le mode sur lequel se construit et se déconstruit la subjectivité."

* * *

• Ce livre, salué comme "l'essai le plus insensé de la rentrée", suscite d'ores et déjà nombre d'échos dans la blogosphère:

http://culture-confiture-mazel.blogspot.com/2008/09/beatriz-preciado-testo-junkie.html

http://www.foleffet.com/spip.php?article231

http://blog.myspace.com/index.cfm?fuseaction=blog.view&friendID=361841042&blogID=428179930

• Le journal Libération a publié le 14/10 un entretien de Cécile Daumas avec l'auteur, qui tient par ailleurs son propre blog:

Tête à queue

Beatriz Preciado. La philosophe déconstruit sexes et genres, à coups de voltes théoriques et de prises de testostérone.


Dans le jardin d'un hôtel feutré de Saint-Germain-des-Prés, on voitd'abord une fine moustache, simple trait formé de petits poils collésau-dessus des lèvres. Puis un corps habillé de noir qui ne donne aucunindice d'ordre sexuel. Le visage est anguleux et doux à la fois, laparole fluide et brillante. Beatriz Preciado extirpe de sa poche unpetit sachet de testostérone comme d'autres sortent négligemmentquelques euros pour payer leur café. 50 mg en gel. «Je n'ai pas pris cette hormone pour devenir un homme, cela ne m'intéresse pas.»

Philosophe, elle publie, ces jours-ci, un essai totalement détonant. Dans Testo Junkie, elle narre, d'un côté, sa vie de «gouine trans»comme elle se définit elle-même, avec godes ceinture de 22 centimètreset prises de testostérone synthétique. De l'autre, elle développe, entant que disciple de Jacques Derrida et chercheuse à l'université dePrinceton aux Etats-Unis, son idée de «société pharmacopornographique».Dans la lignée d'un Foucault, elle fait le constat que les normesactuelles de la sexualité, loin d'être fixes et naturelles, sontproduites et contrôlées par l'univers du porno comme par la diffusionde substances chimiques (Prozac, Viagra et autre cocaïne).

Auto-cobaye de son laboratoire philosophico-intime, elle s'appliquede la testostérone sur la peau durant 236 jours pour les besoins de sonlivre. «Par cette intoxication volontaire conduite sansprotocole médical, je signifie que mon genre n'appartient ni à mafamille, ni à l'Etat, ni à l'industrie pharmaceutique. C'est une expérience politique.» Elle décrit comment cette drogue sexuelle la rend «lucide, énergique, éveillée comme la première nuit où [elle] a baisé avec une fille». Et s'interroge : «Pourquoi ces effets seraient-ils considérés comme masculins?»

Au fil de trois heures d'entretien, Beatriz Preciado s'avère aussiaffable, drôle et parfois intimidée, que sa pensée est dérangeante,quoique remarquablement charpentée. A la différence de nombreuxintellectuels, elle ne laisse pas au placard ses accessoires de «garçon-fille», Testogel et autre moustache. «Onpense que la pensée est universelle et qu'on ne doit pas dire je. Or,derrière cette universalité, s'articulent la masculinité,l'hétérosexualité et la "blanchitude". J'ai voulu mettre fin à cettedistance clinique qui désexualise le discours philosophique et ensoustrait les corps.» Elle ne s'est jamais sentie ni homme, nifemme et ne comprend pas pourquoi, du fait de son sexe biologique, ellerenoncerait au porno, au gode, à la parole publique, à l'envie d'être king. «Depuis l'enfance, je me vis avec une bite fantasmatique d'ouvrier. Je réagis à tous les culs que je vois bouger.»Avec ses premières économies, elle pense à une greffe de pénis. Elle a7 ans. Beatriz est née en Espagne, en 1970, Franco est encore aupouvoir. Sa famille catholique et conservatrice l'inscrit dans uneécole non mixte tenue par les bonnes soeurs. «Un vrai paradis lesbien»,dit-elle. Avec ses manières policées de dandy, elle charme les fillesqui se laissent embrasser et tripoter les seins. On la dénonce à sesparents, elle n'en ressent ni souffrance, ni honte. «Pour moi,être lesbienne est la classe, l'aristocratie du sexe. Je me vivaiscomme un shaman sexuel. J'étais là pour sauver l'école de la misèresexuelle. Je me sentais très libre et j'arrivais à contourner la loi.J'étais Zorro», sourit-elle. Sa mère confectionne des robes de mariée et veut l'habiller en fille. «Elle lisait mes cahiers et fouillait mes poches. Elle se comportait comme un détective à la solde du régime hétéro-patriarcal.» Son père la laisse conduire les voitures du garage qu'il tient en ville. Il ferme les yeux. «Il était comme l'armée américaine. Don't ask, don't tell.»

