Actualité
Appels à contributions
Autour du darwinisme littéraire

Autour du darwinisme littéraire

Publié le par Natalie Maroun (Source : Marc Lapprand)

Congrès 2013 de la Fédération canadienne des sciences humaines  - Université de Victoria : 1er - 4 juin 2013.

Atelier 1. Autour du darwinisme littéraire

            Raconter des histoires, inventer des fictions, créer des intrigues, bref résider dans des mondes imaginaires sont autant de spécificités humaines sur lesquelles on s’interroge au moins depuis Aristote et Platon. Tout récemment ces questions sont envisagées dans le cadre de l’évolution. L’anthropologie, la sociologie et la psychologie se marient pour proposer une nouvelle épistémologie évolutionniste dans le sillage de ce que l’entomologiste et fondateur de la sociobiologie, Edward O. Wilson, appelle la « consilience ». C’est le titre de son ouvrage majeur (1998 – en français « l’unicité du savoir »). Il s’agit de montrer que la propension uniquement humaine à raconter et de consommer des histoires n’est pas le produit dérivé d’un cerveau hypertrophié, mais répond à des besoins neurocognitifs. En d’autres termes, les narrations, et par extension toutes les formes purement artistiques (non utilitaires) sont non seulement le résultat de notre évolution, mais elles sont tout simplement nécessaires à notre survie d’un point de vue adaptatif. Jean-Marie Schaeffer avait abordé ces questions dans Pourquoi la fiction ? (Seuil, 1999), mais le biologique ne faisait qu’y affleurer car il ne débordait pas du cadre de la littérature, mettant même à mal plusieurs notions couramment en circulation parmi les évolutionnistes, telles que celle des « mèmes », concept identifié par Richard Dawkins dans Le gène égoïste (1976 en traduction française).

            L’évolutionnisme ne fait pas consensus dans les milieux intellectuels, tant s’en faut. Pourtant, depuis l’ouvrage remarquable de Brian Boyd, On the Origin of Stories (2009), il serait peut-être temps de se poser des questions concrètes sur ce que peut apporter cette nouvelle discipline dans le domaine des humanités. C’est l’une des raisons de cet atelier. La lecture évolutionniste de la littérature n’est-elle qu’une autre forme de critique historique, comme l’avancent certains de ses détracteurs ? Ou alors peut-elle véritablement bouleverser nos concepts critiques solidement ancrés dans le structuralisme et ses disciplines héritières ? Qu’est-ce qui explique le foisonnement de ces recherches dans le monde anglo-saxon (Jonathan Gottschall, John Tooby, Leda Cosmides, Joseph Carroll pour ne nommer qu’eux) et la relative frilosité des Francophones à son égard ? Cette science serait-elle victime de son apparente simplicité ? La consilience peut-elle exister, est-elle souhaitable et même viable ? Les champs du savoir doivent-ils rester compartimentés, en vertu d’un certain constructivisme social qui a dominé le monde intellectuel pendant la seconde moitié du siècle dernier ? Ces questions ne sont évidemment pas exhaustives, elles offrent un balayage très général des enjeux de cette épistémologie en formation, qui n’a pas encore atteint un niveau méthodologique ni théorique. Pourtant, vu ses avancées récentes, tout porte à croire que l’évolutionnisme est en train de s’implanter comme un nouveau champ de la connaissance, et que dès lors on ne peut plus l’ignorer.

            Cet atelier espère attirer des communications de tous horizons, sans prétendre aboutir à des résultats tangibles ou concrets relativement à la « biopoétique ». Nous espérons toutefois soulever des débats en profondeur, sinon controversés, au moins passionnants. Il s’agira éventuellement d’effectuer une mise au point, un « état présent » de la question sans jamais perdre de vue les applications possibles de cette science naissante au champ littéraire. Valéry lui-même l’avait peut-être pressenti, mais probablement sans oser imaginer que l’on parlerait un jour de « darwinisme littéraire » : « Ceci nous ramène à Darwin sans détour. Celui-là je ne l’aime pas, il m’est indifférent et comme extérieur. Mais nul historien ne peut ignorer son existence. Songe que s’il a raison, toute l’histoire en est changée. Je veux dire tout le raisonnement historique.  Et il est certain qu’il a apporté quelque chose. » (Lettre de Paul Valéry à son ami André Lebey (1906), Oeuvres II,  Gallimard, Bibl. de la Pléiade, 1960, p. 1544-1545.)

Responsable : Marc Lapprand