Essai
Nouvelle parution
D. Guénoun, Livraison et délivrance. Théâtre, politique et philosophie.

D. Guénoun, Livraison et délivrance. Théâtre, politique et philosophie.

Publié le par Marc Escola

Denis Guénoun

Livraison et délivrance
Théâtre, politique et philosophie

Collection : L'Extrême Contemporain
Editeur : Belin
Directeur de collection : Michel Deguy

26.00 €
ISBN 978-2-7011-5143-4

23/03/2009
400 pages


Pourquoi réunir dans un même ouvrage des essais portant sur le théâtre et des réflexions politiques ou philosophiques beaucoup plus générales ? Dans ce livre-ci, ils sont inséparables. D'abord par l'histoire d'une vie, qui ne cesse de passer d'un champ à l'autre – et cet ouvrage engage une certaine méditation autobiographique. Mais c'est aussi pour des raisons plus larges. On sait depuis longtemps que la théorie et la pratique du théâtre font appel à des conceptions profondes portant sur l'expérience humaine, solitaire ou collective. Mais il apparaît désormais, de façon plus inattendue, que la pensée philosophique la moins spécialisée a recours, qu'elle le sache ou non, à des modèles et des dispositifs théâtraux, qu'elle est prise dans un réseau d'interrogations où le théâtre occupe une place plus centrale qu'il n'y paraît. Théâtre et philosophie travaillent ici à comprendre et approfondir leur relation – mais de façon ouverte, parce que l'un et l'autre sont conçus comme regards et chemins trouant les frontières.

Livraison est abandon, offre, remise ou dépôt devant un autre.Délivrance est émancipation, affranchissement. Entre les deux, sejoue une intrigue imprévue. Il est possible que le don libère, etqu'entre la mise en présence (le théâtre) et la pensée émancipatrice(la politique, la philosophie), le lien soit plus profond qu'onl'attendait. Il y va d'un nouveau rapport entre passivité et actionpositive.

En tout cas cet ouvrage, où se livre aussi quelquechose d'une histoire personnelle, essaie de tracer des voies possiblespour une ouverture, un regard dégagé, désentravé – délivré de sessangles.

Aujourd'hui professeur à l'Université de Paris-Sorbonne (Littérature française), Denis Guénoun a été précédemment comédien, metteur en scène, directeur de théâtre.

Il est l'auteur de nombreuses oeuvres pour la scène (par exemple Tout ce que je dis , mise en espace au Théâtre de l'Odéon en décembre 2007), et d'essais sur le théâtre qui font référence ( Le Théâtre est-il nécessaire ? , Circé 3ème éd. 2006, ou Actions et acteurs , Belin 2005).

A également publié plusieurs ouvrages de philosophie politique (parmi lesquels Hypothèses sur l'Europe , Circé 2000, ou Après la révolution , Belin 2003).

Table


Livraisons    5

1. Théâtre    35

Pour mémoire    37
Que faire du théâtre ? Que faire au théâtre ?    49
La remise en route    57
Pourquoi Brecht ?    59
Scènes et autres scènes    48
Dispositions critiques    67
Scènes des rues    77
Théâtre, peuple, passion    95
Dramaturgie du football et question nationale    107
Le temple ou le théâtre (De la transcendance)    121
Cours du 20 décembre 2006    139
Brèves remarques sur la théâtralité du poétique    149
Homosexualité transcendantale    157
Sur la faculté de jouer    177
Transmissions créatrices    195
Quelques principes de travail    191

2. Politique et philosophie    205
Vidal-Naquet et l'honneur des juifs    207
Sur les (prétendues) sorties du (prétendu) communisme    215
Note sur la décision    225
Deux sens de l'un    229
Journal    241
Althusser autographe    245
Démocratisations dénationalisantes    267
Les deux faces de l'Euro    273
Sur une manière française    287
L'Europe et son idée    311
L'Europe et l'infini    319
Candidature    329
La scène est-elle primitive ?    337
L'un des deux athéismes    353
Hypothèses et questions politiques    367

Délivrances    377

*  *  *

Dans Le Monde des livres du 5/6/9, on pouvait lire un article sur cet essai:

"Livraison et délivrance. Théâtre, politique, philosophie", de Denis Guénoun : envie de collectif LE MONDE DES LIVRES | 04.06.09 |

Qu'est-cequ'un cours sur Alfred de Musset et Bernard-Marie Koltès, un match defoot, une pièce jouée en plein air ou l'avenir de l'Europe peuventavoir en commun ? Pas grand-chose a priori, si ce n'est de réunir desindividus, de créer du collectif, de mêler étroitement théâtre etpolitique. Car toute scène est un espace d'intervention convoquant uneassemblée, et tout rassemblement politique suppose une scène. Chacundes articles publiés par Denis Guénoun dans Livraison et délivrance approfondit cette intuition.

