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Littérature, psychologie, psychanalyse

Littérature, psychologie, psychanalyse

Publié le par Florian Pennanech (Source : Thierry Roger)

Colloque : « L'anatomie du coeur humain n'est pas encore faite », (Flaubert, 18 février 1859). Littérature, psychologie, psychanalyse. 

Colloque organisé dans le cadre du projet de recherche HIDIL (Histoire des idées de littérature). Université Paul Valéry-Montpellier III, 3 et 4 juin 2010

« La vraie psychologie, c'est la poésie, le roman, la comédie. Une foule de choses ne peuvent s'exprimer qu'ainsi. Ce qu'on appelle psychologie, celle des Écossais par exemple, n'est qu'une façon lourde et abstraite, qui n'a nul avantage, d'exprimer ce que les esprits fins ont senti bien avant que les théoriciens ne le missent en formules. »

[Renan, L'avenir de la science, 1848 — publication 1890 ]

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, de Renan à Paul Bourget, la psychologie joue vis à vis de « l'idée de littérature » un rôle qu'on peut comparer à celui de l'histoire au début du siècle : accomplissant d'une nouvelle manière « l'absolu littéraire » du romantisme, le rapport littérature/psychologie fait de la littérature le discours humaniste par excellence, le plus à même de saisir et de mettre en forme les modalités de l'existence. En même temps (et pas forcément de manière paradoxale) la psychologie s'établit comme science en lien avec la médecine et tranche ses relations historiques avec la littérature, ne conservant vis à vis d'elle qu'une position d'autorité clinique qui renvoie artistes et écrivains du côté de la folie. Cela, jusqu'à la naissance de la psychanalyse dont l'arrivée tardive en France est en elle-même significative.

En 1957 Michel Foucault, analysant l'évolution de « la psychologie de 1850 à 1950 » constatait son enracinement dans le champ naturaliste et expérimental (physiologie, évolutionnisme) jusqu'au moment de bascule que constitue pour lui « la découverte du sens » inaugurée par Freud. Mais l'avenir de la psychologie, Foucault le voyait, au delà de la psychanalyse, dans une ouverture anthropologique, formulée en des termes potentiellement littéraires : « la psychologie, écrivait-il, apparaît comme une analyse empirique de la manière dont l'existence humaine s'offre dans le monde ; mais elle doit reposer sur l'analyse existentielle de la manière dont cette réalité humaine se temporalise, se spatialise, et finalement projette un monde. » Même si Foucault reconnaît le bouleversement qui s'opère dans la culture européenne durant les dernières années du XVIIIe siècle, il y a peut-être chez lui, comme chez Barthes au même moment, dans cette manière de lire et la psychanalyse et le devenir « littéraire » de la psychologie, un déni de l'héritage romantique propre à l'histoire littéraire de la France.

Car l'entreprise freudienne, qui ne cesse de proclamer la préséance de la littérature et définit, au moins en partie, ses outils d'analyse en empruntant au champ de l'interprétation littéraire (déplacement, condensation, par exemple que Lacan lie explicitement à la métonymie et à la métaphore) vise indéniablement à une science de l'homme complète embrassant l'histoire, le mythe, la religion, la science et l'art. Freud, en ce sens, renoue explicitement avec l'ambition du romantisme. Le contexte de l'affaire Dreyfus éclaircit en grande partie la difficile pénétration des idées de Freud en France ; Thibaudet, par exemple, invoque à ce propos la « figure curieusement nationaliste » de la psychologie officielle. Mais ce sont les écrivains et les « salons » littéraires qui ouvrent la France aux théories freudiennes.

L'année 1924 (qui voit une revue belge, Le Disque vert, publier des textes de Marcel Arland, Jacques-Emile Blanche, G. Duhamel, Thibaudet, R. Laforgue, Crevel, Michaux… sur Freud et la psychanalyse) marque ainsi une étape : celle de la reconnaissance achevée, par nombre d'écrivains, du rôle et de la place de la psychanalyse, aux côtés de la littérature, dans l'élaboration d‘une psycho-logie satisfaisante : « Il est aujourd'hui aussi impossible de se passer complètement des découvertes de Sigmund Freud que de celles de Marcel Proust » écrit Edmond Jaloux.

