Édition
Nouvelle parution
A. du Bouchet, Entretiens avec Alain Veinstein

A. du Bouchet, Entretiens avec Alain Veinstein

Publié le par Emilien Sermier

André du Bouchet

Entretiens avec Alain Veinstein

Editions L'Atelier Contemporain, 2016

Date de publication : 18 janvier 2016

Format : 14 x 22 cm

Poids : 270 gr.

Nombre de pages : 128

ISBN : 979-10-92444-32-2

Prix : 20 €

 

Présentation de l'éditeur:
Ce recueil des entretiens qu’André du Bouchet donna à Alain Veinstein, de 1979 à 2000, le dernier ayant été enregistré quelques mois avant sa mort, eurent pour destination (à l’exception de deux d’entre eux publiés dans « L’Autre journal » et « Libération ») différentes émissions de France Culture : « Les Nuits magnétiques », « Poésie ininterrompue », « Surpris par la nuit », « Du jour au lendemain »… C’est ici pour la première fois que nous donnons leur retranscription.

André du Bouchet parlait avec Alain Veinstein sans souci des circonstances particulières de l’enregistrement – reconnaissable entre toutes, les lecteurs peuvent aujourd’hui retrouver sa voix.

 

Extraits

À quoi cela a-t-il tenu que vous écriviez ?

J’ai toujours écrit, pris des notes sans finalité sur des carnets que j’avais sur moi. C’était une sorte de journal auquel je ne me reportais pas nécessairement : beaucoup de ces carnets ont été perdus. Parfois, quelque chose se précipitait ou se cristallisait et devenait matériau premier d’un poème.

Le français est votre langue maternelle, mais pas, je crois, une langue originelle.

Nous vivons à une époque où ce qui est originel est très brouillé, où la langue elle-même est attaquée : une époque de dislocation de la langue. Or, la langue ne relève pas de notre choix personnel, c’est notre point de départ, le matériau dont nous disposons, et il y a un mouvement qu’il s’agit de renverser : ne pas aller dans le fil de ce qui se détruit à chaque instant sous nos yeux, mais, tenant compte de ce qui est détruit, tâcher dans l’instant de renverser le mouvement et d’édifier quelque chose. Mais édifier n’est pas exactement le mot qui convient, parce qu’encore une fois, je ne vois pas la finalité de ce que je fais. J’aurais peine à justifier de mon activité d’écrivain.

Mais vers qui, vers quoi, est tournée la poésie ?

Il me semble qu’elle est d’abord tournée vers soi. Mais si vous arrivez à vous rejoindre – et tout, dans cette époque, vous en empêche : on ne vous parle qu’en termes de collectif, de sondages, d’homme-maquette – si, donc, vous arrivez à vous rejoindre à travers cette dépossession qui est une donnée de départ, vous pouvez du même coup rejoindre quelqu’un d’autre à l’infini. Il y a quelqu’un d’autre qui se reconnaît dans ce que vous avez écrit, et un échange redevient possible. Cet échange qui, à mon sens, est complètement détruit aujourd’hui par le grésillement des médias qui nous tient lieu de communication en confirmant chacun de nous dans une situation de solitude.

Qu’est-ce qui permet l’échange : une mémoire commune ou la redécouverte d’une relation perdue ?

C’est la redécouverte d’une relation qui, au fond, n’est jamais perdue, mais enfouie, obnubilée. Elle n’en est pas moins vivante, en particulier dans la langue : je sais bien qu’aujourd’hui une sorte de bande dessinée tend à se substituer à la langue, mais quand on y fait retour, le mouvement de retour à la langue est un mouvement de retour à soi. On revient aussi aux racines, aux origines de la langue, on touche à une fraîcheur d’étymologie, ce qui nous ramène à votre première question. C’est par là, je crois, que quelque chose s’est réveillé chez un interlocuteur virtuel, et que vous vous trouvez tout à coup, souvent de façon surprenante, dans un rapport que tout, dans l’époque, travaille à annuler. Cet « interlocuteur », cependant, peut surgir à tout instant : il est représenté d’ailleurs, dès que je m’exprime, par la langue, puisque cette langue, par définition, est « partagée », même si je ne sais pas au juste avec qui je la partage. C’est pour cela que dans ce mouvement de relation à réamorcer, si je parviens à me rejoindre, du même coup, je rejoins un autre à l’infini.

Le poète travaille donc toujours un manque, et un manque toujours à dire ?

Oui, mais dans son manque à dire, il rejoint quelquefois ce point de source qui est aussi début d’une langue. Et quand on touche à ce point initial, il est difficile de différencier le plein du vide, le manque à dire de la plénitude absolue. C’est d’ailleurs le temps de la conversation : on est toujours prêt à dire quelque chose, on est content d’être ensemble et il y a toujours quelque chose à dire.

Du plus ancien au plus récent, vos livres sont presque toujours écrits avec les mêmes mots : quelques mots sans cesse répétés et sans cesse différents. Ils relèvent de l’élémentaire, tournent autour de la terre, de l’air, de l’eau et du feu, et coexistent avec une syntaxe très travaillée.

Que nous disposions de dix ou de quatre mille mots, leur nombre est toujours limité, mais ce qui change, c’est la syntaxe, c’est le rapport avec le temps, et du même coup, le même mot n’est plus le même, parce qu’il n’est que le support d’un sens qui, lui, évolue, se transforme. Le sens d’un mot est toujours au futur, mobile, mouvant à l’infini.

Tout se passe dans les écarts…

En tournant une page, on recouvre celle qui l’a précédée et on repart chaque fois de zéro. Mais à travers ce « nul », quelque chose est maintenu et se poursuit. Sur cet élément de persistance, je n’ai aucune saisie : j’ai bien une saisie sur l’instant, mais un instant n’est pas étranger à celui qui l’a précédé et à celui qui suivra, et je ne suis pas maître de cette durée. Dans ce sens, je ne suis pas plus maître de la construction d’un livre que je ne suis maître du temps.

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On peut lire sur le site de la Fondation de la Poste la livraison de la revue Florilettres consacrée à cet ouvrage.