
Appel à candidatures pour une thèse prioritaire
« Pour une révision des étymons à astérisque du Romanisches Etymologisches Wörterbuch de W. Meyer-Lübke : contribution à la reconstruction du lexique protoroman »
Lieu : ATILF (CNRS & Université de Lorraine)
Le doctorant devra s’intégrer physiquement à l’ATILF et donc résider à Nancy.
Durée : trois ans (septembre 2012–août 2015)
Rémunération : financement sous forme de contrat doctoral ou équivalent
Encadrement : cotutelle entre l’Université de Lorraine (Éva Buchi) et l’Université de la Sarre (Wolfgang Schweickard), l’inscription principale se faisant à l’Université de Lorraine
Insertion de la thèse dans une problématique actuelle en étymologie romane
L’étymologie, la sous-discipline linguistique qui étudie l’origine des mots, distingue trois catégories lexicales : le lexique héréditaire, transmis de génération en génération depuis l’ancêtre commun de la famille linguistique concernée ; les transferts linguistiques (emprunts et calques) ; enfin le lexique de formation interne (essentiellement les dérivés et les composés). Ces dernières années ont vu se développer un début de changement de paradigme dans le traitement étymologique du lexique héréditaire roman suite au lancement du Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom ; cf. Buchi 2010 ; Buchi & Schweickard 2009 ; 2011a ; 2011b ; Vàrvaro 2011a ; 2011b). En effet, le projet DÉRom, qui fait collaborer une cinquantaine de linguistes romanistes européens et est soutenu par le programme franco-allemand de l’ANR (Agence Nationale de la Recherche) et de la DFG (Deutsche Forschungsgemeinschaft), est ancré dans la grammaire comparée-reconstruction (cf. Fox 1995), méthode qui a fait ses preuves en étymologie indo-européenne, germanique, chamito-sémitique, finno-ougrienne ou encore sino‑tibétaine, mais qui n’avait pas encore été appliquée à l’étymologie romane.
Objectifs et méthodes propres à la thèse
Le lexique héréditaire des langues romanes remonte en grande partie à des étymons protoromans qui possèdent un corrélat en latin écrit de l’Antiquité : français an, italien anno, espagnol año etc. remontent à protoroman */'ann-u/, attesté par latin annus. La même chose vaut pour français dix, roumain zece, sarde deke etc. < protoroman */'dɛke/ (cf. lat. decem), pour français choir, dalmate kadar, occitan caire etc. < protoroman */'kad-e/ (cf. lat. cadere) ou encore pour français pont, gascon poun, portugais ponte etc. < protoroman */'pɔnt-e/ (cf. lat. pons).
Mais un dixième environ du lexique héréditaire roman est réputé se rattacher à un lexème protoroman reconstruit pour lequel le latin écrit de l’Antiquité ne présente aucun corrélat. C’est par exemple le cas de français écurer « nettoyer en frottant avec un abrasif » (dont récurer représente un dérivé formé en français), occitan escurar, catalan escurar etc., qui se rattachent à protoroman */es'kur-a-/ (REW s.v. *excūrāre ; von Wartburg 1930 in FEW 3, 283a-284a, *excurare), dont on chercherait en vain le correspondant *excurare en latin écrit.
Ce type d’unités lexicales représente un défi particulier pour l’étymologie romane ; d’un certain point de vue, il constitue le coeur de son objet d’étude. Il est vrai que le dictionnaire de référence de l’étymologie romane, le REW de W. Meyer-Lübke, permet d’en recenser commodément la liste, puisqu’il marque ces étymons par un astérisque. Mais ces étymons, dont beaucoup sont des dérivés et des composés que l’on suppose formés en protoroman, n’ont jamais été soumis à un contrôle systématique tant morphologique (ces formations sont-elles plausibles du point de vue des classes grammaticales et des contraintes morpho-phonologiques ?) que sémantique (les différents éléments de formation contribuent-ils de façon cohérente à leur sémantisme ?).
Ainsi, une analyse morpho-sémantique poussée fait apparaître que contrairement à ce que prétend la communis opinio, le protoroman ne connaissait pas de préfixe */ɪn-/ équivalent au préfixe latin in- privatif, de sorte que les articles *indēbilis, *indirēctum et *inrĕprŏbus du REW doivent être supprimés (cf. Buchi à paraître). Inversement, le témoignage des langues romanes permet d’affirmer avec certitude que le protoroman connaissait les préfixes productifs */de-/ et */dɪs-/ (cf. Buchi 2009).