empty.gif Réunir : Denis Guénoun n'a pas d'autrepassion. Réunir l'enseignement et la pratique du théâtre, à la foiscomme dramaturge, acteur et metteur en scène. Ou réunir la littérature,la philosophie et l'engagement dans les affaires de la cité en faisantdu théâtre une "phénoménologie politique", c'est-à-dire une manière de faire naître une "assemblée vivante, effective, dans l'acte de sa mise en présence réelle", de mettre en jeu "l'énigme de l'apparaître devant le mystère de l'assemblement".La diversité des sujets abordés ici n'est pas le signe d'unedispersion, mais plutôt la preuve d'un intérêt pour les situations oupour les circonstances, puisque "tout est, toujours, de circonstance".

Ettoute occasion est bonne. Un jour où il ne peut assurer l'un de sescours à l'université Paris-Sorbonne, Denis Guénoun écrit à sesétudiants une lettre où il confronte Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, de Musset, et Dans la solitude des champs de coton,de Koltès : d'un écrivain à l'autre, l'objet de l'échange devient undialogue pur, où la relation devient énigme. En juillet 2006, surprisde se voir prendre parti, avec toute sa famille (française), pourZidane, alors que toute sa belle-famille (italienne) défend la victimedu célèbre "coup de boule", il entreprend d'analyser les matches de football comme un "drame" où le système capitaliste "produit du national",recyclant sous forme d'un spectacle fort rentable des passionscollectives que l'on prétend dépassées à l'heure de la mondialisation.

ROMPRE AVEC LES RITES

Réfléchissant au théâtre de rue, il souligne sa capacité à créer un "événement-assemblée" sur des sites inhabituels, afin de rompre avec les rites "préétablis et assujettissants" des théâtres installés ("Le degré de soumission d'un théâtre se mesure à la fréquence de renouvellement de ses velours") et de créer de l'"attroupement"- ainsi se nommait d'ailleurs la compagnie qu'il fonda en 1975. Invitéà parler d'un sujet plutôt aride, l'argent, il compare les deux facesde notre nouvelle monnaie (sur les billets, ponts ou cartes de l'Europed'un côté, bâtiments célèbres de l'autre) et constate la disparitiondes souverains ou grands hommes de l'Histoire qui ne subsistent plusque sur l'une des faces des pièces : d'un côté (figuresreconnaissables), l'Europe se donne comme "reconnaissance acquise", de l'autre (ponts ou cartes), comme "modèle projectif", toujours écartelée entre fermeture des frontières et élargissement continu, entre "redevenir-nation et devenir-monde".

Danschacune de ses interventions, Denis Guénoun interroge l'art de se teniret de vivre ensemble, pour une soirée ou pour toute une vie. Sur ceterrain, le théâtre a tout autant à nous apprendre que le roman,notamment parce que l'action s'y déploie sous forme de décisions,rejoignant, de ce fait, la question politique. Surtout lorsqu'il estquestion d'enjeux que l'on juge exclusifs ou "communautaires".

Ainsi de l'homosexualité dans Le Pays lointain,de Jean-Luc Lagarce : loin de se limiter aux rapports amoureux entrehommes, l'homosexualité y déborde continuellement son territoireassigné pour se mêler à la vie des autres personnages, femmes, amis etparents. A commencer par Hélène, prise dans une chaîne d'amour "dont les autres anneaux sont masculins",ainsi qu'elle le déclare à Louis, de retour dans sa famille à la veillede sa mort, en une formule d'une économie toute racinienne : "Celui-ci que j'ai aimé, aima cet autre qui t'aima toi." De même "Longue Date" se sent-il relié à son ami Louis par un sentiment "plus radical et plus irrépressible que la seule exigence sexuelle"et Antoine éprouve-t-il à l'égard de son frère une autre forme d'amourentre hommes, plus jalouse, plus brutale, où tout contact dégénère enbataille.

Livraison et délivrance fourmille d'idées,déniche sans cesse de nouveaux sujets, multiplie les lecturesséduisantes d'oeuvres canoniques. Et quel meilleur effet pour un livrequi traite de ce qui assemble ou rassemble au théâtre, en politique ouen philosophie que de transmettre à ses lecteurs un enthousiasmecommunicatif ?

LIVRAISON ET DÉLIVRANCE. THÉÂTRE, POLITIQUE, PHILOSOPHIE de Denis Guénoun. Belin, "L'extrême contemporain", 396 p., 26 €.
Jean-Louis JeannelleArticle paru dans l'édition du 05.06.09