S'intéresser au « moment psychologique » de la littérature suppose d'inscrire la réflexion entre ces deux pôles, le scientifique et le littéraire (ou l'anthropologie foucaldienne). Car si pour Renan ou Bourget la psychologie c'est la littérature, il est indéniable que la psychologie, dans son processus de constitution comme savoir, lorgne du côté de la science et engage un procès de discrimination qui fera d'elle une spécialité, une science positiviste. Le champ littéraire, du point de vue de la création comme de celui de la critique, subit les contrecoups d'un tel scientisme : le naturalisme est fondé sur une lecture darwinienne, où l'hérédité le dispute à la dégénérescence comme cause explicative. L'enquête de Jules Huret montre que la tentation de distinguer une « école » des écrivains psychologues est forte, les « psychologues » se retrouvant comparés et affrontés aux « naturalistes » ou aux « symbolistes » sur des modalités scientifiques et/ou formelles (Barrès par exemple) qui reconduisent une logique d'opposition dans un champ littéraire marqué par la rivalité, bien plus qu'elles ne dégagent des modèles distincts. Ce sont ces mêmes modèles que l'on retrouve lors de l'affaire Dreyfus qui met aux prises les tenants d'une psychologie « biologique » (dégénérescence : Nordau, Lombroso, Léon Daudet) et les défenseurs d'une psychologie libérée de l'hérédité (Charcot, Freud — et finalement Zola).

La psychanalyse, comme le montre l'accueil qui lui est fait, fait éclater ce système binaire. En elle la psychologie a trouvé pour la littérature une langue et la page commune rêvée par Renan ou Bourget, s'écrira dans un autre registre que celui de la psychologie « positive ». La démarche freudienne, centrée sur le sens pour un sujet, recoupe, bien mieux que les « expérimentations », la nature de la littérature — jusque dans les dérives critiques qu'elle va engendrer.

On pourrait ainsi envisager les orientations de recherche suivantes :

1) Reconfiguration de l'histoire littéraire selon « l'idée » de psychologie.

- Comment les théoriciens – Bourget, Hennequin parmi d'autres – ont-ils conçu les liens de la littérature et de la psychologie ? Comment les écrivains ? Quel est le devenir de la critique psycho-logique des formes littéraires inaugurée par le romantisme d'Iena ? Sur quelle histoire littéraire fonder la proposition (de Renan, Bourget par exemple) selon laquelle la littérature « fait » la psychologie, individuelle et collective ? Quel vivier d'auteurs composer, selon quelles historicités ? Quelle place pour la réception et les effets de lecture suppose une telle approche ? Quelle interprétation nouvelle de l'histoire littéraire et, in fine, quelle « idée » de littérature se trouvent mises en jeu dans le protocole intellectuel défendu par chacun ?

2) Psychologie et nationalisme

- Rôle et fonction de la psychologie « scientifique » dans l'évolution des concepts de nation et de race depuis le romantisme jusqu'à l'affaire Dreyfus. Prolongements politiques.

- Qu'en fait la littérature ? Cosmopolitisme, égotisme, nationalisme de Bourget ou Barrès par exemple ; hérédité et dégénérescence ; figures de l'intellectuel (Les Morticoles de Daudet…)

3) Modèles croisés

- Quel savoir les écrivains et critiques ont-ils de la psychologie « scientifique » ? A quelles méthodes empruntent-ils, et jusqu'où ? Quelles typologies pathologiques, pour les personnages et pour l'écriture même ? Les trois grands modèles étiologiques du XIXe siècle (hystérie, dégénérescence, mélancolie) sont-ils prégnants dans la littérature, et trouve-t-on des corrélations entre les « écoles » littéraires et les modèles pathologiques (par exemple, la mélancolie et la décadence, l'hystérie et le naturalisme) ? Psychologie et psychanalyse ont-elles concouru à l'émergence de nouvelles formes littéraires (The Stream of consciousness, l'écriture automatique…) ?

- La vulgarisation implique-t-elle pour la psychologie, la psychiatrie, une « mise en récits » ? Les photographies de la Salpêtrière ou les leçons de Charcot créent une dramaturgie de l'hystérie. Qu'en est-il des études de cas en psychanalyse (voir les Cinq psychanalyses par exemple) ?

Les propositions de communication peuvent être adressées au plus tard fin décembre 2009 à Marie Blaise (Marie.Blaise@univ-montp3.fr) ou à Sylvie Triaire (Sylvie.Triaire@univ-montp3.fr)

  • Responsable :
    Marie Blaise
  • Adresse :
    Montpellier