Par conséquent, la thèse se propose de modéliser les règles de construction de lexèmes du protoroman en généralisant le type d’analyse sémantico-morphologique conduite pour l’instant pour trois candidats-préfixes seulement.
Références bibliographiques
Buchi, Éva (2009) : « La dérivation en */de-/ et en */dɪs-/ en protoroman. Contribution à la morphologie constructionnelle de l’ancêtre commun des langues romanes ». Recherches linguistiques de Vincennes 38 : 139-159.
Buchi, Éva (2010) : « Where Caesar’s Latin does not belong : a comparative grammar based approach to Romance etymology ». In : Brewer, Charlotte (éd.), Selected Proceedings of the Fifth International Conference on Historical Lexicography and Lexicology held at St Anne’s College, Oxford, 16-18 June 2010, Oxford, Oxford University Research Archive (http://ora.ox.ac.uk/objects/uuid%3A237856e6-a327-448b-898c-cb1860766e59).
Buchi, Éva (à paraître) : « Réel, irréel, inréel : depuis quand le français connaît-il deux préfixes négatifs IN- ? ». In : Brun-Trigaud, Guylaine et al. (éd.) : Actes du colloque GalRom07. Diachronie du gallo-roman. Évolution de la phonologie et de la morphologie du français, du francoprovençal et de l'occitan (Nice, 15/16 janvier 2007).
Buchi, Éva & Schweickard, Wolfgang (2009) : « Romanistique et étymologie du fonds lexical héréditaire : du REW au DÉRom (Dictionnaire Étymologique Roman) ». In : Alén Garabato, Carmen et al. (éd.) : La Romanistique dans tous ses états, Paris, L'Harmattan, 97-110.
Buchi, Éva & Schweickard, Wolfgang (2011a) : « Sept malentendus dans la perception du DÉRom par Alberto Vàrvaro ». Revue de linguistique romane 75 : 305-312.
Buchi, Éva & Schweickard, Wolfgang (2011b) : « Ce qui oppose vraiment deux conceptions de l’étymologie romane. Réponse à Alberto Vàrvaro et contribution à un débat méthodologique en cours ». Revue de linguistique romane 75 : 628-635.
DÉRom = Buchi, Éva & Schweickard, Wolfgang (dir.) (2008–) : Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom). Site Internet : Nancy : ATILF (http://www.atilf.fr/DERom).
FEW = Wartburg, Walther von et al. (1922–2002) : Französisches Etymologisches Wörterbuch. Eine darstellung des galloromanischen sprachschatzes (25 vol.). Bonn/Heidelberg/Leipzig-Berlin/Bâle : Klopp/Winter/Teubner/Zbinden.
Fox, Anthony (1995) : Linguistic Reconstruction. An Introduction to Theory and Method. Oxford : Oxford University Press.
REW = Meyer-Lübke, Wilhelm (1930–19353 [1911–19201]) : Romanisches Etymologisches Wörterbuch : Heidelberg : Winter.
Vàrvaro, Alberto (2011a) : « Il DÉRom : un nuovo REW ? », Revue de linguistique romane 75 : 297-304.
Vàrvaro, Alberto (2011b) : « La ‘rupture épistémologique’ del DÉRom. Ancora sul metodo dell’etimologia romanza », Revue de linguistique romane 75 : 623-627.
Environnement scientifique et institutionnel
Cette thèse s’insère dans le cadre des activités de recherche menées par l’équipe « Linguistique historique française et romane » de l’ATILF. Elle s’y appuiera notamment sur le programme de recherche DÉRom (cf. ci-dessus), et dans une moindre mesure sur le FEW (Französisches Etymologisches Wörterbuch), dont la rédaction se poursuit à l’ATILF sous la direction de Yan Greub (cf. http://www.atilf.fr/few). Inversement, les résultats de recherche de la thèse pourront être injectés directement et dans le DÉRom et dans le FEW, qui, grâce à un projet d’informatisation en cours, se prêtera, d’ici quelques années, à des mises à jour en ligne.
Prérequis
Diplôme de Master dans une discipline (Sciences du langage, langues, lettres etc.) liée à la linguistique historique (de préférence romane). Le candidat présélectionné devra avoir passé tous les examens de Master, y compris la soutenance de son mémoire, avant le 15 juin 2012 pour que sa candidature soit validée.
Dépôt des candidatures
Les candidatures, composées d’un CV et d’une lettre de motivation, sont à déposer avant le 30 avril 2012 auprès d’Éva Buchi (ATILF/CNRS, 44 av. de la Libération, B.P. 30687, 54063 Nancy Cedex, tél. +33 03.54.50.52.88 ou eva.buchi@atilf.fr).