Poésie sur les ondes : une affaire de poètes ?
Colloque de Montpellier, 20-21 novembre 2014
En présence du poète André Velter
Dans l’histoire de la radio, ce sont très souvent les poètes qui se sont chargés ‒ ou qu’on a chargés ‒ de la production des émissions de poésie. Citons Philippe Soupault, Pierre Emmanuel, Pierre Jean Jouve, Jean Amrouche, Jean Lescure, Francis Carco, Michel Manoll, André Beucler, Loys Masson, Louis Foucher, Luc Bérimont, Paul Eluard, Claude Roy, Jean Breton, Pierre Béarn, Armand Robin, Frédéric Jacques Temple, plus récemment André Velter, aujourd'hui Jean-Pierre Siméon… La liste serait assez longue de ceux qui ont travaillé à concevoir, écrire et parfois dire des émissions de poésie sur les ondes. L'émission poétique de poète est un genre radiophonique spécialement florissant dans les années cinquante et soixante correspondant à peu près aux « années Gilson », du nom du poète Paul Gilson, directeur des programmes artistiques de la radio d'État de 1946 à 1963 : « Jamais il n'y eut tant de poètes à la radio, tant à Paris que dans les régions, que de 1947 à 1963, c'est-à-dire entre l'arrivée de Paul Gilson et sa mort », se souvient Frédéric Jacques Temple (prix Apollinaire 2013). Jamais avant ces années en effet, et jamais depuis, la poésie n'a été aussi présente sur les ondes, dans des émissions dédiées comme dans toutes sortes d'autres émissions, sous des formes très variées. L'explication la plus simple de ce phénomène est la présence, à la direction nationale et régionale des programmes artistiques de la RTF, dans des fonctions de politique générale ou de production de programmes, d'un nombre assez considérable de poètes et d'amateurs de poésie (journalistes, éditeurs et libraires, professeurs...), désireux de faire entendre la poésie de leur temps ou du passé et d'attirer des poètes vivants, grands ou petits, dans leurs émissions.
Mais pourquoi choisir des poètes pour animer des émissions de poésie ? Pour la même raison qu'on fait appel à un sociologue pour parler de sociologie, à un juriste pour parler de droit, à un médecin pour parler de médecine, à un philosophe pour parler de philosophie, etc. ? Ou bien parce qu'ils seraient mieux qualifiés que d’autres (comédiens, journalistes, simples amateurs de poésie…) pour dire des poèmes ou les faire dire par d'autres, voire même pour réaliser des poèmes radiophoniques ? Ou bien pour assurer le rôle de « vaillants avocats de la poésie » (Georges Mounin, Poésie et société, 1962) ? Mais s’agit-il alors de défendre la poésie (face à qui, à quoi ?), ou de la promouvoir, ou de l'associer à un projet plus global (communisme, humanisme, éducation populaire…), ou simplement de la faire entendre ? Et qu'est-ce alors que faire entendre de la poésie ? La parole d'un poète parlant de poésie peut-elle devenir elle aussi poème ? Y aurait-il un phénomène de parole-poésie propre à la parole des poètes (ou des écrivains en général ?) qui expliquerait pourquoi on a beaucoup fait appel à eux pour ce genre d'émissions ?
Ces questions, le colloque se propose de les mettre à l'épreuve de corpus qui s'avèrent d'une grande diversité dans les styles, les registres, les genres (entretiens, lectures, évocations scénarisées, variétés, anthologies sonores, conférences, causeries, débats…). Compte tenu de leur nombre et de leur état de conservation, les séries d'émissions produites à la RTF sous l’ère Gilson seront vraisemblablement au cœur des travaux. Cependant il est souhaitable que certaines propositions portent aussi sur des séries produites dans l'entre-deux-guerres ou depuis les années soixante, y compris sur des webradios (Arte Radio, Silence Radio…).
On pourra notamment :
‒ se demander comment ces émissions reflètent ou expriment le rapport du poète-producteur à la poésie en général et aux (autres) poètes en particulier, ainsi qu’au public radiophonique (des auditeurs potentiellement amateurs de poésie et lecteurs) ;
‒ questionner l'oralité des poètes, leur comportement au micro, dans la parole comme dans la diction ou récitation de poésie à voix haute : y a-t-il une manière d'être ou un ethos caractéristiques du poète au micro ?
‒ étudier les éventuels passages entre ces émissions (souvent réalisées à partir de textes écrits) et l’œuvre imprimée des poètes qui les produisent (poèmes et textes critiques) ;
‒ analyser ce que le dispositif radiophonique apporte ou impose à leur forme comme à leur contenu ;
‒ s'interroger sur le statut non seulement critique mais poétique de certaines de ces émissions, créatrices de formes originales de poésie ou de médiation de la poésie ;
‒ analyser la mise en place à la radio de réseaux éditoriaux parallèles à ceux du livre, complémentaires ou bien concurrentiels ;
– questionner la vision (renouvelée ?) de la poésie induite par le medium radiophonique…
Les communications porteront de préférence sur des ensembles : émissions d'une même série ou de séries différentes ; produites ou animées par le même poète ou par des poètes différents. Elles pourront aussi, pour donner des éléments de réponse à l'interrogation du titre, s'intéresser à des émissions de poésie dont un poète (ou perçu comme tel) n’est pas le producteur. Elles pourront également réfléchir de manière plus globale au rapport de l’institution radiophonique avec ce type d’émission et ce type de producteur.
N'entrent pas dans le champ de ce colloque, d'une part les émissions de création radiophonique pure, séparées de tout discours sur la poésie, d'autre part les émissions non dédiées spécifiquement à la poésie.
L’objectif du colloque est de parvenir à une compréhension globale et historicisée de la manière dont les poètes font entendre la poésie à la radio, et de mieux identifier les enjeux du passage par le medium radiophonique dans la transmission par les poètes eux-mêmes des questionnements relatifs à la poésie.
Annexes :
Liste indicative de séries produites après 1940 sur des chaînes nationales
Autres émissions de poésie produites après 1940 sur des chaînes nationales (liste indicative)