Le point culminant de cette carrière de «conquistador sans bite» est sa rencontre avec Virginie Despentes. Elle écrit Testo Junkie quand l'auteur de Baise-moi finalise son King Kong Théorie. Féministes «porno punk», elles vivent à Barcelone, se donnent du «ma pute», façon de se réapproprier l'injure et d'en soustraire son monopole aux hommes. «Virginie et moi faisons partie de l'alliance très large des voyous, des putes et des gouines», dit Beatriz Preciado. Elles ont un bouledogue français, chien des prostituées du XIXe siècle. Despentes : «Nouspartageons une même forme de maboulerie. Chacune à notre façon, nous nerespectons pas l'ordre du monde et nous n'avons aucun complexe àessayer de le changer.»

L'autre événement qui a marqué l'écriture de Testo Junkie estla mort de Guillaume Dustan, l'écrivain et éditeur gay. En 2000, alorsque Beatriz Preciado vit en France, il publie le premier essai de lajeune philosophe, le Manifeste contra-sexuel, éloge de l'anus, «seul organe sexuel universel», dit-elle. «GuillaumeDustan est décédé quand je prenais de la testostérone pour mon livre.Lui comme Virginie Despentes m'ont donné la force de quitter le carcande la théorie et de m'aventurer vers l'autofiction.» En riant, elle se dit «philosophe hardeur». Despentes confirme : «Ellea cette capacité incroyable d'être aussi à l'aise avec l'universitairele plus pointu qu'avec la punkette gouine improbable, une bière à lamain.»

C'est chez les Jésuites, à Madrid, qu'elle entame, paradoxalement,son parcours intellectuel. L'ironie veut que ce soit l'Opus Dei,l'organisation catholique ultra-conservatrice, qui lui donne lapossibilité d'analyser les textes d'Ignace de Loyola, grâce à unebourse d'études. Le soir, elle file à la Luna, la boîte de travestisque fréquentent Almodovar et sa bande. «La première fois que j'y suis allée, je me suis dit: "C'est chez moi".» A22 ans, elle s'envole pour les Etats-Unis et apprend, à la New SchoolUniversity de New York, à forger un concept avec Derrida. Le pape de ladéconstruction devient son modèle de vie. Puis, elle passe à la théoriequeer de Judith Butler, autre rencontre déterminante. Comme lathéoricienne américaine, elle estime que le genre et la différence dessexes sont des fictions politiques, non parce qu'ils n'ont pas deréalité matérielle, mais parce qu'ils se construisent, à force d'êtreappris et sans cesse répétés, tel un rôle dans une pièce de théâtre. «Je suis une athée du sexe, dit-elle, jen'y crois pas. Il n'y a pas deux sexes mais une multiplicité deconfigurations génétiques, hormonales, sexuelles et sensuelles.» A New York, elle commence à reconstruire son identité «de façon insoumise». Se fait sa première barbe et se bande les seins lors d'un atelier drag king. «Cetteexpérience a été un exercice initiatique. Toutes les masculinités etles féminités apparaissent comme des caricatures. C'est un savoirlibérateur.»

Sans identité sexuelle fixe, Beatriz Preciado est perpétuellementdans l'invention de soi. Dans son livre, elle invite, non sans humour,les femmes à devenir «macho d'élite ou roi de la sodomie». Et donne quelques conseils aux hétérosexuelles sur la façon de traiter leurs partenaires. «Lerendre économiquement dépendant et le traiter sexuellement comme unepute ou comme une reine, mais toujours de manière aléatoire, uniquementen fonction de tes propres désirs.»