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Art et mémoire dans l'espace public. Sorcières et consœurs subversives

Art et mémoire dans l'espace public. Sorcières et consœurs subversives

Publié le par Marc Escola (Source : Agathe Bernier-Monod)

Cycle de journées d’étude « Art et Mémoire dans l’Espace Public »

GRIC, Université Le Havre Normandie

À la suite de la journée d’étude du 17 mars 2022 consacrée aux Stolpersteine de l’artiste allemand Gunter Demnig, posées dans la ville du Havre en mémoire des déportés de la Shoah, le Groupe de Recherche Identités et Cultures poursuit sa réflexion autour des notions d’« Art et Mémoire dans l’Espace Public ». 

Le cycle de journées d’étude annuelles « Art et Mémoire dans l’Espace Public » s’adosse à l’actualité artistique et architecturale de la ville du Havre. Inscrite en 2005 au patrimoine mondial de l’UNESCO pour la reconstruction du centre-ville par l’architecte Auguste Perret, la ville ne cesse de se métamorphoser à la faveur, notamment, des œuvres d’art installées dans l’espace urbain. Depuis 2017 et la célébration des 500 ans de la ville, la manifestation Un Eté au Havre dote, année après année, les rues, les places, les jardins et la plage d’œuvres d’art contemporain, temporaires ou permanentes et réorganise l’espace public en dessinant des parcours artistiques. 

Le cycle « Art et Mémoire dans l’Espace Public » vise à apporter au grand public une mise en perspective et un éclairage scientifique de ces installations. Ces manifestations scientifiques, articulées à Un Été Au Havre et prévues jusqu’en 2026, ont également un objectif pédagogique en associant les étudiants de l’université. Ces six années de recherches, ponctuées de temps forts, permettront de tisser des liens solides entre la ville et l’université, le passé et le présent, le grand public et les chercheurs sous le signe de l’art et de la mémoire.  

2ème édition

Journée d’étude du 9 mars 2023 : Sorcières et consœurs subversives

 Après l’ouverture de l’école des Beaux-Arts aux femmes en 1897, le XXe siècle a été marqué par l’inscription des femmes dans l’histoire de l’art. C’est à Paris que la notion de femme artiste s’invite dans le champ de la peinture et de la sculpture, qui s’élargit bientôt à la photographie puis à l’installation, la vidéo, la performance. Mais qu’en est-il de la place des femmes et des femmes artistes non plus dans l’espace réservé et protégé des musées ou des galeries, mais dans cet espace exposé qu’est l’espace public ? 

Dans le domaine de l’art aussi, l’espace public est encore un territoire inégalitaire, largement soumis, si ce n’est à la domination, à tout le moins à la surreprésentation du sexe masculin. Toutefois, cette situation n’est-elle pas en passe de connaître une révolution comme ce fut le cas au XXe siècle ? 

L’installation, pérenne, d’une œuvre telle que « Sorcière de la mer » de l’artiste Klara Kristalova, au cœur historique du Havre, dans le quartier des pêcheurs à Saint-François, à partir de juin 2022, rend non seulement visible une œuvre d’artiste femme sur le port du Havre, mais, par sa thématique, invite aussi à interroger l’identité féminine ainsi que les projections faites sur les femmes au cours des siècles.

Contemporaine de la fondation du Havre en 1517, la chasse aux sorcières a connu, d’après l’historien Robert Muchembled, son apogée aux XVIe et XVIIe siècles. Si la littérature, avec Michelet, plus précisément, a réhabilité l’image de la sorcière et, ce faisant, œuvré pour la représentation de ces femmes, quelles traces demeurent cependant de ces féminicides organisés dans l’espace public ? En quoi l’art dans l’espace public se fait-il discours mémoriel et participe-t-il à la déconstruction des stéréotypes de genre ? Stéréotypes de genre mais aussi stéréotypes d’âge : la sorcière est généralement envisagée comme une vieille femme alors que l’œuvre de Klara Kristalova, qui puise dans les mythes de l’enfance, représente une petite fille. 

Cette journée d’étude se propose donc, à partir de l’œuvre de Klara Kristalova, d’analyser la place de la sorcière, au sens large, dans l’art et dans cet espace public qui fut celui de sa mise à mort. La figure de la sorcière revêt une brûlante actualité. La sorcière, depuis le féminisme de la deuxième vague, est une incarnation de l’émancipation féminine. Marginale, vivant seule, douée d’un corps aux pouvoirs surnaturels, détentrice de savoirs occultes, entourée d’une aura de dangereuse sexualité et le plus souvent âgée, elle contredit et menace l’ordre patriarcal et hétéronormé. La vieille fille, la veuve joyeuse, la prostituée, la lesbienne sont autant de déclinaisons possibles de la sorcière qui transcendent les époques et nourrissent l’imaginaire collectif. Ces dernières années, le livre de Mona Chollet, Sorcières : la puissance invaincue des femmes, a connu un grand succès et révélé à quel point la femme indépendante a pu être stigmatisée et devenir un bouc-émissaire. En outre, le chamanisme et le néo-paganisme éveillent depuis quelques années l’intérêt du grand public. En témoigne l’exposition « Magique », qui se tient au musée des Confluences à Lyon jusqu’en mars 2023, et porte sur l’importance de la magie dans les sociétés contemporaines. 

La sorcière comme la femme artiste créent et transforment. Toutes deux ébranlent l’ordre social dominant, voire le remettent en cause. L’accusation de sorcellerie vise à discréditer et à réduire au silence les femmes incriminées, présentées comme irrationnelles et démoniaques. Mais la réappropriation de cette assignation négative ne passe-t-elle que par le mouvement féministe de la deuxième vague ? Une œuvre d’art, quand elle se fait acte de mémoire, est-elle à même de conjurer l’ordre patriarcal en s’affichant dans l’espace public ?  Il convient ici du reste de s’interroger sur la notion même d’espace public : dans quelle mesure l’espace public est-il un espace ouvert dans lequel peut se faire entendre la voix de la création féminine ?  

 Cette journée d’étude, qui se tiendra le 9 mars 2023, lors de la semaine de l’égalité à l’Université Le Havre Normandie, propose d’explorer les axes suivants :

 1° Quelle représentation de la sorcière dans l’art depuis la chasse aux sorcières jusqu’à nos jours ? 

Quels référents se cachent derrière le mot sorcière ? La sorcière occupe-t-elle une place à part dans l’art moderne et contemporain ? Quelles formes revêtent les incarnations récentes de ce personnage ?

 2° La mémoire des femmes subversives dans l’espace public

Quelles traces de ces femmes et de leurs descendantes sont visibles dans l’art de rue, la statuaire et la performance en plein air, la toponymie urbaine ? 

 3° L’appropriation de l’espace public par les femmes artistes

Comment les femmes artistes investissent-elles les rues et places publiques ? Pourquoi la rue comme espace artistique reste-t-il dominé par les hommes ? Et peut-on parler d’appropriation de l’espace public par les femmes dans le cas d’œuvres de commande ? 


Bibliographie indicative

Simona Bartolena, Femmes artistes. De la Renaissance au XXIe siècle, Gallimard, 2003.

Mona Chollet, Sorcières : la puissance invaincue des femmes, Zones, 2018. 

Geneviève Fraisse, La Suite de l’Histoire : Actrices, créatrices, Seuil, 2019. 

Jürgen Habermas, L’espace public, Payot, 1988.

Camille Laurens, Les fiancées du diable. Enquête sur les femmes terrifiantes, Editions du Toucan, 2011. 

Robert Muchembled, La Sorcière au village (XVe – XVIIIe siècles), Gallimard, 1991.

Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, Gallimard, Quarto 1997. 

Paule Petitier (dir.), La Sorcière de Jules Michelet. L’envers de l’histoire, Champion, 2004. 

Sorcellerie. La Bibliothèque de l’ésotérisme, Taschen, 2022. 

Les propositions de contribution (titre prévisionnel, résumé d’une dizaine de lignes ainsi qu’une brève bio-bibliographie) sont à envoyer à Agathe Bernier-Monod et Véronique Bui pour le 15 septembre 2022. agathe.bernier-monod@univ-lehavre.fr  veronique.bui@univ-lehavre.fr